En fin d’exécution : le bilan en demi-teinte du MCA-Bénin constaté à Paris

A la Maison d’Afrique de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris, les 8 et 10 septembre derniers. Les officiels de l’Etat béninois, en tête desquels le ministre chargé de l’Économie maritime et des Infrastructures portuaires, Jean Michel Abimbola, étaient venus restituer le bilan d’exécution du Millenium Challenge Account (MCA). Et l’aréopage d’invités, dont des chefs d’entreprises et investisseurs français ainsi que la diaspora béninoise, de rester sur sa faim quant à l’effectivité de l’atteinte des objectifs du programme et son impact sur le vécu quotidien des hommes et femmes à qui il est supposé profiter.

C’est par un exposé très brillant, du reste, de la part du coordonnateur national du MCA-Bénin, M. Samuel Olukayodé Batcho, ponctué de chiffres éloquents que les réalisations du programme quinquennal -qui ne manquait pas de mordant dans l’esprit- ont été présentées. A la fin de la communication, une douzaine d’interventions regrettent, pour la plupart, que l’accent n’ait pas été mis sur l’éducation et la mise en place de mécanismes d’information en terme d’assistance aux personnes. La pertinente intervention de M. Augustin Johnson, jeune entrepreneur en France et au Bénin a soulevé la question de la pérennisation du peu de réformes initiées. Pour Me Saka -fils de son père, Feu Séfou Saka dit Aricoché Super- «il n’y pas de justice au Bénin». Après tout ce qui a été dit dans la salle, il ne lui semble pas que quelque chose ait fondamentalement changé. Ce que l’ambassadeur, Albert Agossou, n’a pas voulu entendre de cette oreille.

Pourtant, à propos de l’intérêt intrinsèque des volets du programme, une bonne partie de la salle devrait se montrer préoccupée, les uns et les autres cherchant à exprimer leurs inquiétudes pour ce qui est déjà réalisé, à près de 97%, et qui n’a pas convaincu par son contenu. Et ceci en plusieurs points.

Sur le volet «accès à la justice», au lieu de servir un résultat tout en béton armé (constructions de locaux dans les juridictions et d’un grand centre de documentation à Cotonou), destiné uniquement aux acteurs nantis et aux professionnels de la maison Justice, le programme aurait dû se préoccuper de ce qui était sa vocation de départ: apporter des outils pratiques aux plus modestes des contribuables et imaginer un dispositif d’assistance ainsi qu’un faisceau d’infos pratiques pouvant les aider à ne plus être d’éternels orphelins de leurs propres causes.

Ce volet devrait être avant tout l’accès au droit, dont la plupart des Béninois sont privés, par l’information sur les moyens que cela exige et par des renseignements sur les pratiques et tarifs publiés des officiers ministériels qui en font un mystère, rendant tous actes quasiment inaccessibles aux plus démunis qui n’y comprennent justement rien. C’est le sens de ces maisons du droit de proximité, ces permanences juridiques dont a parlé Me Adjalian à cette rencontre, avec un financement à long terme, dont l’Etat devra prendre le relais. Un minimum que les Américains avoueront ne pas avoir réussi à faire réaliser pour les Béninois dont le quotidien à ce niveau ne changera pas.

Le droit et sa pratique garde son grand mystère pour nos compatriotes qui, en dehors de tout acte écrit, continuent d’aller s’expliquer devant les brigades de gendarmerie et les commissariats de police, face à leurs puissants créanciers pour une dette civile modeste, la plupart du temps. Ils ne s’en sortent qu’au prix de promesses de règlement très contraignantes et, surtout, pour continuer à jouir de leur liberté d’aller et de venir, chose précieuse, pour le Béninois.

Du volet «accès au foncier». Pour un titre foncier à Sèmè dans l’Ouémé-Plateau ou Pahou dans l’Atlantique-Littoral, l’acquéreur de parcelle de bonne foi est confronté aux mêmes tracasseries que par le passé. Surtout si ses démarches débouchent sur une contestation de ces droits sur la base de documents similaires, régulièrement enregistrés ou délivrés par le même délégué de quartier ou chef de village, que les acquéreurs successifs, de bonne ou mauvaise foi, qu’ils ont beau jeu de manier pour figer la situation.

Quelles étaient alors les chances pour que le travail fait en ces cinq années d’exécution, dans un domaine aussi sensible de la vie de tous les Béninois que celui du droit réel de propriété, inviolable et inattaquable, ne débouche, comme c’est le cas, sur des approximations?

Elles étaient bien minces, ces chances, compte tenu de la qualité de la copie présentée et, accessoirement, compte tenu du fait que le gouvernement du Bénin, omniprésent à cette tribune à Paris, a bien fini par embrouiller une bonne partie du discours que la centaine de personnes dans la salle étaient prêtes à entendre.

Faiblesses dues aux connivences avec l’Etat

La récente loi sur la corruption que le MCA-Bénin a voulu mettre à son actif, comme beaucoup de lois avant elle, n’est pas vraiment ce qui est attendu de ce programme du défi et du challenge du millénaire que les Américains ont imaginé et validé sur la base d’une proposition de projets viables et savamment pensés. Ce n’est pas une loi de plus, quel que soit le sujet auquel il s’intéresse, qui garantirait au Bénin l’instruction des affaires de mœurs, surtout qu’elles ne s’adressent toujours qu’aux V.I.P de la République. C’est un peu comme si au Bénin il n’existait aucune loi pour juger les corrompus et c’est d’ailleurs à se demander s’il ne fallait que ce nouveau chapelet d’incriminations nouvelles pour commencer à les poursuivre.

Quant à l’«accès aux marchés», il suffisait pour MCA-Bénin de parvenir à doter les opérateurs économiques d’outils conséquents. Ces derniers pourraient ainsi s’approprier les procédures afin de vaincre la complexité des circuits traditionnels des formalités. Si c’est bien ce qui a été fait, il ne restera plus qu’à garantir la transparence dans la passation et l’attribution des marchés. Tout ceci devrait répondre à un cadre, à des règles et à la facilité qu’aura le soumissionnaire de se plaindre de voir sa cause instruite et éventuellement tranchée par une instance ad ‘hoc.

La coordination du programme s’est attaquée à un véritable chantier et s’est un peu fourvoyée sur les objectifs majeurs, laissant apparaître beaucoup de faiblesses dues sans doute à ses connivences avec l’Etat.

Est-ce le génie d’un homme qui a finalement fait défaut à la conduite éclairée de ces projets si intelligemment imaginés au départ et qui devraient apporter « un plus » à la société des analphabètes?

Lorsque l’ancien coordonnateur – Simon Pierre Adovèlandé- présentait le programme dans les mêmes lieux à Paris, il y a quatre ans, non seulement c’était en l’absence d’un gouvernement omniprésent mais encore et surtout c’était avec l’assurance et l’exigence que, seule une réelle indépendance au regard des pouvoirs publics donnerait du crédit à la mise en œuvre des projets et leur éviterait des interférences plus ou moins néfastes. On admettra que lorsqu’on fait chambre commune avec un gouvernement africain, pour conduire un projet doté de moyens aussi colossaux, c’est comme chercher la quadrature d’un cercle. Et à ce titre, on n’oubliera pas le bras de fer au terme duquel les Américains -qui avaient bien compris la manœuvre- ont fini par céder à Boni Yayi le fameux poste de président du Conseil d’administration du MCA-Bénin. Résultat des courses, tout le monde s’y est mis, y compris Albert Tévoédjrè -encore lui- s’occupant même de la vulgarisation pour le compte du MCA-Bénin. Les miettes ne devraient sûrement pas voler très bas dans ce cas là et cette ambition des débuts aura rapidement fait place à une absence de clairvoyance et de perspicacité.

Désormais, il existe des tribunaux flambants neufs dont on n’a pas prévu, tout simplement, qui on y jugerait. Quand on aura donné aux «moutons» que sont les citoyens, les moyens de savoir et de comprendre les mécanismes auxquels devraient se soumettre chaque justiciable pour faire entendre sa cause, chacun aura réellement conquis un petit espace de liberté et une place de choix dans la société nationale.

Au total, autant le public était émerveillé par les ambitions et les idées novatrices contenues dans ce programme à son départ, autant ses avis restent très partagés aujourd’hui, au vu des résultats présentés au parterre d’invités à la séance de restitution.

Ainsi, la délégation de la coordination du MCA-Bénin est revenue sur les bords de la Seine, tous frais payés, pour rendre compte du travail fait, à la diaspora béninoise parisienne. Pschitt! Le jeu valait-il la chandelle face à ce manque d’ambition quant à la plupart des réalisations? D’aucuns diraient que c’est pour être en mesure de consommer le restant des 13% du budget prévu au titre des frais de fonctionnement. C’est devenu un sport national. Qui s’en priverait? Le ministre chargé de l’Économie maritime et des Infrastructures portuaires qui, quatre mois plus tôt, ne connaissait rien de ce programme, qui n’était donc pas comptable du calendrier et des niveaux de réalisation (un seul des quatre projets avait un rapport avec son ministère), ne s’est pourtant pas privé de s’offrir, comme bien d’autres avant lui, une belle escapade aux frais de la princesse. Entre temps des centaines de milliards sont passés par là.

De Paris, Christian Désiré Houssou

Le Millennium Challenge Account-Bénin en bref

Le Millennium Challenge Account est un fonds du gouvernement des Etats Unis institué en 2004 par le Congrès américain pour aider les pays en voie de développement dans leur lutte contre la pauvreté par la stimulation de la croissance économique et l’amélioration du volume et de la qualité des investissements dans le secteur privé.

Le Bénin a été éligible en 2004 et l’accord de don a été signé en 2006 pour un montant de 307,298 millions de dollars US.

Ce programme d’une durée de cinq ans vise à l’amélioration des infrastructures physiques et à la mise en œuvre de réformes majeures à travers quatre projets: Accès au Foncier, Accès aux Services Financiers, Accès à la Justice, Accès aux Marchés.

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