Le propre du militaire, ce n’est pas de faire des prières. C’est d’honorer son treillis, c’est d’aller au devant de sa mission républicaine avec sérénité et abnégation. En un mot, c’est d’honorer sa patrie. Et, même s’il est une réalité que le Bon Dieu se mange à tous les plats depuis quelques années maintenant chez nous, il sort de l’ordinaire qu’un militaire, qui plus est, dans un cadre public et officiel, ait recours à la prière. Or donc, c’est ce qui s’est passé ce jeudi 21 octobre à l’état-major des Forces armées béninoises (FAB), lorsque le colonel Bio Ningui Bakassiri, porte-parole des 65 militaires reçus dans l’Ordre national du Bénin, finit son discours de remerciement en priant pour « que notre pays vive dans la paix, la quiétude et l’harmonie ». Cette petite phrase, lourde de sens et de portée cependant, serait passée inaperçue si elle avait été prononcée par une bouche quelconque. Mais ce n’est pas le cas. Alors, question : qu’est-ce qui peut amener un militaire à prier pour que la paix, la quiétude et l’harmonie règnent dans son pays ?
D’abord, il faut considérer que cette prière n’est pas que celle du colonel Bio Ningui Bakassiri tout seul. Les conditions dans lesquelles elle a été lâchée suggèrent qu’elle engage sinon toute la troupe, du moins une bonne partie. Ainsi, consubstantielles à cette prière, la crainte ou, à tout le moins, la sensation diffuse voire plus ou moins nette, que l’atmosphère socio-politique qui règne sur et dans le pays est annonciatrice d’une situation préoccupante si rien n’est fait pour la conjurer. En fait, par cette petite phrase apparemment anodine, la Grande Muette ne craint-elle pas, inconsciemment peut-être, que des hostilités se déclenchent à tout moment ? Une façon aussi de dire que même s’ils ne parlent pas à tous les coups, les militaires sont dans le peuple et ne sont pas étrangers à ce qui se passe. Est-ce aussi parce qu’ils ne voudraient pas être amenés à arbitrer le combat éventuel qu’ils en appellent à la paix, la quiétude et l’harmonie ?
C’est vrai que ce sont des denrées rares. Mais, en temps normal, les militaires parleraient-ils de paix et d’harmonie avant la guerre ? Cela suppose qu’ayant acquis la certitude que les acteurs vont inéluctablement se battre et appréhendant par avance les dégâts qu’ils risquent de faire, ils les mettent tous en joue, les neutralisent et s’interposent. Pour que règnent la paix, la quiétude et l’harmonie au Bénin, dans les circonstances qui prévalent actuellement, ce pourrait être la solution, tant on désespère désormais de la capacité des acteurs à se parler encore sérieusement et sans méfiance réciproque. Or, une paix précaire, une paix de façade n’en est pas. Elle couve toujours l’escalade qui menace d’exploser à tout moment. Ce n’est pas ce dont nous avons besoin pour nous pencher sérieusement sur les tâches de développement. Nous avons besoin plutôt d’une vraie paix. Nous voulons vivre dans la paix, la quiétude et l’harmonie, garanties par des sages.