(Des artistes à tout faire). Dans le monde du showbiz au Bénin, les choses évoluent comme par la loi de la jungle. Les plus forts et les plus rusés sont prompts et ont de quoi bouffer les plus faibles et les moins ingénieux. La seule force de l’inspiration artistique ne suffit plus et il faut savoir ramer pour sortir la tête de l’eau et percer dans le secteur.
L’assistance et la protection que l’Etat doit aux uns et aux autres n’ont pas l’air d’être à la portée de tous. Conséquence, le sauve-qui-peut est de règle dans ce secteur et les retombées des activités pour le budget national sont loin de permettre à l’économie et à l’Etat béninois de faire face à leur mission régalienne de promotion des valeurs du patrimoine artistique, tout court. L’exemple de deux artistes de la musique traditionnelle (Tchinkounmè et Toba hanyé) rencontrés fortuitement, il y a trois semaines, est la preuve tangible des maux qui minent le développement de l’art local, témoignant de ce que la musique ne saurait nourrir son homme sous nos cieux.
Dans les encablures du commissariat de police du quartier Houéhiho à Cotonou, par une après-midi ensoleillée, devant un garage de mécaniciens auto. Un premier individu, tout de boubou blanc vêtu passe, une pile de CD pris en tenailles, entre ses mains jointes. Le fait aurait été banalisé, n’eut été le passage d’un second qui, en toutes enjambées et tout en sueur, file à son tour sous mes yeux, comme s’élançant à la recherche du premier. Une interpellation bruyante de sa part, pour signifier a son alter ego que l’un ne devrait pas échapper à l’autre. Dans l’intérêt de la randonnée pédestre du groupe. Et le plus géant des deux s’arrête net, à attendre. Juste devant le garage où s’est déroulé notre entretien à bâtons rompus.
Azemanhugbèvi et Sèna de Covè: Nous vendons nos Cd parce qu’il n’y a pas de structures disponibles au Bénin pour le faire à notre place. Ceux qui se disent distributeurs ici, s’occupent des artistes qui ont déjà de la notoriété et leur renommée bien assurée. L’artiste émergeant, ce n’est pas de lui qu’on s’occupe. Ce qui fait que c’est nous-mêmes qui finançons nos productions. Il nous arrive de nous rapprocher de potentiels producteurs qui refusent. Et c’est nous mêmes qui produisons et distribuons. Tout nous revient.
Il s’agit de différents métiers que vous combinez en un. Et pourtant, on voit bien que vous avez du talent et que vos productions sont de bonne facture…
Nous avons bien du talent. Mais tant que nous n’avons pas quelqu’un pour s’occuper de nous, nous prendre en charge, nous sommes obligés de procéder ainsi.
En principe, votre boulot n’est pas d’être dans la rue, avec des Cd en main à les distribuer. Il s’agit pour vous d’être inspirés pour concevoir, de vous répéter au studio…
Actuellement, moi Azemahugbevi, j’ai un produit au studio du doyen El-Rego à Cocotomey. Et lui Sèna de Covè a le sien dans un autre studio. Nous les avons presque achevés. Maintenant, nous n’avons personne pour nous y aider. En principe, on devrait avoir un manager et un producteur. Mais nous ne les avons pas. Et comme nous avons notre métier dans la tête, nous avons donc entrepris de travailler sur toute la filière. Nous sommes si optimistes que tous les jours qui passent, nous nous persuadons du besoin de rencontrer un «bienfaiteur». Parfois, nous chantons du matin au soir, dans la rue et, le soir, venu de rentrer chacun chez soi. Et cela dure depuis un mois.
Quel est votre chiffre d’affaires par jour?
On rend grâce à Dieu. Des fois, nous vendons jusqu’à 20 Cd. L’unité est à 1000 F Cfa.
Vous ne payez ni de taxes ni d’impôts. Vous échappez aussi au Bubedra. Ne vous est-il déjà pas arrivé d’affronter le Bubedra dans la rue?
Moi, par exemple, je suis à mon 4ème album qui est en préparation au studio. Et le Bubedra m’a envoyé les formulaires d’établissement de la carte de membre affilié. Mais lorsque nous apportons nos dossiers là-bas, il nous est souvent dit qu’il est incomplet. Ce qui entraine des vas-et-viens incessants dont nous sommes fatigués. D’un autre côté, nous achetons les timbres du Bubedra qui ne se donnent pas gratuitement. Malgré cela, nos œuvres sont piratées sur le terrain. Dès le lendemain du lancement d’un album, la copie piratée est déjà sur le marché informel. Et celui qui n’a jamais été auteur d’une œuvre s’enrichit frauduleusement sur notre dos. Depuis un mois que nous en vendons nous-mêmes, au détail et à la criée, nos souffrances ont diminué. Si désormais quelqu’un nous proposait de nous produire en prenant en charge la distribution, nous n’aurons qu’à discuter pour en retenir les modalités qui nous arrangent tous. Notre souci, c’est de travailler, et le mieux possible pour vivre de notre art.
L’Etat a prévu quand même des structures, comme le Fonds d’aide à la Culture (Fac). Le milliard culturel dont on parle ne vous dit pas?
(Ndla: et nos artistes de se mettre spontanément à fredonner la réponse suivante à la question posée en langue Mahi): «Ce qu’il faut savoir, c’est que si tu n’as personne dans les instances qui distribuent ce milliard culturel, tu n’auras de cesse de remplir des formulaires au point de manquer le minimum vital qui te permette de survivre».
(Ndla: sitôt la chansonnette terminée que les deux musiciens reprennent l’interview en bonne et due forme).
Les gens nous connaissent au Bénin ici. Lui, mon collègue Sèna de Covè, est finaliste de l’édition 2010 du Conavab (Coupe nationale des Vainqueurs des Artistes du Bénin) dans la catégorie musique traditionnelle du département du Littoral. Le grand problème, c’est que la relève est négligée. Et c’est une chance pour nous de vous rencontrer aujourd’hui comme par hasard. Et notre message pour le public est celui-ci: «Nous vous exhortons humblement, vous nos parents des contrées villageoises les plus reculées, d’envoyer les enfants à l’école, à l’heure de l’ouverture des classes. Plus particulièrement les filles, afin qu’elles puissent plus tard, savoir se prendre en charge».
Réalisation: Emmanuel S. TACHIN