(L’état des lieux qui interpelle Nassirou Bako-Arifari)
« Il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ». Cet adage est plus que jamais d’actualité aujourd’hui dans notre pays, au regard de la tournure que prend le dossier de la réalisation de la LEPI. Tout se passe comme si le Superviseur Général de la CPS/LEPI et son équipe se sont isolés dans une tour d’ivoire après s’être bourrés les oreilles de boules Quiès pour ne pas entendre les voix de plus en plus nombreuses qui s’élèvent pour dénoncer les multiples failles du processus de réalisation de la LEPI en cours au Bénin.
Il est vrai que l’Honorable Nassirou BAKO-ARIFARI a hérité d’un projet profondément vicié dès le départ, tant dans les formes et procédures que dans le fond. A cet effet, dans une de mes précédentes chroniques, je m’étais fait le devoir de situer les responsabilités au niveau de cinq principaux acteurs :
– Le Gouvernement qui, depuis le départ, a confondu vitesse et précipitation et est resté sourd à tous les signaux annonciateurs de l’impasse ;
– L’Assemblée Nationale, ou du moins la majorité parlementaire de l’époque qui a fait preuve de légèreté, d’indécision, d’instabilité et d’un manque total de vigilance et de discernement, toutes choses ayant conduit au vote de la loi 2009-10 du 13 Mai 2009 truffée d’incohérences et de considérations techniques erronées ;
– La société civile qui, victime de son inorganisation et de la cupidité de certains de ses membres, a très tôt servi d’instrument de caution à ce projet somme toute contestable depuis le début ;
– Les Partenaires Techniques et Financiers qui se sont investis à fond dans ce projet et ont continué à le soutenir de toutes leurs forces même lorsqu’il battait sérieusement de l’aile ;
– Les organes de gestion du RENA et de la LEPI que sont la MIRENA et surtout la CPS alors dirigée par un certain Epiphane QUENUM.
Face donc à cet héritage où visiblement le passif dépasse de loin l’actif, l’actuel Superviseur Général, la volonté chevillée au corps, a cru pouvoir redresser la barre et s’est lancé à corps perdu dans cette bataille.
Malheureusement, il a mésestimé l’ampleur de la tâche dans laquelle il s’est engagé. C’est au fur et à mesure de l’évolution du processus qu’il s’est certainement rendu compte qu’il a été pris dans un engrenage terrible et qu’inévitablement lui-même a commencé à accumuler les erreurs. Et, au lieu de s’arrêter, il a plutôt fait le choix de foncer la tête baissée et les oreilles bouchées. Ce faisant, le professeur d’université qu’il est a oublié la vieille maxime latine : « errare humanum est, perseverare diabolicum ».
Seulement, cette option du Superviseur Général de la CPS/LEPI n’est peut-être pas forcément une décision personnelle et isolée. Pour s’en rendre compte, il suffit de reconsidérer à ce jour la position des différents acteurs impliqués plus ou moins directement dans le processus de réalisation de la LEPI. Pour ce faire, reprenons l’ordre suivi plus haut.
1°) le Gouvernement activement soutenu par les forces politiques de la mouvance continue d’afficher sa position inébranlable de faire réaliser la LEPI avant les élections de 2011. Dans cette optique, malgré les rencontres organisées les 9 Mars et 6 Avril 2010 par le Chef de l’Etat, rencontres au cours desquelles il a été démontré et reconnu que le processus souffre de plusieurs maux qu’il faut prendre le temps de résoudre, l’Exécutif et son Chef n’ont jamais voulu entendre parler de pause, encore moins de relecture de la loi 2009-10. Mieux, ils rivalisent d’ardeur pour mobiliser tous les moyens au profit de la CPS et de la MIRENA, soutenir et encourager ces structures à tenir contre vents et marées dans les délais qu’elles se sont fixés.
2°) l’Assemblée Nationale dans sa composante majoritaire a quant à elle modifié radicalement sa position. En effet, se réveillant de sa léthargie du départ et prenant conscience des nombreuses failles contenues dans la loi 2009-10 qu’elle avait elle-même votée, la Représentation Nationale a décidé de se remettre en cause et de revoir sa copie. Pour ce faire, elle a voté une loi abrogeant la loi 2009-10. Cette loi d’abrogation a été cassée par la Cour Constitutionnelle. Elle a ensuite votée une loi modifiant la loi 2009-10. La loi modificative vient également d’être cassée par la Cour Constitutionnelle essentiellement pour vice de procédure. Que vont à présent faire nos Honorables Députés ? Wait and see.
3°) la société civile, en tout cas celle qui a été à l’origine du combat pour l’avènement de la loi 2009-10, a fini également par changer de position au regard des violations répétées de cette loi et du passage en force orchestré par les structures en charge de la réalisation de la LEPI. Après avoir dénoncé faiblement puis bruyamment l’absence de transparence et de méthode qui caractérise le processus en cours, la société civile a finalement pris ses distances, certainement pour se démarquer des maladresses successives qui risquent de nous conduire à la dérive.
4°) les Partenaires Techniques et Financiers quant à eux, continuent de mobiliser et d’injecter des fonds considérables dans la réalisation de la LEPI. Le dernier exemple en date est celui du 19 Octobre 2010 où, devant micros et caméras, l’Union Européenne et le PNUD ont annoncé, fiers comme Artaban, un apport supplémentaire de plus de 2 milliards de francs CFA pour financer le processus de réalisation de la LEPI. Coïncidence ou fait exprès, cette cérémonie se déroule le même jour où les populations de l’Ouémé ont organisé une gigantesque marche à Porto-Novo et Sèmè-Podji pour dénoncer les irrégularités de la phase d’enregistrement dans leur aire opérationnelle et réclamer l’arrêt du processus.
Toujours par rapport aux PTFs, quelques faits curieux et plutôt gênants méritent d’être soulevés :
– C’est l’Union Européenne qui, sur demande du Chef de l’Etat, a organisé et financé l’étude de faisabilité de la LEPI au Bénin dont les conclusions ont suggéré l’option LEPI contrairement aux autres pays de la sous-région qui se sont plutôt contentés d’une LEI, plus simple à réaliser, moins coûteuse et tout aussi fiable que la LEPI ;
– Le rapport de l’étude ci-dessus évoquée a privilégié l’utilisation des kits biométriques, alors que ceux-ci ont montré la limite de leur efficacité dans le contexte africain, notamment en RDC, au Togo ou encore au Sénégal où un audit est actuellement en cours suite aux nombreuses plaintes reçues par le Président WADE, … ;
– Conformément au protocole d’accord signé entre le Gouvernement du Bénin et les PTFs, les procédures de recrutement et d’acquisition des biens et services répondent aux normes édictées par les PTFs, notamment le PNUD qui a renforcé sa fonction d’acquisition et les services conseils qui y sont associés en établissant un Bureau de service d’acquisition à New York et Copenhague. Deux branches s’occupent directement des matières électorales : l’équipe spéciale de conseil (Special Advisory Team, en sigle SAT) couvrant les services conseil et l’Unité d’acquisition globale représentant son bras opérationnel (Global Procurement Unit). Autrement dit, les PTFs et plus précisément le PNUD ont acquis une expérience et une expertise certaines sur la question de l’informatisation de la liste électorale et ce sont eux qui ont conduit toute la procédure ayant abouti à la sélection et au recrutement de l’opérateur technologique GEMALTO qui a fourni et paramétré les kits biométriques aujourd’hui objets de polémiques ;
– C’est encore le PNUD qui a écrit le 29 Septembre 2010 au Superviseur Général de la CPS/LEPI (Cf. Quotidien L’Informateur N° 1938 du 13 Octobre 2010) pour lui suggérer de « permettre d’indiquer dynamiquement en cours de saisie, qu’un doigt dont on n’arrive pas à capturer l’empreinte, est de mauvaise qualité afin de passer outre sa saisie », alors que la loi 2009-10 exige clairement la prise des empreintes des dix doigts.
– Les irrégularités dénoncées par le Maire de Porto-Novo, notamment le mauvais fonctionnement des capteurs d’empreintes, l’inadaptation de la majorité des empreintes, la mauvaise qualité des photos prises au-delà de 16 heures, l’apparition du même numéro d’enregistrement sur plusieurs certificats d’enregistrement,… sont autant de problèmes déjà recensés dans d’autres pays africains où des kits ont été utilisés et connus du PNUD qui aurait dû veiller à les faire minimiser par l’opérateur technologique retenu pour le Bénin.
Ces observations faites, il est difficile d’accorder la présomption d’innocence aux PTFs qui apparaissent plutôt comme des complices passifs ou actifs de ceux-là qui s’obstinent à ignorer les cris de détresse des populations pour lesquelles on prétend vouloir réaliser la LEPI.
5°) si la loi prévoit deux organes (l’un politique et l’autre technique) pour réaliser la LEPI, force est de constater que c’est l’organe politique, c’est-à-dire la CPS représentée par son Superviseur Général qui monopolise l’attention depuis quelques temps. De fait, l’Honorable BAKO-ARIFARI a multiplié ces derniers jours des sorties médiatiques au cours desquelles il affirme urbi et orbi que la structure qu’il dirige mettra à la disposition du Bénin l’instrument LEPI le 31 décembre 2010 au plus tard.
Cette affirmation, qui s’inscrit dans la logique du Gouvernement qui entend disposer de la LEPI pour les élections de 2011, semble être le principal fondement de la précipitation et du cafouillage observés dans le processus. Car, la CPS s’étant fixé une date butoir s’oblige à adapter son chronogramme à ladite date et du coup accorde aux différentes phases du processus des délais fantaisistes et irréalistes.
L’Honorable BAKO-ARIFARI fait penser à un médecin à qui un collège de praticiens hospitaliers (Assemblée Nationale) a confié le suivi du traitement d’un patient (le système électoral). Malheureusement, le traitement retenu par le collège de praticiens s’est révélé lent, coûteux et mal dosé. Le médecin, ayant constaté la situation, décide unilatéralement d’accélérer le processus de guérison. Seulement, il se refuse pour ce faire de recourir à nouveau au collège originel ni à changer la nature du traitement. Il préfère garder le même traitement mais en forçant les doses, sans tenir compte ni des gémissements et plaintes du patient, ni des inquiétudes exprimées par les gardes-malades (le peuple) qui voient le cas de leur protégé s’empirer. Se sentant fort du soutien de l’ordre des médecins (Cour Constitutionnelle), du Chef de la clinique (le Chef de l’Etat) et du représentant des financiers de la clinique au sein du Conseil d’Administration (PTFs), le médecin décide d’aller jusqu’au bout de son expérience. Quand donc finira-t-il par s’arrêter ? Dans quel état se trouvera le patient à ce moment-là ? Que pourra-t-on encore faire pour le sauver ? Quelles en seront les conséquences pour la clinique ?
Voilà autant de questions auxquelles il urge que le médecin BAKO-ARIFARI pense à trouver les réponses appropriées pendant qu’il est encore temps.
Au total, des cinq acteurs coupables au départ, deux se sont finalement ravisés. Seul le trio Gouvernement-CPS-PTFs poursuit la cavalcade endiablée, malgré la résistance populaire. Plaise à Dieu que cette aventure ne nous entraîne dans une spirale de manifestations aux lendemains incertains.
Clotaire OLIHIDE
Auteur de l’ouvrage « Elections Communales
et Locales 2008 au Bénin : Autopsie
d’un cafouillage organisé »
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