Bénin – Jamais une élection présidentielle au Bénin n’a soulevé autant de réprobation populaire par son caractère insolite et cafouilleux. A quatre jours du scrutin, rien ne semble présager d’une effectivité des élections. Absence de liste électorale, éviction du tiers du corps électoral, cafouillage autour de la délivrance des cartes d’électeur et surtout violation flagrante des lois électorales… La confusion s’installe et la tension monte. Un mauvais présage lorsqu’on mesure les enjeux autour de ces élections.
Le constat est pourtant paradoxal et écœure nombre de béninois. Annoncée comme un outil de développement et de renforcement de notre système démocratique, la Lepi (Liste électorale permanente informatisée) est devenue subitement un outil de prédation de la démocratie. Par la force d’un mauvais usage ou par souci de machination politique certainement. Depuis qu’une décision de la Cour constitutionnelle l’a rendue incontournable pour l’élection présidentielle de 2011, elle est devenue le sujet de toutes les sollicitudes et de toutes les contestations. Comme pomme de discorde, l’éviction de près de 1,3 millions de votants potentiels pour les dix années à venir. Et la colère gronde. C’est d’abord l’opposition qui se sent lésée dans cette affaire et qui charge la Commission politique de supervision de la Lepi (Cps-Lepi) accusé d’avoir fait un travail bâclé. Puis, les centrales syndicales qui n’acceptent pas que des milliers de travailleurs soient laissés sur le carreau. A l’unisson, l’opposition et les syndicats réclament l’intégration des personnes écartées sur la liste afin de ne pas les priver de leurs droits de vote pour dix ans. La mouvance présidentielle semble faire la sourde oreille, accusant même l’opposition d’avoir entre temps, demandé le boycott à ses militants. En pleine campagne électorale, chose inouïe au Bénin, des militants de l’opposition ont osé marcher sur la Cour constitutionnelle accusée ainsi d’avoir cautionné une telle pagaille en la rendant obligatoire alors que le temps ne suffisait plus pour le faire. C’est alors que l’ancien président de la république, Emile Derlin Zinsou, décide d’entrer dans la danse pour apaiser la tension politique. Avec le concours de son collègue Nicéphore Soglo, il organise une table ronde qui eut le mérite -depuis plus d’un an- de réunir à la même table de discussion tous les acteurs politiques. Cette table ronde débouche sur deux grandes décisions: auditer la Lepi par des experts internationaux et voter en procédure d’urgence une loi qui permette de prendre en compte les personnes abandonnées par le processus. Seulement depuis le samedi dernier que ces acteurs sont allés voir le Chef de l’Etat pour lui exposer ces décisions, ce dernier n’a rien fait pour aider à leur application. On peut donc noter une mauvaise volonté de la part de la mouvance présidentielle à respecter cette décision prise de façon consensuelle. Son seul souci est le respect des délais constitutionnels. Drôle de réaction de la part d’un Chef de l’Etat qui sait pertinemment qu’aucun délai n’est respecté depuis le début du processus électoral.
L’option suicidaire que Yayi doit éviter
L’obsession du pouvoir est une faiblesse qui obscurcit le jugement. Dans sa volonté de rempiler à tout prix, Yayi n’est prêt à ne faire aucune concession. L’opposition devenue très puissante avec l’enrôlement d’anciens alliés du Chef de l’Etat entend lui reprendre le pouvoir par tous les moyens. L’enjeu de cette élection est grand. Pour Boni Yayi, Il faut respecter les délais constitutionnels en organisant l’élection le 6 mars prochain coûte que coûte. Or, rien ne semble confirmer l’effectivité de l’élection. La liste électorale demeure toujours un mystère et le cafouillage autour de la délivrance des cartes d’électeur sont toujours des motifs d’inquiétude. Refusant le compromis, Yayi donne l’impression de ne pas vouloir que les choses se passent bien. Ainsi, il pourrait profiter de la confusion pour se faire réélire. Mais il semble perdre de vue que s’il est élu à la suite d’une élection bâclée, il sera fortement contesté par l’opposition mais aussi par les syndicats. Et bonjour les grèves et probablement l’insurrection populaire. A l’extérieur, il pourrait aussi perdre des partenaires sûrs qui investissent au Bénin à cause de la bonne santé de notre démocratie. S’il ne gagne pas, Boni Yayi risque de subir les rigueurs de la loi en réponses aux nombreux scandales au sommet de l’Etat.
Au soir du 06 mars, on pourrait avoir une parodie d’élection qui produise un président très contesté à l’intérieur. Ce qui sera à déplorer, c’est la perturbation de la paix légendaire qui caractérise notre pays, c’est notre démocratie marquée par des élections pacifiques et plus ou moins transparentes depuis 1990. Ce qu’on va perdre, c’est l’essence même de la république, première source de devise extérieure depuis 1990.
Boni Yayi a un choix à faire, respecter la démocratie ou organiser une parodie d’élection afin d’entrer tristement dans l’histoire. Malheureusement, il continue de brandir le respect des délais constitutionnels pour vouloir foncer, tête baissée.
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