La composition du Ministère de la famille, des actions sociales, de la solidarité nationale, des handicapés et des personnes du troisième âge suscite dans mon esprit les réflexions que je souhaite partager avec le lecteur principalement sur la solidarité nationale en tant qu’élément dominant des attributions du ministère et son rôle éminemment politique dans la société moderne. En regardant de près l’ossature du gouvernement de notre pays l’on constate que tous les départements ministériels couvrent des secteurs d’activités sectorielles bien déterminées. Au demeurant il y en a un qui échappe à cette règle : le ministère de la famille, des actions sociales, de la solidarité nationale, des personnes handicapées et des personnes du troisième âge. Ce département comprend donc à lui seul cinq composantes dont les deux dernières paraissent les plus ciblées tandis que les trois premières revêtent plutôt une envergure nationale. Le ministère en question n’est donc pas totalement sectoriel, il est le seul à appréhender l’homme en tant qu’entité humaine et dans toute son entièreté; dans son essence et non pas en tant que simple acteur économique. De ses cinq composantes, la plus fédératrice et la plus déterminante aussi bien dans la gestion des hommes que dans celle de la cohésion nationale me paraît être le paramètre solidarité. Qu’est-ce à dire ?
L’image qu’évoque encore à l’esprit le substantif solidarité est celle classique de l’entraide, de la fraternité, de l’élan de générosité, de la charité voire de l’aumône. Mais la solidarité bien perçue ne peut être que cela ; tant s’en faut. Elle ne peut surtout pas être qu’émotion. Devant un phénomène douloureux, la phase émotionnelle ne peut durer longtemps ; l’esprit humain ne peut la supporter de façon soutenue. Dans notre culture traditionnelle les proches ne nous laissent jamais seuls face aux événements négatifs et douloureux de la vie que sont la maladie et la mort compte tenu notamment du fait que l’Etat a scandaleusement failli jusqu’alors à son rôle de protection sociale du citoyen. Mais cette solidarité morale reste émotionnelle et discursivement intermittente, ne se manifestant qu’occasionnellement. Il est vrai qu’à côté d’elle, notre culture fondamentale connait une manifestation de solidarité plus permanente parce qu’économique : l’ancestrale tontine importée de nulle part et tout à fait authentique. Et l’on peut regretter que les pouvoirs publics ne s’y soient pas intéressés en l’organisant pour lui donner un statut légal sous la forme d’une épargne originale ; toutefois les mutuelles sociales qui ont vocation à assurer la protection médicale des citoyens de l’informel s’en sont inspirées et cela est heureux.
Lorsque nous nous rapprochons des temps modernes et partant, de notre culture d’apport, la solidarité dépasse le cadre des familles et des regroupements pour se positionner sur une échelle nationale ; elle se socialise alors, se modernise, s’institutionnalise et se légalise. C’est en raison de cette solidarité moderne et sociale que la puissance publique enjoint le citoyen propriétaire de véhicule de souscrire une police d’assurance en responsabilité civile sur sa voiture et que ce dernier accepte de n’en être pas remboursé, même si au cours de plusieurs années il n’a fait l’objet d’aucun sinistre. C’est dans la même veine qu’ont été conçues les assurances maladie et décès. Cette solidarité, qu’elle soit de perception ancienne en référence à notre culture fondamentale ou de perception moderne en référence à notre culture d’apport, devrait de notre point de vue, induire naturellement la protection sociale du citoyen et servir de plate-forme au système d’assurance maladie universelle que le gouvernement est en train de mettre en place.
La solidarité devient facteur de développement économique et source de mobilisation de crédits lorsqu’elle permet d’engendrer des ressources pour parvenir audit développement. Dans le pays qui nous sert habituellement de référence, le gouvernement prélève sur les salaires bruts un impôt de 5% au titre de la « contribution de solidarité » Il prélève également un « impôt de solidarité sur la fortune » frappant les personnes physiques dont le patrimoine excède 515.000.000 de nos francs. Il parait en effet logique que les plus riches socialisent une part de leurs avoirs pour venir en aide aux plus pauvres parce que c’est, du moins en partie, grâce à plus pauvres qu’eux, qu’ils bâtissent leurs fortunes. Plus près de nous, en république de Côte d’Ivoire la « contribution nationale de solidarité » représente 1% du salaire brut. Sauf erreur de notre part, notre pays ne connait rien de tel. Il est vrai que la taxe pour l’électrification villageoise, que la SBEE nous fait payer procède en fait du même esprit de solidarité même si la sensibilisation préalable des abonnés a fait défaut.
La solidarité devrait également être perçue comme facteur de développement culturel car socialement elle est facteur de rapprochement et la transmission du savoir rapproche les gens. Tirant sa force d’un phénomène d’envergure nationale qu’est la solidarité, le ministère devrait pouvoir engager des actions citoyennes d’envergure tout aussi nationale ; c’est apparemment un champ d’action qui s’ouvre à lui. Lorsque j’explique à mon cuisinier les avantages ou les ravages sur ma santé de tel ou tel ingrédient qu’il introduit dans la nourriture qu’il me prépare, j’élève son niveau culturel et je l’éduque. Lorsque j’ai le courage de lui dire ses droits et nos devoirs réciproques, nous nous rapprochons l’un de l’autre et nous nouons des liens de solidarité citoyenne. L’école n’a pas l’exclusivité de la transmission du savoir. Le ministère en charge de la solidarité nationale et de la famille pourrait alors engager une politique de sensibilisation de tous les employeurs, notamment des cadres, à un rôle de formateur domestique. Ce ne sont pas les ministères chargés des différents enseignements qui le feront ; ce n’est pas de leur ressort et il faut bien qu’un ministère le fasse.
Ce sont les idées qui président à la gestion des affaires publiques mais en politique toute idée qui ne repose pas sur un support matériel reste au stade d’idée et finit par s’évanouir. La solidarité, pour se maintenir dans sa fonction nationale, gagnerait à être matérialisée et soutenue par des structures physiques. Nous voyons par exemple la création d’un fonds de solidarité sociale au niveau de chaque département géographique. Ce fonds pourrait être alimenté par des contributions volontaires de donateurs, personnes physiques ou morales, pour venir en aide aux institutions sociales locales en difficulté et aux victimes d’événements fortuits résidant dans lesdits départements. Les noms ou les raisons sociales des donateurs seront inscrits dans un livre d’or et des dispositions prises pour faire connaître leurs actions au public L’Etat pourrait alors étudier la possibilité de déduire leurs contributions à ce fonds, des impôts que les donateurs lui devront dans le cadre d’une politique de défiscalisation ciblée. Ce fonds pourra ainsi servir d’appui structurel à la politique de solidarité sociale du ministère. Il aurait par ailleurs l’avantage d’institutionnaliser mais aussi de rationaliser les actes de générosité qui attendent les fins d’années pour se manifester tambour battant, publicité, marketing et autres intentions s’y mêlant, dénaturant de ce fait la noblesse de la notion de solidarité en le vidant de son caractère essentiellement permanent.
Pour dire un mot sur les handicapés physiques et moteurs dont s’occupe également le ministère, il serait souhaitable que des actions soient menées en direction du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique pour que notre pays ne devienne pas le point de ralliement des handicapés – mendiants de la sous-région. Peut être devrait-on sévir contre ces parents plus qu’indélicats qui, réfugiés à l’ombre des arbres, envoient leurs enfants mendier sous le chaud soleil et contre ceux-là qui, en quête de pitié auprès des bienfaiteurs éventuels, promènent et exposent des bébés à toutes les intempéries sans scrupule ni vergogne. Peut- être aussi qu’une action en direction du ministère des Affaires étrangères pourrait-elle viser à sensibiliser les ambassades des pays dont sont ressortissants nombre de ces handicapés mendiants qui encombrent nos rues pour leur demander de prendre leurs responsabilités ; et elles bien savent ce que cela signifie en termes consulaires.
Quant aux personnes du troisième âge, nous avons déjà proposé dans ces mêmes colonnes et avons défendu becs et ongles auprès de la Ministre de la Famille, la constitution d’un Fonds National de Solidarité Vieillesse (FNSV). Un Fonds de Solidarité qui sera alimenté non par le budget national mais par une taxe de solidarité sur un produit de grande consommation quelqu’en soit la nature et à l’écart du principe de non affection des ressources avons-nous suggéré. Boissons, communications et que sais-je encore dans le cadre pertinent du partenariat public-privé voulu par le Chef de l’Etat ? La ministre nous a fait la promesse de faire étudier l’idée. Il est par ailleurs heureux que la quinzaine de la solidarité ait fait appel au secteur de la communication. Ce serait tellement plus simple et plus efficace de procéder de semblable manière pour alimenter prioritairement les caisses du naissant régime d’assurance maladie universelle ; tellement plus simple et plus solidaire ; tellement plus pratique et plus juste aussi !
Aujourd’hui la solidarité est sur toutes les lèvres ; celles des hommes politiques comme celles des hautes autorités spirituelles ; celle du Pape en l’occurrence qui lance des appels aux quatre coins du monde. C’est au nom de la solidarité que l’union européenne vole au secours des pays membres les plus endettés et qu’elle s’affaire pour sauvegarder la monnaie commune de la zone. Elle est sur les lèvres parce que le défaut de solidarité entraîne, entre autres travers, l’intolérance qui conduit au désordre social et ce désordre est bel et bien une fois de plus à nos portes. Il est vrai que les affres de la guerre du Biafra d’il y a quarante cinq ans s’enfoncent déjà dans l’histoire emportant avec elles la récente disparition de son chef de guerre mais elles ne peuvent sombrer dans l’oubli avec les trois mille morts qu’elles ont faits en trois ans. Et déjà l’on menace d’islamisation et d’application de la charia à tout prix par d’horribles attentats interposés.
La Nation trouve son fondement dans le vouloir-vivre ensemble et le vivre ensemble implique une solidarité de devoir mais aussi de droit concomitamment qui constituent à elles deux, le ciment social de la société ; l’esprit d’équipe. La solidarité c’est aussi le ciment politique qui garantit la sécurité et l’intégrité territoriale sans lesquelles il n’y a pas de cohésion et de paix sociales susceptibles de maîtriser les forces centrifuges toujours présentes à l’intérieur d’une nation. Notre ministère de la famille, des actions sociales, de la solidarité nationale, des handicapés et des personnes du troisième âge est en fait le département des solidarités dont a besoin la Nation pour se construire si l’on accorde, comme il se doit, à ce substantif solidarité son acception tout à la fois morale, sociale, économique et politique. Au demeurant l’idée même de solidarité renforce l’idéal patriotique et pour être efficace, la gestion de la chose publique devra s’adjuger la composante solidarité.