Le Bénin d’hier à aujourd’hui

Il était une fois le Bénin. Le Bénin de nos pères et de nos mères. Ne remontons pas si loin. Arrêtons-nous aux premières années de nos indépendances. Le Bénin de ce temps-là n’a plus grand-chose à avoir avec le Bénin d’aujourd’hui. Pour preuve, chaque homme, chaque femme a alors trois maisons, disposées comme autant d’angles d’un triangle géant. Chacun en est le centre.

Il y a d’abord la maison d’habitation. C’est aussi et souvent le lieu de naissance. Là où on s’offre à la vie, en offrant son cordon ombilical à la terre. La maison d’habitation est alors la maison de la famille élargie. Plusieurs générations s’y côtoient, soudées par le ciment des traditions pluriséculaires qu’on prend un soin jaloux à conserver et à transmettre comme un legs sacré. Car il s’agit de mouler le jeune homme, la jeune fille dans les principes, normes et valeurs d’une éducation tout orientée comme une boussole pour la vie.

Il y a la maison de Dieu. C’est, d’abord, le couvent, l’espace domestique réservé aux « assins », ces traits d’union entre les vivants et ceux qui sont à l’autre rive de la vie. En Afrique, les morts ne sont pas morts. La maison de Dieu, c’est, ensuite, l’église, le temple, la mosquée. Magnifique tolérance religieuse qui fait qu’à Ouidah, par exemple, la cathédrale est en face à face et dans un dialogue de tous les instants avec le temple du python. Dieu est unique, mais les voies pour l’approcher sont plurielles. Le respect dû à Dieu commande de manifester un égal respect pour toutes ses créatures, au premier rang desquelles, l’homme.

Enfin, il y a la maison du savoir, représentée dans sa forme moderne par l’école coloniale. La Grande Royale, ce personnage du roman de Cheikh Hamidou Kane, « L’Aventure ambigüe », nous y invitait expressément. Nous devons aller à l’école du Blanc « apprendre à vaincre sans avoir raison ». C’est l’appel à la conquête de la redoutable arme de la raison discursive occidentale, à l’image de Prométhée qui eut l’audace d’aller voler aux dieux le feu sacré. Une arme à coupler avec la non moins redoutable arme de la raison intuitive des négro-africains que nous sommes.

Comment expliquer qu’en quelques décennies, ces trois principales maisons, comme lasses de résister à l’épreuve du temps et face à la poussée d’une évolution moderniste aliénée et aliénante, ont-elles rendu l’âme, s’effondrant comme château de cartes ?

La maison d’habitation, anciennement l’espace de la famille élargie, s’est effacée devant la villa, l’appartement ou « l’entrer-coucher » de la famille nucléaire. Les grands pères, les grands-mères, au risque d’être pris pour des sorciers en ville, sont renvoyés au village. En attendant d’être déposés, tels des fardeaux encombrants et à l’exemple de ce qui se fait ailleurs, dans des hospices ou dans des maisons de retraite.

La maison de Dieu résonne désormais de chants païens, depuis que des faux prophètes ont pris d’assaut la cité. Déguisés en pasteurs et sous prétexte de conduire leurs ouailles vers les verts pâturages du salut, ils égrènent, à nous crever le tympan, des versets sataniques. Ce sont des marchands du temple, tout à leur négoce attachés. Ils débitent Dieu en morceaux et le vendent aux enchères.

Quant à la maison du savoir, elle peut trouver à se ranger sous la rubrique « L’école et la culture du faux ». Avec la multiplication de faux établissements scolaires. Ayant pris le maquis, ils ne figurent sur aucune liste officielle des établissements autorisés et certifiés. Avec la multiplication de vrais établissements, mais construits dans de faux coins. Ayant dérogé à toutes les normes, ils trichent avec leur mission d’enseignement et d’éducation.

Ainsi, le temps passe, sans qu’on puisse dire que nous avançons, que nous embrayons sur la pédale du progrès. Devons-nous nous gaver de regrets, nous bourrer de nostalgie ? Il n’y aura pas de retour aux sources. Rien ni personne ne peut détourner un fleuve de son cours, une fois lancé dans sa course inexorable vers la mer. S’impose donc à nous un choix pressant et impératif : avancer à marche forcée ou entrer dans l’avenir à reculons.

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