Dans un essai politique qu’il vient de publier, l’Ivoirien Serges-Arnaud Dégré, en exile depuis la chute du président Gbagbo en avril dernier, revisite l’histoire de la Côte d’Ivoire depuis sa conquête par le colonisateur français jusqu’à l’ère de réconciliation aujourd’hui. Une réconciliation qui, pour l’auteur est, en passe de conduire à un soulèvement populaire vu la manière dont elle est envisagée et est en train d’être conduite par le pouvoir en place. L’auteur interpelle aussi les autorités de son pays, sur l’obligation de créer les conditions adéquates pour une libre expression d’une «opposition civilisée».
La conquête et la colonisation de la Côte d’Ivoire par la France, l’accession du pays à la souveraineté internationale, l’avènement du multipartisme, la chute du Président Laurent Gbagbo, la recolonisation de la Côte d’Ivoire et les signes d’une révolution très prochaine dans le pays. Cet ensemble de faits marquants de l’histoire de la Côte d’Ivoire depuis les années 1840 à ce jour, constitue le fond d’un essai politique signé de Serges-Arnaud Dégré. Un ivoirien en exile depuis quelques mois dans la sous-région.
Les six chapitres de l’œuvre, même s’ils sont focalisés chacun sur une période donnée de cette histoire, ont un point commun que dénonce l’auteur: le règne en maître absolu du colonisateur et l’imposition de ses idéologies aux dirigeants ivoiriens. Car, pense Serges-Arnaud Dégré, pour la France, la Côte d’Ivoire reste et demeurera sa colonie.
A l’entame de son livre, l’auteur est allé plus loin en rappelant ces traités de commerce signés le 10 février 1842 avec les chefs d’Assinie et de Grand-Bassam sous la houlette du capitaine Louis Edouard Bouët Willaumez, alors commandant de la station navale des côtes d’Afrique. Des accords qui ont ouvert l’implantation française en Côte d’Ivoire et qui conduira à la colonisation et l’exploitation de l’économie du pays. A en croire Serges-Arnaud Dégré, La France est arrivée à instaurer une politique qui a «consisté à écarter les populations de la gestion des affaires de la colonie, et a fait d’elle la plus grande bénéficière des richesses ivoiriennes». Par cette même politique, elle a réussi à «étouffer ou exterminer toute résistance, et cela a été un frein à la constitution d’une opposition significative». Un obstacle à l’indépendance de la Côte d’Ivoire même si elle a été proclamée en août 1960. D’après l’histoire relatée dans ce livre, les hommes politiques qui se sont succédé à la tête du pays après cette proclamation et juste avant le Président Gbagbo, se sont soumis à la France. «De ce pacte naquirent des accords de toutes sortes, […], surtout l’accord implicite de musellement de toute opposition. Objectif, permettre la continuité de l’exploitation de la Côte d’Ivoire par une seule puissance, notamment la France», dénonce Serges-Arnaud Dégré.
«Le coup d’Etat de la France»
Tous ceux qui n’adhèrent pas cette politique française à l’époque, sont aux dires de l’auteur, pris comme ennemis et combattus. Le Président Laurent Gbagbo en a été victime, à en croire Serges-Arnaud Dégré. Sa chute a été, d’après lui, l’aboutissement, le 11 Avril 2011, d’un coup d’Etat de la France, déclenché le 18 septembre 2000. «C’est cette noble ambition qu’il a nourrie de voir son pays totalement indépendant et démocratiquement évolué qui l’a fait entrer en conflit avec la France dès sa prise de pouvoir» soutient l’écrivain, secrétaire général de la jeunesse du Front Populaire ivoirien (Fpi), le parti du Président Gbagbo. «Car, a-t-il justifié, la diversification des partenaires qui s’annonçaient, les nombreux contrats qui étaient en passe d’être revisités, notamment ceux qui concernaient les grandes entreprises françaises en Côte d’Ivoire, l’introduction de nouvelles compagnies sur le marché de l’énergie, représentaient une menace pour les intérêts français.» «A côté de cela, il y avait la volonté affichée de Laurent Gbagbo de ne pas faire allégeance au président français et prendre ainsi des instructions à l’Elysée.»
Le recolonisation et la révolution en vue
La démocratie que la France dit avoir rétablie en Côte d’Ivoire, n’est qu’en réalité une démocratie qui varie au gré de ses intérêts, mentionne Serges-Arnaud Dégré dans ce livre. Et pour lui, avec la situation critique à laquelle font face les grandes puissances, les Usa et l’Europe, il est plus que nécessaire pour la survie de l’Etat français, de s’appuyer sur ses ex-colonies. «D’où la recolonisation qui a cours en Côte d’Ivoire», conclut l’auteur.
De l’autre côté, il voit venir une révolution dans le pays d’après les attaques du pouvoir en place contre les partisans du président Gbagbo. Ceci serait aux dires de l’auteur, l’une des raisons du refus de milliers de refugiés ivoiriens de rentrer malgré les appels dudit pouvoir. A cet effet, il appelle l’actuel gouvernement à l’instauration de conditions appropriées pour la libre expression de l’opposition. Aussi, n’y a-t-il pas un consensus autour des fondements de la réconciliation. Dans ce climat et en se rappelant de la réconciliation nationale de 2001 trahie, «il est claire, affirme Serges-Arnaud Dégré, que justice ne sera pas jamais rendue à moins que le peuple se résolve à changer le cours de l’histoire de son pays qui s’écrit à son insu et réclamer la liberté d’expression.»