Nous aimons trouver une explication à tout. Ce n’est pas mauvais. Il vaut toujours mieux chercher à savoir que de chérir l’ignorance. Seulement voilà, nos explications ont tendance à s’égarer et à nous égarer dans les sables mouvants de l’absurde et de l’irrationnel. Nous avons donc une explication à tout et pour tout. Aussi ne sommes-nous presque jamais à court devant les énigmes de la vie.
On meurt rarement de mort naturelle au Bénin. Parce que tout le monde se prend pour un médecin et se croit habilité à établir et à délivrer un certificat de décès. Les sciences de la santé s’efforceront de lier le décès à une maladie connue et diagnostiquée telle. En face, large est l’éventail des causes liées à ce même décès. Elles vont de la sorcellerie à l’envoûtement, du mauvais sort à l’empoisonnement.
Tel jeune homme ment-t-il, vole-t-il et se drogue-t-il ? Qu’on ne cherche ni trop longtemps ni trop loin. C’est la coépouse de sa mère qui, par jalousie, lui a jeté un mauvais sort. Telle jeune dame tarde-t-elle à concevoir après son mariage ? Son sort a été scellé depuis qu’un marabout, à la demande de son premier amant éconduit, a réussi à lui bétonner le ventre, comme on dirait dans nos langues.
Vous aurez constaté que les deux exemples cités, celui du jeune homme tout comme celui de la jeune dame, mettent en scène des gens rendus malades, frappés, affligés du fait des autres. Ce qui fait botter en touche, dans ce qui leur arrive, tout ce qui pourrait relever de leur responsabilité. Quelle part leur reste-t-il à prendre à leur propre guérison s’ils ne sont responsables de rien ?
Nous avons aussi des explications qui n’expliquent rien. Elles nous renvoient à aller ronger notre frein au pied de la muraille de Chine sous le signe d’un fatalisme pur et dur. Ce que traduisent en fongbé les expressions suivantes : « Mahu kêdê », c’est-à-dire tout dépend de Dieu ; « Mahu sin djro wê », c’est la volonté de Dieu ; « Nu bi do Mahu si » ou « Mahu lomê », tout est dans les mains de Dieu.
Comme on le voit, la référence à Dieu n’est pas innocente. Dieu, c’est à la fois l’infiniment grand et l’infiniment petit. Dieu, c’est selon Georges Bernanos, « L’esprit organisateur par qui le chaos s’ordonne ». La cause n’est-elle pas entendue, dès lors qu’on choisit de remonter aussi loin pour expliquer quelque chose. Plus simple : il n‘y a rien à expliquer. Comprenne donc qui veut ou qui peut.
Le pays a eu aussi à traverser des périodes difficiles. Ailleurs, ces difficultés ont entraîné de douloureuses, voire de sanglantes remises en question. Des coups d’Etat, des révolutions de palais, des soulèvements populaires, des guerres civiles, avec leur macabre cortège de biens détruits, de vies brisées, d’ambitions anéanties, de destins fracassés… Toutes choses qui ont laissé des déchirures et des blessures rebelles à toute thérapie.
Au tournant des années 90, le Bénin a opéré, quasiment sans casse, le passage d’un régime marxiste léniniste à parti unique à une démocratie libérale multipartite. En 1996, le pays devait connaître, quasiment sans casse, sa toute première alternance démocratique. En 2006, les velléités allant dans le sens d’une révision opportuniste de la Constitution ont fait chou blanc. Le pays s’en sort quasiment sans casse. En 2011, une Liste électorale permanente informatisée bâclée a servi à organiser, quasiment sans casse, deux élections majeures, la présidentielle et les législatives. La semaine dernière, le bras de fer gouvernement/ Douanes, a fait craindre le pire. Le pays s’en sort tout de même quasiment sans casse.
Pour avoir ainsi traversé tant d’épreuves, quasiment sans casse, les Béninois, dans leur immense majorité, en sont venus à l’explication plutôt facile que le Bénin est une terre d’exception bénie de Dieu et que le Béninois est un être exceptionnel assis à la droite de Dieu. A chacun ses illusions. Prenons garde de croire que Dieu nous tirera à tous les coups de tous les incendies que nous nous ingénions à allumer. Un proverbe dit : « Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse ». Alors, attention : Dieu n’est pas un magicien.