Du bon usage de la dictature

L’idée a été lancée et répliquée dans moult media nationaux : vu l’état de déliquescence dans lequel sombre notre pays chaque jour un peu plus de par les crises politiques, sociales et les calamités naturelles, les élections générales prochaines risquent de ne pas avoir lieu.

Or, que ce soit par recours à l’article 68 de notre Constitution ou à un décret pris en Conseil des Ministres, bien sûr dénoncé par l’opposition mais vraisemblablement avalisé par la présente Cour Constitutionnelle, nous serions en face d’une dictature. 
On définit la dictature comme un mode autoritaire d’exercice du pouvoir d’Etat (commandement ou archê en grec), même si cet exercice repose parfaitement sur des bases juridiques. Aussi les décisions de la Cour Constitutionnelle étant sans recours, personne n’est-il qualifié pour les mettre en cause. Parce que ces décisions reposent sur des interprétations des prescriptions constitutionnelles, elles sont éminemment justes, donc démocratiques, même si ces derniers temps, beaucoup de nos compatriotes semblent avoir face à elles des pleurs et des grincements de dents. La doctrine permet de distinguer la dictature assise sur des bases juridiques, du despotisme qui dépend lui du bon vouloir d’un seul homme (autocratie), à la fois monarque et souverain (du grec kratos). Le langage courant n’arrive pas à saisir ces subtilités de la sociologie politique, confondant allègrement dictature, fascisme, despotisme, absolutisme et tyrannie. Ainsi se fondant sur l’exigence du consensus national dont les valeurs cardinales seraient énoncées dans le Préambule de la Constitution du 11 décembre 1990, les sept sages avaient déclaré contraire à la Constitution une loi modificative d’un article de cette même Constitution pourtant votée à la majorité qualifiée des 4/5 (article 155). N’était-on pas alors en droit de crier à la dictature devant ce cas précis et devant d’autres décisions tout aussi surprenantes ? Avec une Assemblée Nationale affaiblie et un Exécutif de plus en plus fort car sustenté par notre Haute Juridiction en matière constitutionnelle, le gouvernement peut faire passer n’importe quelle décision si elle a l’aval de la seule Haute Juridiction en matière constitutionnelle de notre pays. Donc, l’actuel régime peut exciper de difficultés financières objectives et de la situation catastrophique que connaît  notre pays pour décréter son incapacité à organiser la même année 2011 les élections présidentielles et législatives, couplées ou non. Si la Cour Constitutionnelle, comme on peut s’y attendre, abonde dans le même sens, je vois mal quelqu’un moufter. Comment ne pas avoir réagi contre la décision faisant du consensus un principe à valeur constitutionnelle et oser rouspéter maintenant que le Gouvernement nous met face à son incapacité socio-politique et matérielle d’organiser coup sur coup deux élections majeures pendant la même année 2011 ? Ce serait certes une véritable dictature du régime actuel, mais ne surestimons pas nos capacités de résistance face à des décisions légales, mais manifestement contestables. On aurait pu réviser sans problème notre Constitution dans le sens de permettre au Général Mathieu KEREKOU de rempiler pour un nouveau mandat si les clauses des ¾ ou des 4/5 des députés du Parlement n’étaient pas alors impossibles à recueillir. Ainsi nous aurions avalé comme d’autres Africains pas moins révolutionnaires que nous la couleuvre de la révision constitutionnelle !
La première difficulté à l’argument d’insuffisance de ressources financières est quelles élections privilégier en 2011. Si ce sont les élections présidentielles, personne ne pipera mot : les élections législatives pourront bien attendre. D’ailleurs, c’était pour éviter ce chevauchement non souhaitable que les députés de la 4ème législature avaient bien été inspirés de proposer qu’on rallonge leur mandat à 5ans ! Les élections législatives auraient eu lieu en 2008 en même temps que les élections locales et les échéances suivantes seraient programmées pour 2013 ! Or, le régime du changement qui avait soif d’aller vite aux élections législatives pour que sur la lancée de l’euphorie qui avait porté au pouvoir le Docteur Boni YAYI, les Forces Cauris lui apportassent une majorité confortable, avait avec la complicité de la Cour Constitutionnelle d’alors, saboté le processus de révision constitutionnelle pourtant irréprochable sur le point des bases juridiques.

On avait excipé d’un prétendu consensus national devenu subitement un principe à valeur constitutionnelle ! Si vous tolérez un acte dictatorial parce que cela vous arrange, vous en souffrirez tôt ou tard du choc en retour cosmique. C’est le cas actuellement de certaines personnes qui avaient acclamé en son temps cette décision somme toute contestable de notre Haute Juridiction en matière constitutionnelle. Je vous fiche mon billet que ce ne seront pas les élections législatives qui risquent d’être reportées, mais bien les élections présidentielles ; la raison, c’est qu’une quelconque décision dans ce sens, se situerait dans la doctrine qui a guidé les dernières décisions de la Cour Constitutionnelle : c’est faire reculer notre processus démocratique que d’aller encore aux élections, surtout présidentielles, avec les listes manuelles habituelles.       

Par Olivier Lucien GUEKPON, consultant-formateur en stratégies politiques

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