Janvier Yahouédéou, député à l’Assemblée nationale, l’un des premiers docteurs en Informatique de l’Afrique de l’Ouest reste toujours sceptique par rapport à l’utilisation de la Liste électorale permanente informatisée (Lépi) pour 2011. Dès le début du processus, il avait déjà tiré la sonnette d’alarme pour faire remarquer cette impossibilité. Près de deux ans après, il persiste et signe « La Lépi ne peut être effective pour 2011 ». Lire l’intégralité de l’interview qu’il a accordée à votre Journal.
La Nouvelle Tribune : Selon vous, la LEPI est-elle possible pour les élections de 2011 ?
Janvier Yahouédéou : Ce qui se passe là n’est pas une Lepi, c’est une bouillabaisse indigeste qu’on sera obligé de reprendre à zéro. Les partenaires au développement sont en train de brûler l’argent des contribuables européens et c’est triste. Tout est faussé à la base, depuis l’étape du recensement. L’un des deux experts qui avaient conçu et proposé le processus de la LEPI était un Béninois assez expérimenté dans ce genre d’opérations. Et c’est sur la base de leur rapport que les propositions de loi sur la LEPI ont été conçues. Cet expert béninois, monsieur Félix Sessou qui est à l’origine du concept à éprouver a dû démissionner de la CPS depuis plus de 8 mois parce qu’il ne voulait pas donner sa caution aux trucages. En terme de délai, j’avais déjà dit qu’une LEPI bien pensée et bien menée dans les règles de l’art n’était pas réalisable pour 2011. Même bâclée comme c’est le cas actuellement, cette LEPI de Boni Yayi ne peut pas être prête pour 2011. Ce n’est pas une insinuation, c’est une certitude mathématique. Les gens peuvent gesticuler et intoxiquer comme ils veulent, ils ne pourront que tourner en rond. La Lepi ne peut pas être effective pour 2011.
Lnt : Il y a environ deux ans (février 2009) vous aviez été le 1er à parler des insuffisances de la LEPI, que reprochiez-vous à la procédure ?
Les élections de 2011 représentent les élections de tous les dangers. Le mécanisme électoral actuel présente certes ses insuffisances, mais offre l’avantage d’avoir été si éprouvé qu’on en cerne facilement les déficiences. Face à la complexité et l’excitabilité des élections de 2011, est-il prudent d’engager l’avenir de notre pays dans un mécanisme jamais éprouvé chez nous ? Après toutes les étapes de la LEPI, on devrait l’expérimenter avec des élections moins sensibles comme par exemple les municipales.
Lnt : Quelles sont selon vous les conditions qui doivent entrer en ligne de compte pour la réalisation d’une bonne Lépi ?
Vu sous l’angle politique, on devrait lancer le processus de mise en place de la LEPI soit au début du mandat d’un nouveau Président de la République, au moment où il n’a pas encore pris goût au Pouvoir, soit au cours d’un second et dernier mandat. Mais vous ne pouvez pas demander à un Président, candidat à sa propre succession, d’organiser en Afrique un processus comme la LEPI sans qu’il ne cherche à tirer d’une manière ou d’une autre le drap de son côté.
Ensuite, on devrait profiter de ce processus pour régler en amont le problème de l’état civil et octroyer à tous les citoyens béninois leur acte de naissance. Aujourd’hui, même des étrangers réussissent à se faire enregistrer pour voter. Une fois le problème de l’état civil réglé, l’usage de la biométrie ne serait plus obligatoire. Car l’usage de la biométrie signifie l’enregistrement des empreintes digitales des Béninois dans des bases de données informatiques. L’enregistrement des empreintes digitales d’un individu dans un ordinateur, même si le système l’enregistre codé, présente de grands risques, dangers et dérapages futurs difficilement maîtrisables. Ailleurs dans le monde, la question de l’enregistrement biométrique des données individuelles dans un fichier national suscite beaucoup de controverses. L’usage de la biométrie, avec enregistrement dans des bases de données informatiques est perçu par une certaine opinion que je comprends comme une une violation grave des libertés individuelles et des droits humains. Le Bénin a toujours été à l’avant-garde de la démocratie et de la protection des libertés en Afrique. Que deviendraient par exemple les citoyens le jour où le chef de l’Etat béninois deviendrait un tyran, un dictateur disposant de l’enregistrement biométrique de toute la population ?
Il fallait aussi correctement régler les contraintes techniques, liées à la disponibilité en qualité et en quantité des ressources humaines spécialisées en informatique, les problèmes de la disponibilité de l’énergie électrique pour suppléer ou renouveler l’autonomie des batteries des kits d’enregistrement, les problèmes liés au transfert des informations des Centres d’enregistrement vers le serveur central situé à Cotonou. Actuellement cela se fait de façon illégale par des supports amovibles comme des DVD et CD avec tous les risques de pertes, de dégradation du support voire de leur détournement. Le dernier problème préoccupant est lié à l’honnêteté, à l’impartialité politique des personnes chargées des validations des traitements post-inscriptions puis aux modalités de contrôle de la sincérité des dédoublonnages.
Enfin,dans les pays sérieux, un projet d’une telle envergure politique nécessite une phase pilote avant une mise en œuvre en grandeur nature. La phase pilote permet de se rendre compte des erreurs, des difficultés, des bugs techniques et des imprévus dans la conception
Lnt : La LEPI est-elle un gage pour la réélection de Boni Yayi en 2011 ?
Le Président Yayi Boni a été élu à 75% en 2006 sans LEPI, avec 35% au 1er tour alors qu’il n’avait presque personne dans le dispositif électoral, surtout de la CENA. Si la fraude était si criarde, lui il n’avait aucune chance de réussir face à ceux qui avaient la machine en main. On n’a donc pas le droit de mettre en péril la paix nationale avec une mise en œuvre précipitée de la Lepi. Elle doit se faire, mais en respectant toutes les étapes, avec les délais normaux et raisonnables. A voir la façon dont Yayi s’empresse à imposer sa Lepi, c’est qu’il y a anguille sous roche. Les dés sont pipés.