Laurent Gbagbo se trouve désormais dans les mains de la justice internationale. Ainsi en ont décidé les nouvelles autorités de la Côte d’Ivoire. Une décision à tout le moins hâtive et précipitée. Comme s’il y a avait péril en la demeure et qu’il fallait se débarrasser, à la va vite, d’un colis jugé plutôt encombrant. Une décision manifestement surprenante et qui a effectivement surpris. Comme s’il y avait nécessité à tout goupiller en catimini et à nous placer brutalement devant le fait accompli. « L’opération Gbagbo » n’est pas exempte de tout reproche.
L’homme est, désormais, à la Hayes, sous la responsabilité du Cour pénale internationale (CPI). C’est-à-dire loin de son pays, la Côte d’Ivoire aux destinées de laquelle il présida dix ans durant. Il ne sert à rien de s’attarder sur la forme de ce transfèrement, vu et apprécié par d’autres comme un hold-up en règle. Il est plus important, à partir du cas Laurent Gbagbo, de réfléchir sur l’avenir de l’Afrique. Par rapport à la mondialisation, dans laquelle nous comptons pour quantités négligeables. Par rapport à cette entité floue appelée « communauté internationale », mais qui ne s’impose pas moins à nous comme une donnée incontournable. C’est à elle qu’il revient d’instruire le procès d’un ancien président africain et de le juger. Trois principes, au moins, comme autant de balises pour fixer notre réflexion.
Le premier principe, tient au refus absolu de toute forme d’impunité. On a commis trop d’atrocités en Afrique et piétiné si longtemps les droits les plus élémentaires des personnes et des peuples. On ne peut que se réjouir des mutations qui aident à refermer une triste parenthèse. Savoir que celui qui piétine le droit finit, tôt ou tard, par être rattrapé par le droit donne à la justice des assises sûres et lui ouvre des perspectives heureuses.
Il n’y a guère longtemps, dans la quasi-totalité de nos pays, vus comme des espaces de non droit, le crime était banal et quotidien. Les prisons étaient pleines à craquer. La torture se pratiquait sur une vaste échelle. Les exécutions sommaires rythmaient le quotidien des populations ainsi terrorisées et tenues en laisse. Au nom de « la non ingérence dans les affaires d’un Etat souverain », les maîtres du jour réglaient le ballet de la mort et faisaient régner la paix des cimetières.
De la Guinée de Sékou Touré à l’Ouganda de Amin Dada, du Liberia de Samuel Doh à la Guinée équatoriale de Macias Nguéma, c’étaient les mêmes potences qui barraient l’horizon, les mêmes râles de prisonniers agonisants qui s’échappaient des geôles. C’est une avancée significative que de refermer cette horrible parenthèse de sang, en la signant d’un sonore et retentissant « Plus jamais ça ! ».
Le deuxième principe tient au refus d’une justice à deux vitesses. Comme si dans le monde, il y a d’abord les Africains. Ils passent pour les plus grands criminels de la terre et les abonnés les plus en vue du TPI. Quant aux autres, après avoir commis des atrocités en Irak et au Liban, en l’Irlande du Nord et en Palestine, ils restent toujours blancs comme neige. Le fabuliste nous aura pourtant prévenus : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous laisseront blanc ou noir ». Comme si, par rapport à la Côte d’Ivoire, exhiber Laurent Gbagbo comme le mouton du sacrifice sans inquiéter immédiatement, ceux qui, en face se sont rendus coupables des mêmes atrocités, cela donne le sentiment d’avoir deux poids, deux mesures. Cela ressemble à s’y méprendre à la justice des vainqueurs.
Le troisième principe insiste sur l’idée que l’Afrique doit se doter des capacités nécessaires pour juger les Africains. C’est un problème de souveraineté politique et d’autosuffisance juridique. Le TPI ne peut être que l’exception. C’est sous ce rapport qu’il faut regretter que le procès de Hissène Habre au Sénégal, par le Sénégal, soit resté sans issue.. Ce procès aurait dû être une première qui ouvre une ère et inaugure un cycle. L’Afrique ne manque pas d’hommes et de femmes de loi émérites. L’Afrique manque encore de la volonté politique nécessaire pour donner tout son sens à ce beau proverbe malgache : « Le crime dont on se repent devient justice, mais la justice dont on se vante, devient le pire des crimes ».