A l’occasion de la fête des religions endogènes de cette année 2012, je suis heureux d’apporter ma contribution à une meilleure connaissance de la religion ancestrale, le vodu yohoué, en publiant avec un léger retard, les résultats de mes réflexions sur l’une des principales divinités du panthéon, Agboé.
Cette publication est une partie d’un livre qui sortira bientôt et qui fera définitivement, je voudrais vous en convaincre, la preuve de l’importance première de la religion vodu yohoué dans le concert des nations civilisées.
Rappels
Agboé est un dieu primordial du panthéon vodu. C’est l’une des divinités de puissance, un peu méconnue et éclipsée par Hèvioso dans les régions éloignées de la mer, mais d’importance au moins égale à Hèvioso en zone Xula.
Son domaine est la mer abyssale comme Avlékété même si cette dernière n’en occupe essentiellement que les berges et la surface.
J’adopterai la démarche suivante: étymologie, nature, célébration et influences, pour l’étude de la troisième divinité primordiale qui fonde le yohoué vodu, religion multimillénaire.
Etymologie et sémasiologie
Agboé est un terme formé d’agbo et d’un suffixe é. Ce é doit être considéré comme de nature à éviter que le nom du dieu ne se limite à la signification unique d’agbo, ce qui serait réducteur. Agbo signifie bélier avec une intonation déclinante, l’accent tonique étant sur le a.
Agbo signifie aussi barrière dans le sens de portail des maisons ou des quartiers avec l’accent tonique sur le o. Ce deuxième agbo désigne également la barre (marine) qui empêche les barques et bateaux de s’approcher des côtes ou d’accoster.
Agbo désigne aussi le Tolègba, rempart contre les ennemis réels et mystiques de la cité et de la communauté.Par extension il désigne également le zangbéto et son lègba érigé devant son couvent en tant que vigiles contre les parias internes et externes à la société. Le chef du culte zangbéto est surnommé Agbonon en zone xula.
Agboé évoque ainsi ce qui est grand, puissant, bruyant, égbo étant un adjectif signifiant grand. Gbo est une onomatopée qui décrit un grand bruit, un vacarme.
Agboé évoque les énormes vagues d’une houle de très mauvais temps, qui se cassent littéralement dans un bruit effroyable comme si elles refusaient leur résolution, menaçant d’enjamber le littoral et de tout emporter sur leur passage, les bandes de sable, les barques et les habitations. Le mouvement décrit n’est plus comparable à un déferlement harmonieux suivi d’un rétablissement gracieux que nous avons appelé une pirouette. On parle ici d’une culbute, mouvement de surprise ou de colère qui est bruyant et dont on ne peut prévoir où et comment il se termine. Si ce mouvement prend un homme, il n’a plus ses pieds au sol et il lui est difficile de savoir où se rétablir. Le mouvement est éminemment comparable à la cabriole du bélier et au mouvement des vagues d’une houle déchainée.
Quand quelqu’un culbute et tombe, on dit en fon : é gninagbo,il a lancé (fait ou exécuté) une cabriole. Pour le xula cela parait déjà un début de profanation de faire une allusion aussi directe au dieu dans un discours profane. Aussi dira-t-il plutôt, même s’agissant du prêtre d’Agboé : é da aza. Le bélier à travers sa cabriole ébranle la terre et les airs avec sa bave et son souffle fumants, ses solides cornes recourbées et pointues, ses pattes puissantes endiablées prêtes à une ruade meurtrière, son phallus géant symbole de puissante virilité, et ses testicules attributs de sa puissance fécondante. Le taureau est appelé aussi agbo. La houle de mauvais temps et la barre sont dénommées agbo. Les pinnipèdes et delphinidés portent le nom générique de xumègboèsoit béliers de mer, et tomègboè désignent les variétés de béliers d’eau douce.
La nature du dieu Agboe
Agboé se présente comme le dieu antagonique d’Avlékétéet symbolise presque toutes les valeurs contraires à celles qui sont attribuées à Avlékété. A partir de ces éléments de sémasiologie nous pouvons déduire qu’Agboé est un dieu puissant, violent, coléreux, ténébreux et capricieux capable d’ébranler l’individu ou la communauté qui enfreint les lois divines, sociétales et naturelles. Ceux qui quittent le chemin du bien trouvent avec Agboé le châtiment approprié à leur délit. En ce qui concerne le profil psychanalytique, Agboé gouverne la bête qui sommeille en chaque individu et qu’il doit apprendre à contrôler à tout instant en y opposant continuellement les préceptes d’humanisme, de tolérance, d’empathie, de justice, de civilité et d’ordre.
La représentation d’Agboe
Le vodu yohoué n’a pas de représentation explicite puisqu’il s’agit ici d’une religion de l’invisible. Aussi n’est- il pas permis de donner d’Agboé une représentation quelconque. Mais pour une bonne compréhension de la nature du dieu, je vais me permettre de lever un coin du voile ésotérique qui protège les fondements du yohoué, en ébauchant ne serait-ce qu’une représentation implicite plausible d’Agboé que voici :
Cette image résume tout ce qu’évoque la divinité, la vague, la houle, le bélier, sa cabriole et ses cornes, les otaries ,les phoques et les dauphins et leurs déplacements ondulants à la surface des mers océanes ou intérieures. L’image redoublée dénote du caractère boursouflé du dieu et témoigne de sa puissance imprévisible à l’image d’une crue subite et surtout d’un tsunami qui déborde les côtes pour s’épancher loin sur les terres, emportant tout sur leur passage.
Célébration
Les prêtres Agboéssi sont parés de lourds Avlaya à prédominance noire et tiennent souvent à la main un des principaux attributs du dieu : une pagaie (ou sagaie). Le rythme de la musique consacrée à Agboé porte un nom rituel peu courant de Azaxhlouè dont on peut seulement avancer qu’il est composé de Aza pour cabriole ou culbute et xhlouè pour râper, racler, (marteler, appeler avec insistance, invoquer si le è est remplacé par é); ce qui permet d’avancer la traduction suivante : Rythme d’appel à la cabriole. Il est peut-être intéressant de le rapprocher d’azagblé, le gouvernail ou le timon qui empêche justement les roulis en maintenant la direction de la barque et lui évite de chavirer…
Azaxhlouè donc est un rythme rituel violent qui tient le spectateur laïc aux tripes et lui rappelle la crainte à avoir du vodu, la crainte de dieu. Le rythme gronde, roule et vous étreint le cœur bien que rien ne vous vise individuellement. Les prêtres et prêtresses agboéssi et togboéssicommencent par tracer avec leurs pieds bien plantés dans le sol ou avec les mains recourbées des trois quarts en se mettant à genou, des moulinets soulevant des vaguelettes de sable, la vague étant un autre attribut du dieu. Ensuite ils se mettent à exécuter le geste hiéro-chorégraphique principal, la cabriole ou la culbute. Comme nous l’avions vu, le yohouési da aza, en un mouvement presqu’exactement similaire à la représentation que je viens d’esquisser du dieu : Le bras gauche étant recourbé de trois quart vers le flanc, le prêtre exécute une culbute complète de son corps vers l’avant, la tête effleurant à peine le sol, avant de se rétablir successivement sur ses deux pieds. Si le rythme s’accentue, le prêtre peut entrer dans un état second, complètement sous l’emprise de la divinité et va courir se jeter dans la mer ou dans le fleuve muni ou non de sa pagaie, rejoignant ainsi le domaine sacré du dieu pour y faire définitivement corps avec lui. Il faudra la vigilance de solides initiés pour le ramener sur leurs épaules, presque inconscient au couvent après quelques tours du dogbadji, le temple vodu.
Il est important de préciser que le rythme cultuel commun à toutes les divinités du panthéon est dénommé Agboéhoun, rythme d’Agboé sur lequel tous les prêtres font des tours de danse pendant un bon moment avant que le rythme spécifique à chaque divinité ne soit successivement délivré par la chorale des zangounnon. Cette attention faite à Agboé témoigne de sa position de tête au sein du panthéon.
Symbolisme
Le dieu Agboé possède plusieurs attributs. Le premier qui permet de reconnaître un prêtre ou une prêtresse agboéssi ou togboéssi est la pagaie. Elle est en bois nature ou peint. Son extrémité est dentelée souvent à trois dents. Parfois la pagaie peut n’avoir qu’une pointe. La pagaie matérialise dans les mains du prêtre la toute-puissance du dieu Agboé : La puissance motrice pour chevaucher les flots, ou la puissance destructrice pour déclencher, dans un accès de colère irrépressible les crues et autres tsunamis. Sur terre ferme cette pagaie prend plutôt le sens d’une sagaie, la forme de puissance qui provoque les glissements de terrain et des tremblements de terre. Les symboles animaliers, nous l’avons vu, sont nombreux : Le bélier, le taureau dans une moindre mesure, le phoque, l’otarie et le dauphin.
Nous avions déjà parlé de la vague comme attribut de puissance phallique dont l’ardeur destructrice n’est maîtrisée que par la présence de ce qui symbolise Avlékété : les berges marines.
Le domaine du dieu Agboé est avant tout la mer : Xu Agboétoahoyo, du nom Xu ou mer, et du panégyrique composé en plus de Agboé, de to ou pays, domaine, univers et de ahoyo ou immensité, donnant en tout : Son Immensité, l’univers d’Agboé.
La couleur noir représente Agboédans le fanion tricolore du yohoué, à l’image des abysses maritimes et des profondeurs du globe terrestre.
Les noms théophores
Les prénoms sacrés
Les prêtres perdent leurs prénoms de naissance et sont rebaptisés des prénoms sacrés suivants :
Agboéssi (agbéssi en fon) : pour les deux sexes
Togboéssi : pour les deux sexes
Togboésa : surtout féminin
Les prénoms profanes
Ce sont les prénoms donnés aux enfants des prêtres :
Tossou : premier garçon
Tossa : deuxième garçon
Toèvi : première fille
Les patronymes
De nombreux patronymes découlent des prénoms théophores sacrés et profanes masculins : Agboéssi ou Agbessi pour le fon, Tossou, Tossa, Sossou, Sossa, Ahoyoet autres dérivés.
Agbo est le patronyme de plusieurs familles de l’aire adjatado jusqu’aux confins des collines vers le nord du Benin et du Togo.
Agbo fait partie de la titulature des rois xulas dont le siège est à Agbanankin à mi-chemin entre le Benin et le Togo.
Il convient néanmoins de faire remarquer que de nombreux patronymes fons bien que dérivés et composés à partir de Agbo donc du dieu Agboé moins connu de ces régions plus éloignées du littoral atlantique, évoquent plutôt le dieu Hèvioso. Dans le Zou et ses environs une certaine association est faite des deux divinités allant jusqu’à représenter le dieu Hèvioso par un taureau ou un bélier, ce qui au vu de ce qui précède n’est pas entièrement conforme à la réalité historique et cultuelle.Agboé a conféré à Hèvioso une partie de sa puissance, la partie phallique (Agboninsou signifiant phallus géant ou puissant de Agboé), pour lui permettre de foudroyer depuis le ciel les impies. Ce nom Agboninsou, panégyrique de Hèvioso, est donc à l’origine d’une multitude de patronymes dérivant d’Agboé mais en fait dédiés à Hèvioso, surtout en zone fon et environs immédiats.
Influences
A. Influences méditerranéennes occidentales
Le plus grand dieu xula de puissance Agboé est très bien connu en Occident mais sous un autre nom : Poséidon, le dieu gréco-romain des océans. Le libellé et la prononciation simple du nom du dieu font penser à une origine atlantéenne. Le préfixe Po signifie à lui seul puissant selon les hellénistes, par conséquent identique àKpo, Kp0 ou Kpon, tant il est vrai que l’occidental ne sait pas articuler ensemble le kp et le réduit presque toujours à p. Il en est de même de gb qui est réduit à b voire p.
Ainsi, si nous prenons Poséidon en inversant juste l’accent, nous pouvons traduire enxula ou en fon : Le Puissant !éloignes toi (loin de moi), ou épargnes moi. La deuxième possibilité de rapprochement sémantique peut se faire avec (K)Podjèdo, le Puissant est descendu sur (a frappé) la terre. Sur le plan cultuel c’est la manifestation de la colère des dieux de puissance, Agboé (Poséidon) et Hèvioso, et les prêtres, initiés et les chefs de culte se mettent tous à la recherche dusokpinou (météorite pour les cartésiens) jusqu’à ce qu’ils l’aient trouvée pour en décrypter l’oracle. Cette deuxième variante de signification est à l’origine de plusieurs patronymes forts dont Agbodjèté, Kpodjèté, Sodjèdo…
Bien que les deux premières déclinaisons sémantiques de Poséidon ne doivent pas être écartées, puisqu’elles existent réellement dans l’environnement culturel vodu, c’est le terme de Kponhinto qui parait le plus plausible. Il est tout à fait compréhensible que l’occident en prenant contact pour la première fois avec les dieux atlantéens ait pu retenir d’Agboé, le dieu des océans, le nom de Kponhinto puisqu’il a été (et il l’est toujours) le premier porteur du Kpon sous la forme d’une pagaie tri-dentelée que l’Occident a dénommée à juste titre le trident.AgboéKponhinto Poséidon a gardé jusqu’à ce jour son Kpon sous la forme de sa pagaie ou son trident et Hèvioso a un autre Kpon rouge construit sous la forme d’une installation vestimentaire porté par un prêtre spécialement formé à cet effet. Nous y reviendrons plus longuement. Le terme Agboéahoyossi désigne tout prêtre vodu yohoué, témoignant de l’importance première d’Agboé Poséidon.
B. Influences égyptiennes
Le dieu le plus puissant des égyptiens est sans conteste Amon, dieu de Thèbes, associé au bélier d’où sa représentation devant son temple de Karnak par des sphinx criocéphales – à tête de bélier – . Agboé et Amon sont donc associés au bélier et il n’est pas permis dans les deux cas d’en faire une représentation explicite.
Les pharaons égyptiens, en particulier des Ve, XIIe (les Amenemhat – Amon est en tête -) et surtout XVIIIe dynasties ainsi que les Ramsessides et suivantes tiennent leur pouvoir royal du dieu Amon ou d’Amon-Rê : Ahmosis presque identique à notre Agboéssi, les Amenhotep et Thoutmosis, Hachepsout, Toutankkamon, Ramsès, Tanoutamon…
Les rois Xula tiennent également leur pouvoir du dieu Agboé associé ici aussi au dieu soleil Houézê. J’avais déjà dit plus loin que les rois Xula avaient dans leur titulature Agbo et proviennent en effet de la collectivité des Amanhouévi dont le dieu éponyme est Agboé. Et il est troublant de remarquer dans le nom de la collectivité des Amanhouévi, le terme Aman qu’on peut encore écrire Amen, et signifiant Amon chez les égyptiens. L’éclairage nouveau venu incidemment de l’Egypte permet de donner la véritable traduction qu’avait déjà pourtant le terme Amanhoué : La maison d’Agboé Amon. Et on peut ainsi dire en XulaAmanwèléta et en égyptien Amenemhat signifiant dans les deux cas exactement : C’est Agboé Amon qui est en tête.
Les rois xula proviennent aussi et surtout de la collectivité des Oxolouvi ou princes dont le dieu éponyme est Houézê (Houézêkouzê), le dieu soleil. Le terme zê, apparaître et rayonner, dérivant littéralement de déchirer soit déchirer le voile de la nuit, du crépuscule, est comparable au nom du dieu soleil égyptien Rê qui évoque le rayonnement solaire d’où sa représentation par un disque et un oiseau palmipède ou une main. Les enfants de cette collectivité portent souvent le prénom ou le nom de Houéssou (fils du Soleil) et peuvent prétendre un jour succéder à leur illustre prédécesseur Roi des xula, HouéssouAgbo, fils du Soleil et d’Agboé.
Il apparaît à la suite de ce qui précède que l’association faite par l’Occident d’Amon à Zeus n’est pas judicieuse, et cela surtout parce qu’il a toujours occulté le vrai nom de Poséidon, Agboé, sinon il aurait pu remarquer la similitude entre Amon et Agboé, dieu omnipotent dont la protection est sollicitée hier par les puissants pour diriger. Aussi pouvons-nous dire aujourd’hui noutètèkanagbo, tout dépend (est issu) d’Agboé, comme le disait hier Toutankhamon.
Conclusion
Agboé est le premier dieu de puissance xula. C’est la puissance divine grégaire dont personne n’a intérêt à s’aliéner la colère. Il est le dieu qui inspire la crainte du vodu, avec à son appui les autres dieux de puissance, Hèvioso, Ahouanga, Gbadè… Son univers est la mer, Xu Agboétoahoyo. Le premier attribut du dieu est le bélier même s’il n’est pas permis de le représenter sous cette forme. Il n’en existe d’ailleurs aucune représentation explicite. Agboé se retrouve en Occident sous le nom de Poséidon dont l’étude sémantique évoque la première fonction du dieu : Le porteur du Kpon, Kpo ou Po qui tue les impies.
Agboé se retrouve également en Egypte sous le nom d’Amon, dieu puissant aux mêmes attributs que lui, et dont se réclament les pharaons, de la même manière que les rois de l’aire Adjatado.
Après ce détour par l’Egypte, Agboé est retourné en Occident sous le nom d’Ammon improprement assimilé à Zeus. Le plus puissant des dieux, Agboé, Poséidon, Amon, Ammon est à l’origine de l’émergence deHèvioso à qui il a attribué la portion phallique de son immense puissance pour contrôler les impies depuis les hauteurs célestes. Drapé de son fanion noir il représente le dieu ténébreux et fort dont la crainte confère au vodu son caractère sacré et inviolable sous peine de la sentence extrême.
DANHOUME Yao Germain Chercheur privé en anthropologie culturelle