La grève. Les Béninois n’en connaissent que trop la définition. Celle-ci n’a-t-elle pas souvent rythmé leur vie de tous les jours ? Les Béninois vous diront quasi unanimement et d’une seule voix, que la grève est un arrêt volontaire et collectif d’une activité par revendication ou par protestation. Ils ajouteront même, un rien sérieux et graves, que la grève est un droit, un droit constitutionnel.
Bonne réponse. Mais à condition toutefois d’ajouter que toute grève déclenchée vaut une guerre déclarée. L’on pécherait donc par naïveté si l’on devait aller en grève sans être sur le pied de guerre. Et la guerre elle-même ne se réduit plus à une lutte armée, sur un champ de bataille, avec son cortège de morts. La guerre, tout comme une grève, est devenue un jeu d’intelligence stratégique. Chaque coup donné ou encaissé compte, suivant les règles d’une arithmétique peu ordinaire.
Le bras de fer gouvernement/Douane suit une telle logique. Le rapport des forces en faveur de l’un ou de l’autre camp est fonction d’une foule de déterminants : la nature des armements mobilisés, la puissance de feu engagée, la capacité manœuvrière observée de part et d’autre. Seule une évaluation sans complaisance des forces en présence pourrait aider à apprécier l’issue de la confrontation. Le grand perdant est connu à l’avance : le Bénin.
Les douaniers sont mobilisés au sein d’un syndicat, le syndicat des douanes du Bénin (Sydob), affilié à la Fédération des travailleurs des finances (Fésyntra-Finances). Ils peuvent ainsi compter sur un bassin de soutiens et d’appuis, bien au-delà de leurs rangs. Le Sydob, en engageant une grève de 72 heures, la semaine dernière, a incontestablement fait la preuve de sa pugnacité et de sa cohésion. Les douaniers, comme un seul homme, ont répondu à l’appel de leur syndicat. Le Sydob pense reconduire son action. Malgré les menaces clairement proférées par le Chef de l’Etat. Malgré l’arsenal législatif et juridique désormais en place dont le gouvernement peut se servir pour le chicoter à loisir.
De plus, pour parer au plus pressé, le gouvernement veut recourir aux douaniers à la retraite. Il s’agit soit de briser toutes velléités de grève, soit de provoquer une brèche au cœur même du dispositif des douaniers grévistes. Le temps de former d’autres douaniers, sans interrompre le service public de la douane. C’est, comme on le sait, la poule aux œufs d’or. Sans elle, un pays à budget essentiellement fiscal comme le nôtre se retrouverait en situation difficile.
Le gouvernement a vite compris que la grève est une arme redoutable aux mains des douaniers. Il ne peut que se réjouir de la proposition de loi introduite au Parlement pour interdire le droit de grève aux douaniers. La loi n° 2011-25, portant règles générales applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés en République du Bénin, est votée le 26 septembre 2011. Le 30 septembre, la Cour constitutionnelle, par la décision DDC 11-O65, a jugé cette loi conforme à la constitution. Le Chef de l’Etat n’a pas hésité à la promulguer. Et pour cause !
Cette célérité dans l’action n’est pas innocente. Elle identifie les éléments du rouleau compresseur dont le message à l’adresse des douaniers s’énonce ainsi qu’il suit : se soumettre ou se démettre. Premier élément, le parlement. Les douaniers sont-ils au-dessus des représentants élus du peuple ? Deuxième élément, la Cour constitutionnelle. Que peuvent-ils les douaniers, quand les décisions de cette institution sont sans appel ? Troisième élément, le gouvernement. Il peut applaudir, dès lors que la boucle est bouclée.
Face à une telle situation, les conclusions suivantes semblent s’imposer à nous. D’abord, la grève ne règle rien. Si elle devait tout compliquer, nous en paierions tous le prix. Ensuite, le dialogue garde toute sa valeur, la valeur d’un baume adoucissant. C’est la seule issue civilisée qui s’offre aux uns et aux autres. Enfin, l’encadrement de ce dialogue, pour ne pas laisser face à face le gouvernement et les douaniers. Tout ce que le Bénin compte de forces morales et conciliatrices doit être au rendez-vous. C’est à cette condition que nous éviterons à notre pays les deux dangers qui le guettent : la légitimation de la force et la politisation de la loi.