Influence de l’argent dans les élections au Bénin: un travail de recherche scientifiquement mené, dixit L. Wantchékon

La récente étude de l’Ireep (institut de recherche empirique en économie politique) relative à  l’influence de l’argent dans le choix des électeurs béninois a frappé l’attention de nos nombreux lecteurs, y compris de ceux de nos internautes. Anticipant leurs réactions sur les résultats de l’étude aux conclusions hautement polémiques, nous sommes allés à la rencontre de l’éminent chercheur et directeur de l’Institut, le professeur Léonard Wantchékon de la prestigieuse université de Princeton aux USA. Pour une interview en règle et sans concession dont les réponses sans fards qu’elles ont appelées de la part de l’homme suffisent à dissiper les préoccupations des uns et des autres, si ce n’est à renforcer leurs légitimes inquiétudes. C’est selon… L’effet de l’argent directement reçu sur le vote des électeurs au Bénin au lieu d’une étude sur les conditions de la mise en place la liste électorale tant controversée, par exemple, telle est la contribution de l’Ireep et le professeur d’expliquer en tout premier lieu que ses études avaient commencé en 2001 déjà…

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Professeur Léonard Wantchékon

C’est une étude qui a démarré en 2001 et qui consiste à voir si une campagne basée sur des projets de société pourrait avoir l’adhésion populaire. Les résultats de l’étude ont été disponibles en 2003. Et la réponse est négative.  Lorsque qu’on mène une campagne d’ordre général, où on aborde sa vision d’avenir, à propos des politiques publiques, on obtient en moyenne moins de vote que si on utilise la méthode traditionnelle, celle des promesses ciblées aux gens: «Je vous aime, je vais vous ouvrir une école, une route…». Ce qu’on appelle couramment du clientélisme. Les résultats de l’étude de 2001 confortent l’idée qu’en Afrique, la démocratie ne peut se développer parce que les électeurs ne s’intéressent qu’aux profits immédiats, ceux qui leur reviennent directement, qu’aux projets de société. C’est un constat. On s’est dit au fond, que cela est peut être lié à la façon dont les projets de société leur sont communiqués. Le problème n’est pas que les gens ne peuvent pas comprendre que la route qui va de Porto-Novo à Savè, en passant par Adjohoun et Zangnanado, pour désenclaver leur région, les arrange. Ce n’est pas que les gens sont opposés, par exemple, à une politique nationale de lutte contre l’emploi. Nous nous sommes aperçus que le problème est au niveau de la communication. C’est pour cela que nous avons pensé à une autre forme d’étude où la démarche a été de raffiner l’étude précédente pour que les projets de société soient communiqués par des réunions publiques locales où, au lieu des grands meeting électoraux avec fanfare, il est plutôt question d’aller à la rencontre des populations, pour y instaurer un débat, des échanges entre eux et les représentants des candidats en lice. On s’est par hypothèse demandé si  cette approche ne  changerait pas les résultats initiaux que nous avons eus en 2001. Nous l’avons fait en 2006 avec plusieurs candidats à la présidentielle dont Antoine Dayori, Léady Soglo, Adrien Houngbédji, Bruno Amoussou et Boni Yayi. Les résultats ont été essentiellement que lorsqu’on fait ce type de campagne de proximité où on communique aux gens sa vision, à l’occasion de petites réunions locales, cela a un effet positif sur leur participation. On a la certitude de voir les gens venir voter en grand nombre. Mais l’effet sur le vote lui-même pour le candidat, ne l’était pas clairement. Sur le plan statistique, cela posait problème parce que nous avons mené notre étude dans 13 villages.

Dans les milieux de la science politique, les gens étaient très intéressés. Puisse que cela montre que le clientélisme, l’achat de vote, etc. ne sont pas une fatalité en Afrique. Au contraire, la communication d’une vision à long terme peut avoir l’adhésion des gens lorsqu’on va vers eux. Et c’est là qu’en novembre 2010, nous sommes passés à la troisième édition de nos études, cette fois en passant à 60 afin de faire les choses de façon beaucoup plus sophistiquée, beaucoup plus rigoureuse que ce que nous avons fais précédemment.

Vous avez mis des activistes derrière les hommes politiques. Quelle chance avez-vous qu’ils soient neutres?

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Chaque équipe est mixte et composée d’un assistant de recherche qui travaille avec moi et un activiste du parti visé. Le rôle de l’activiste, c’est de s’assurer que le message de son parti va être transmis aux populations et qu’on ne va pas vers elles pour saboter le parti et son candidat. Et le rôle de l’assistant de recherche est de s’assurer que l’activiste n’aille pas insulter les autres candidats. La campagne que nous avions menée se voulait très «clean» et basée sur les réunions, les problèmes des gens et sans insultes. Rien de ce qui va faire biaiser les résultats n’a été utilisé comme méthode. Si bien que finalement la campagne n’est pas différente du point de vue de son contenu et de l’approche, lorsqu’on passe d’un village à un autre.

Aucune campagne politique ne se déroule comme ça. De façon si aseptisée…

Oui, mais le problème n’est pas là. On sait qu’il y a toujours une part d’attaque personnelle, d’invectives, de meetings électoraux avec fanfares. Et il y a une part de la campagne fondée sur les débats, les échanges sur les politiques. Dans les pays développés, il y a un équilibre entre les deux. Ici, il n‘y a que l’un sans l’autre. C’est là le problème. Notre problème n’est pas de conseiller à l’un de ne jamais rien dire contre l’autre. Ce n’est pas possible. Il y a aura toujours des dérapages.

Y en a-t-il eu à l’occasion de ces études là?

Non. Pas dans nos localités. Dans nos localités, nous avons eu le contrôle des choses. En fait, c’est une étude de laboratoire pour montrer qu’une approche de campagne participative peut conduire à l’adhésion des populations, qu’il y a des choses auxquelles on n’a jamais pensé que les gens peuvent sortir de ces genres de réunions. C’est une façon d’éduquer non seulement les populations mais aussi les partis politiques, à cette approche de campagne. Et pour les résultats, il faut en filtrer les éléments afin de montrer les effets spécifiques des réunions qui ne doivent pas être mélangés avec les insultes, les grands meetings électoraux avec fanfare. Nous avons réussi à en isoler des aspects.

Vous avez instauré une campagne de type aseptisé qu’on ne voit pas chez nous. N’est-ce pas qu’à votre départ, les politiciens ont pu revenir sur leurs pas?

Non, non! Dans une commune, il y  a 100 villages et nous n’en avons choisi que deux pour faire notre travail de façon moderne. A l’occasion, nous avons eu la main entièrement libre, du début à la fin de la campagne et nos activistes qui sont payés pour le travail sont restés là pendant toute la période électorale. Nous avons payé la campagne des candidats dans deux villages sur cent. Ce serait une perte de temps pour eux de revenir dans ces villages pour utiliser leurs ressources alors qu’on s’est entendu, en signant un contrat avec chacun d’eux afin qu’ils nous laissent expérimenter cette campagne-là dans ces localités-là.

Vous avez payé qui?

Pour la logistique, par exemple. L’assistant de recherche a eu besoin de voyager pour se rendre dans sa localité. Il lui faut manger, se loger… Nous avons payée 1000 FCFA au gongonneur, 1000 FCFA au chef du village afin qu’il aille rassembler les gens. C’est tout.

Vous avez ainsi payé à la place des partis qui en temps normal auraient assumé ces charges… N’est-ce pas là pour eux, une occasion ratée de faire parler l’argent?

Ce n’est pas possible d’organiser cinq réunions dans un village sur trois semaines et de demander de façon gratuite à quelqu’un de se lever le matin pour aller gongonner dans tout le village, de nous aider à rassembler les gens. On a demandé au chef village de passer de maison en maison pour faire venir les gens. C’est un service qu’on leur demande. Ça fait partie de l’étude. On a payé des gens pour faire une enquête. On leur a donné le matériel pour ces enquêtes. C’est ce qui se fait dans toutes les enquêtes statistiques. Et l’Insae au Bénin (institut national de la statistique et de l’analyse économique) ne fait pas autre chose. Ce que nous ne faisons pas, c’est de distribuer des tee-shirts et de l’argent aux personnes enquêtées. Après ou avant une réunion électorale, les gens vous demandent, en général, ce que vous avez apporté. Et il leur est distribué 1000 FCFA, 5000 FCFA ou  10.000 FCFA… Cela, nous ne l’avons pas fait du tout.

Il y a un grand débat en sciences politiques de nos jours: celui de savoir ce qu’est le clientélisme et l’achat de vote. Il y a un groupe de gens qui se sentent mal à l’aise avec le concept même d’achat de vote et la façon dont on mesure cela. Est-ce parce qu’on a vu le candidat dépenser et qu’après, il a gagné qu’on va conclure qu’il y a eu achat de vote? On devrait plutôt se poser pas la  question de savoir si les gens auraient voté de la même façon, s’ils n’avaient pas reçu de l’argent. Si le candidat a dépensé moins, aurait-il eu moins de vote? S’il a dépensé plus, aurait-il eu plus de vote? On ne le sait pas. C’est une question difficile. Nous avons justement choisi de répondre à cela avec la méthode statistique. Et nous avons posé la question de savoir si les gens ont reçu de l’argent. 30% ont répondu oui. 70 % des gens ont dit non. Il y a aussi 30% de gens qui ont dit avoir reçu des tee-shirts, des cadeaux, etc. C’est à peu près les mêmes personnes qui ont  reçu des tee-shirts qui ont reçu l’argent, etc. On connait le niveau de revenu des gens, leur éducation. On sait la façon dont ils voulaient voter au départ puisqu’on leur a demandé et la façon dont ils ont voté en fin des comptes. Est-ce qu’ils sont allés voter ou non? On leur a même demandé de classer les candidats par ordre d’arrivée. C’est sur la base des réponses à ces questions que nous avons pu comparer quelqu’un de même profil dans le groupe de ceux qui ont reçu l’argent et dans celui de ceux qui n’ont pas reçu de l’argent. Et nous avons remarqué qu’en moyenne, ils ont voté de la même façon. C’est comme cela que nous avons répondu à la question.

On a vu que ce n’est pas l’argent qui a fondamentalement déterminé la différence de vote entre ceux qui ont pris l’argent et ceux qui n’en ont pas pris. Il y a d’autres facteurs. S’il y en a un qui a clairement influencé le vote des gens, ce n’est pas l’argent, selon les données rigoureuses que nous avons collectées de 2001 à maintenant, en trois rounds de données. Et au moment où nous avons commencé nos études, Boni Yayi n’était même pas encore en vue comme candidat aux élections. L’année dernière, lorsqu’on le faisait, on ne savait même pas qu’il allait être président. Et on a commencé en 2010 bien avant les élections. En tant que politologue, je peux vous dire que c’est une question qui est posée en Argentine, au Liban, partout, de savoir si les gens vendent leur vote ou non. Certains disent qu’on ne peut pas seulement considérer le résultat et le fait qu’il y a eu de l’argent de distribué pour conclure qu’il y a eu achat de vote. Si j’ai le gari [farine à base de manioc] que j’ai reçu, que je l’ai payé ou non, je ne l’ai pas acheté. C’est-à-dire que si je paye alors que j’aurais pu l’avoir gratuitement, c’est que j’ai jeté mon argent par la fenêtre. Le concept d’achat est lié au fait qu’il y a une différence entre le fait de payer et de ne pas payer. Si tu payes, tu as. Si tu ne payes pas tu n’as pas. Si tu payes ou tu ne payes pas et que tu as la même chose, ce n’est pas achat.

Pourquoi je trouve que nos études ont abouti à des résultats importants. C’est que cela montre que la corruption électorale n’est pas au niveau des électeurs. Ce ne sont pas eux qui sont les vecteurs de la corruption électorale. Ceux qui sont les vecteurs de la corruption électorale, ce sont les intermédiaires, les courtiers de vote… C’est ceux-là qui sont achetés. C’est ceux-là qui changent de bord d’élection en élection, de mois en mois ou d’année en année. C’est eux qui prennent l’essentiel des sous et qui, sur la base de leurs intérêts, mobilisent les populations en leur expliquant que voilà: «moi, je suis du coin, je suis un des vôtres, si vous écoutez ce que je vous ai dit, celui pour qui voter, nous aurons la route, nous aurons ceci et cela…». Donc, les gens votent pour les promesses électorales sur la base de la consigne que quelqu’un de la localité, proche du candidat, leur a demandée. Mais celui-là a reçu de l’argent pour le faire. Et même si de l’argent a été distribué aux gens, on ne peut pas parler d’achat, on peut tout au plus parler de tentative de corruption, pas même de corruption. L’argent a été distribué mais le résultat aurait été le même que s’il n’y en avait pas eu. Au fait, nos résultats valorisent davantage nos populations. Cela valorise les électeurs africains. Donc, il y a espoir. Ce qui est humiliant dans ce débat de l’achat des votes, c’est l’idée que les gens peuvent préférer prendre 500 FCFA au projet de construction d’école, de route, à la campagne de vaccination… Je me suis dit que s’ils n’ont pas compris que 500 FCFA ne valent pas ces projets, lors des élections de 2001, ils l’auront compris pendant les élections de 2006 ou à l’occasion de celles  de 2011. L’idée que de tous temps, les gens se font duper, qu’ils n’ont pas pu tirer leçons de leur parcours sociopolitique est une insulte. Et le fait que les données statistiques montrent que ce n’est pas le cas, que les gens votent, non pas sur la base de 500 FCFA mais sur la base soit des considérations ethniques, n’est pas de la corruption. Ils peuvent voter, par ailleurs, sur la base de la crédibilité du candidat.

Comment se mesure la crédibilité du candidat, lorsqu’en général, les électeurs ne le connaissent pas?

La crédibilité, dans ce cas, peut être déléguée. Quelqu’un qui est avec lui, qui le connait, quelqu’un de très haut placé (le maire, un cadre de la région) et qui vous dit: «Croyez-moi, la route qui passe ici, moi je suis en contact avec le candidat et il promet de la reconstruire. Il va le faire!». Et donc par son intermédiaire, la promesse a une petite part de crédibilité qui aide le candidat à glaner des voix. Là où, c’est encore intéressant, c’est que si on veut combattre la corruption électorale, notre résultat s’avère important, parce qu’il montre aux partis politiques et aux candidats qu’ils dépensent leur argent sans aucun effet. Il ne s’agit pas d’affirmations gratuites. Nous avons fait la collecte des données de façon totalement scientifique et on a abouti à ces conclusions-là. Et il faut savoir qu’en Afrique, lorsque le vote n’est pas en faveur des politiciens, ces derniers redécouvrent toutes les tares des populations. Ils ne se disent pas avoir eu une mauvaise approche en n’ayant pas parlé leur langue aux populations, en n’ayant pas commencé assez tôt la campagne, etc. Ils dégagent toute la responsabilité sur les électeurs. Selon les pays où j’ai été, c’est suicidaire de procéder comme ça. On ne peut pas insulter les gens en pensant qu’on a échoué parce qu’ils sont bêtes. On devrait se dire qu’on a perdu parce qu’on n’a pas eu la bonne approche. La responsabilité est sur soi, absolument.

Et votre méthodologie a abouti à ces conclusions?

C’est cela.

Pour vous, l’électeur Béninois réagit comme son homologue Finlandais, Américain…

Tout à fait!

Vraiment? Nonobstant sa situation économique complètement…

C’est ça qui est fascinant. Il faut voir le film des réunions où nous avons collecté nos données. C’est à s’y méprendre. Lorsqu’on a annoncé la réunion à Djougou, les femmes de la localité se sont réunies la nuit pour dire que ce sera leur tour maintenant de parler aux candidats. Et elles ont longuement discuté et débattu au point de nommer un délégué pour porter leur message à la réunion. De réunion en réunion, leur nombre grossissait. Il est arrivé que dans des localités, notamment dans le nord, tout le village soit venu à la dernière réunion. A aucune des réunions, nous n’avons intéressé les gens. D’abord, nous n’en avons pas les moyens et, en suite, cela ne faisait pas partie de nos méthodes. Malgré cela, nous avons noté cet enthousiasme des gens. Et au fond, ça montre que l’argent qu’on distribue à la fin, est beaucoup plus devenu un rituel sans lequel les gens comprennent l’essentiel. Et donc ce qui est fondamental, c’est d’avoir démontré que les gens sont capables de comprendre, si on leur donne l’opportunité de comprendre ce qui va se passer dans une élection. Et lorsqu’on leur donne l’opportunité, ils réagissent tout de suite.

On vous donnerait quitus de vos résultats parce qu’on sait que les partis politique sont absents sur le terrain. Jamais de meetings, jamais d’université d’été… Ils évitent même les débats contradictoires au sein de leur formation. Pas de débats d’idée. Du jour au lendemain, c’est un certain clash. Dans la presse nous le déplorons tous les jours, qu’ils ne nous apportent pas les thématiques qu’il faut au moment où il faut. Et ce n’est qu’à l’approche des élections qu’ils se remettent en jeu. Mais quand vous dites que l’argent n’influence pas le choix des électeurs, vos explications et votre démarche sont perçues, mais…

Je précise que c’est l’argent directement donné aux électeurs qui n’influence pas leur choix. Maintenant, il est possible que l’argent envoyé aux intermédiaires détermine le choix des électeurs.

Réalisée par Emmanuel S. Tachin & Vincent Foly

Boni Yayi 2011 serait-il différent de Mathieu Kérékou 2001?

Le professeur Wantchékon est un économiste respectable et respecté que je connais bien. Peut être que son souci de se voir décerner le titre de « meilleur économiste africain » l’amène à « overreach ». En effet comment comprendre qu’un chercheur sorte des affirmations aussi péremptoires, après avoir fait une « enquête » sur 150 villages pendant un seul cycle électorale « : «L’argent n’a strictement aucun (souligné par moi) effet sur le vote, encore moins sur la participation électorale ». On attend d’un chercheur en sciences sociales (même si l’économie se donne des prétentions de science exacte avec l’usage exagéré de modèles mathématiques et de théories des jeux), un peu plus de nuance et l’exercice d’une petite dose de doute cartésien. L’influence de l’argent ne se mesure pas seulement dans l’achat direct des consciences. La force du clientélisme ne s’exerce pas dans les 10 jours de campagne. Les opinions et décisions de vote ne se font pas exclusivement au cours de la campagne officielle (d’une durée très courte, par ailleurs, chez nous). Les clientèles politiques sont construites sur la durée par la distribution de faveurs (pas seulement des espèces sonnantes et trébuchantes) sur la durée, par des lieutenants, des chefs de clans etc.

On attend de nos chercheurs en science politique qu’ils fassent des recherches sérieuses et documentées au lieu de nous monter des pseudo enquêtes statistiques sur de faibles échantillons pour justifier des positions a priori et auréoler d’une couverture pseudo-scientifique des thèses qui vont à l’encontre du vécu quotidien des peuples. Quels sont les termes des projets de société dont ont parlé les « enquêteurs » du dispositif de l’Ireep? Quelle vision ont-ils offerte aux peuples?

Il s’agit ici d’une étude qui se veut scientifique et qui tire des conclusions larges… Quand le modérateur des travaux de restitution, le Sénégalais Bally Sall, dit « l’hypothèse selon laquelle dans le jeu démocratique africain, la relation entre les dirigeants et le peuple est basée sur le clientélisme politique », on voit là au-delà de la distribution de billets de 500 FCFA, ici et là…

Je connais un peu les liens de cette structure avec les milieux de la recherche en science politique sur l’Afrique aux USA. On ne peut pas permettre que consciemment ou non, le professeur prête son crédit (gagné aussi bien dans la lutte contre l’autocratie de Kérékou que dans le milieu universitaire) à un travail approximatif qui débouche sur des conclusions générales qui influencent l’image qu’on se fait du pays et au-delà des décisions politiques au plus haut niveau… La recherche aux USA est très portée sur les études quantitatives et tout ce qui est basé sur des données chiffrées, des statistiques est tout de suite auréolé d’un pouvoir de persuasion, ce dont le professeur est certainement conscient. Dans ces conditions, quand des chercheurs africains font une étude statistique (même si la taille de l’échantillon, l’échantillonnage et les protocoles d’enquêtes sont discutables) et qu’ils arrivent à des conclusions du genre: « il n’y a pas de clientélisme, l’argent ne joue strictement aucun rôle dans le vote, cela est pris presque comme vérité d’Évangile. La réalité est que l’argent et le clientélisme en général ont encore un rôle déterminant dans le vote de beaucoup d’électeurs. Le clientélisme passe par le népotisme (on place les fils du village, les « fofos » du clan à des postes, ce qui permet de redistribuer des avantages ou de les faire miroiter, la protection ou des retombées diverses).

Même si des progrès sont réels, la réalité dans nos campagnes est malheureusement celle du moyen-âge du vote, car l’Etat n’est pas « impartial » et ne sert pas les citoyens de façon équitable. Des intermédiaires et des relais sont crées (ministres, députées, directeurs aux fins de distribuer la manne de l’Etat, d’assurer que les petits-frères réussissent aux concours truqués, recrutés sans mérite, poursuivant et ancrant le clientélisme, de génération en génération. Toute opposition est découragée, sinon détruite, l’opposant se voyant privé des moyens de distribuer la « manne de l’Etat » puisque n’étant pas au pouvoir.

Au lieu de démontrer et démasquer ces mécanismes qui assurent la conquête et la conservation du pouvoir par des moyens anti-démocratiques, on glose sur des enquêtes dans 150 villages pour accorder un blanc-seing à la fraude électorale, au népotisme, au clientélisme institutionnalisé. Qui a besoin de distribuer 500 F CFA quand le pouvoir en place en a accordé pendant 5 ans des milliers?

Dans une enquête similaire conduite en 2001, le professeur était parvenu à des conclusions opposées. La situation et la force du clientélisme auraient-elles dramatiquement changé en 10 ans ou bien le reportage de la «La Nouvelle Tribune» est-il réducteur (je n’ai ni assisté à la conférence, ni eu accès aux résultats des travaux, sauf par le compte rendu de la LNT). Et je soutiens que la crédibilité des appels clientélistes et l’accès aux bienfaits du clientélisme ont une grande influence sur le comportement électoral. Boni Yayi 2011 serait-il radicalement différent de Mathieu Kérékou 2001? Les électeurs béninois et le personnel politique béninois auraient-ils eux aussi radicalement changé en 10 ans? J’en doute…

Gombo

(Internaute du site www.lanouvelletribune.info réagissant au compte rendu de la conférence de restitution des résultats de l’étude de l’IREEP, quelques jours avant l’interview-complément de son directeur).

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