La situation en Côte d’Ivoire est affligeante. La communauté internationale s’est détournée d’un cas pour le moins inextricable. Après avoir fait mine de s’émouvoir du sort d’un Chef d’Etat élu et lésé de sa victoire. Après avoir semblé s’intéresser au dessein d’un peuple ou plutôt d’une partie du peuple qui ploie sous le joug d’une dictature naissante. Après s’être montrée déterminée à agir dans le sens où tournait le vent. Et puis, plus rien. Depuis, c’est le printemps arabe qui occupe les esprits. Et l’aube de l’odyssée qui engendre les peurs. Les Ivoiriens peuvent toujours attendre. Attendre la résolution que la CEDEAO espère voir voter pour enfin entrer en action. Que d’encres ont coulé depuis novembre 2010 et l’invraisemblable issue de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire ! Chaque analyste y est allé de sa plus belle plume pour démontrer qui, de Laurent Koudou Gbagbo et Alassane Dramane Ouattara, est le vainqueur effectif du scrutin. A la lecture de toutes ces analyses, je me suis fait une religion. Ce qui pose problème dans la crise ivoirienne et qui amène certains observateurs à prendre le parti de Laurent Gbagbo, ce n’est pas tant le résultat de l’élection présidentielle. Il a été démontré à foison et récemment encore par le panel de l’Union africaine et ses experts, que Laurent Gbagbo n’a rien gagné du tout. Le soutien qu’il capitalise tient simplement à un nationalisme de ras de pâquerettes que certains africains ont cru bon devoir développer. Ce type de nationalisme navrant qui préfère laisser Mouammar Kadhafi massacrer son peuple plutôt que de le voir chassé avec l’aide de la communauté internationale. Ce même type de nationalisme pathétique qui sert de bouclier à Robert Mugabe pour continuer à affamer les zimbabwéens parce que son opposition est soutenue par la Grande Bretagne. Ce nationalisme qui ne défend en réalité que les leaders en butte aux principes de bonne gouvernance et de respect des droits de l’homme.
C’est l’expression à son paroxysme de ce nationalisme qui a, il y a quelques mois, contraint la CEDEAO avec à sa tête le Nigeria, à renoncer à une intervention militaire immédiate pour faire partir Laurent Gbagbo. Faisant perdre à l’organisation sous-régionale un temps précieux et de toute évidence, la détermination qui était la sienne il y a deux mois encore. Au dernier sommet en date des Chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO, où la situation de la Côte d’Ivoire était à nouveau à l’ordre du jour, le sujet a semblé tout simplement être botté en touche. C’est désormais une résolution des Nations unies qu’attendront Jonathan Goodluck et ses pairs pour mettre en œuvre l’action militaire qui semblait pourtant déjà si plausible par le passé. Comme à l’accoutumée, un événement récent dans le cours des relations internationales est venu changer la donne : la résolution 1973 sur la Libye. Elle a ouvert la voie à une action légitime dans une situation certes urgente, mais postérieure à celle que vit la Côte d’Ivoire depuis la fin de l’année 2010. Désormais, il ne sera pas question pour la CEDEAO d’intervenir dans les conditions de l’absence d’une résolution des nations unies. De fait, la balle passe dans le camp des puissances occidentales.
Les chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO auraient-ils essayé de cette façon de se débarrasser d’un dossier dans lequel toute action et toute inaction sont susceptibles de susciter un tollé ? Ou faut-il vraiment penser que le besoin de légitimation de l’action militaire internationale a pris le dessus ? Dans un contexte où le gouvernement de Laurent Gbagbo vient de perdre un de ses derniers soutiens que se trouvait être le Président Jose Eduardo dos Santos de l’Angola, qui reconnaît désormais la légitimité d’Alassane Dramane Ouattara, je penche plutôt pour la seconde hypothèse. Il est vrai que les Africains doivent placer tout autant que les Occidentaux leurs actions internationales sous le couvert du Conseil de sécurité des Nations unies. Pour la respectabilité induite et pour priver d’un argument les éternels adversaires de l’avancée démocratique.
Il est évident que la décision ainsi prise par la CEDEAO éloigne pour quelques jours, quelques semaines ou même définitivement de Laurent Gbagbo le spectre d’une intervention armée pour mettre fin à son usurpation du pouvoir. Les membres permanents du conseil de sécurité que sont la Chine et la Russie risquent en effet d’opposer leur veto à une action de la nature de celle qu’appelle de ses vœux Alassane Ouattara. Resterait alors à savoir quelle porte de sortie pourront choisir les partisans d’une intervention armée au sein de la CEDEAO.
La Côte d’Ivoire n’a pas de pétrole, pas beaucoup. Elle ne fait pas courir la France, les Etats-Unis d’Amérique et la Grande Bretagne. On n’y meurt pas encore assez pour amener à une éventuelle abstention de la part de la Russie et de la Chine en cas de vote au Conseil de sécurité. Mais au sein de la CEDEAO, elle est un géant. Un colosse économique dont l’essoufflement risque à terme de faire plus de mal que prévu à ses voisins. L’option militaire s’éloigne encore une fois peut-être, mais il est des responsabilités africaines, mieux ouest-africaines que les Occidentaux ne viendront pas prendre à notre place. Ne clamons-nous pas à qui veut entendre que nous sommes suffisamment mâtures pour nous déterminer par nous-mêmes ? Il serait temps de le prouver. Sans plus verser le sang des ivoiriens… Si possible.
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