Régime d’assurance maladie universelle: appréhensions et suggestions

Il nous plairait bien de penser que ce n’est ni par simple coïncidence, ni par seul souci de présenter un bilan tant exhaustif qu’élogieux à la Nation que le Chef de l’Etat a procédé au lancement officiel du Régime d’Assurance Maladie Universelle (RAMU) le 19 Décembre dernier, au moment même où la lutte contre les « faux médicaments » battait son plein. En effet cette lutte sans celle concomitante du régime d’assurance maladie se trompait de cible ; elle était assurément perdue d’avance quelles que soient les mesures que pouvait prendre l’administration pour contrer la vente des médicaments à l’étalage. En effet par quelle prouesse pouvait-on obtenir des 91% de la population sans la moindre couverture médicale, de ne pas acheter ailleurs les médicaments dont ils ont grand besoin et dont les prix leur sont prohibitifs dans les pharmacies ? Ils ont pris l’option et le risque de vivre et on ne peut leur en vouloir décemment

Un cadeau de fin d’année a dit le chef de l’Etat. Mais lorsque l’on a attendu tel présent depuis plus de 50 ans, il y a de quoi faire preuve de circonspection et se demander avant toute chose ce qui a pu le retenir si longtemps. Pendant plus d’un demi-siècle, les autorités successives qui ont dirigé ce pays ont tourné le dos à l’assurance maladie, laissant le peuple passer banalement de vie à trépas sans aucune assistance, sans aucun recours alors que le devoir d’Etat leur faisait obligation d’assurer la couverture maladie aux citoyens. Jusqu’alors et autant que je me souvienne, aucun gouvernement n’a pris ce sujet à bras le corps, aucun homme politique, quand bien même sollicitant les suffrages du peuple, ne l’a introduit dans sa campagne électorale ; aucun syndicat ne s’est, dépassant le cadre traditionnel des revendications salariales, préoccupé de savoir si la couverture médicale pouvait, elle aussi et à sa manière, faciliter la vie aux travailleurs en améliorant leur bien-être au même titre que le relèvement des salaires. Même le régime dit révolutionnaire est resté en marge de cette préoccupation ; et pourtant l’assurance maladie est la pierre angulaire de toute politique sociale. Il y a donc lieu de se poser la question de savoir pourquoi il en a été ainsi.

Les réponses ne paraissent pas évidentes à l’esprit au prime abord mais je retiens pour ma part l’indifférence des dirigeants d’alors pour le sujet, le manque de responsabilité et de solidarité des cadres envers le peuple à qui ils sont pourtant redevables à maints égards de leur position sociale, mais surtout le déficit de détermination d’une Caisse Nationale de Sécurité Sociale à étudier réellement la question, se contentant de gérer les choses faciles à gérer et ne présentant pour elle aucun risque financier. Et pourtant la raison primaire et intrinsèque de toute caisse de sécurité sociale est le risque maladie, facteur déterminant dans le bien-être du citoyen. Ce n’est ni plus ni moins d’un déni de droit à grande échelle que l’Etat et sa Caisse ont été coupables contre le peuple pendant un demi-siècle ; et nous faillirions à leur mémoire de ne pas nous rappeler tous ceux-là qui en ont pâti et s’en sont allés dans la douleur de l’indifférence et de l’injustice. Il siérait alors, en acceptant le cadeau du Chef de l’Etat, de tirer la leçon de cette situation : les intérêts fondamentaux du peuple peuvent être tenus en haleine par les Autorités politiques sans que ces dernières, ignorance des citoyens de leurs droits aidant, soient inquiétées d’aucune manière ; sans que ce peuple puisse donner de la voix et les interpeller véritablement d’autant que la constitution de notre pays ne lui accorde aucune occasion de contrôle direct sur elles hormis celui exercé par l’intermédiaire de ses représentants. Le RAMU est encore en gestation ; son effectivité nous est promise pour le mois d’Avril ; aussi le peuple qui a souffert de son manque pendant un demi siècle a-t-il le droit et le devoir de s’inviter dans le débat pendant qu’il est encore temps.

L’état des lieux

Jusqu’en 1995, deux systèmes d’assurance assuraient la couverture sociale sur l’ensemble du territoire national : la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) dont la raison sociale a évolué dans le temps et le Fonds National des Retraites du Bénin (FNRB) couvrant respectivement les personnes employées dans le secteur privé de l’économie formelle d’une part, les personnes admises à la retraite de la Fonction Publique et celles encore en activité dans ce dernier secteur d’autre part. La Caisse Nationale de Sécurité Sociale gère le régime général de la sécurité sociale ; elle est sensée protéger les travailleurs des secteurs privé et parapublic. Cependant elle a exclu totalement de ses couvertures les soins médicaux à l’exception de ceux liés aux accidents de travail et aux maladies professionnelles. La résultante de ce qui précède est que le système a laissé à l’écart la grande majorité de la population, la plus vulnérable certes mais aussi celle représentant 95% des actifs occupés de la population active qui exerce ses fonctions dans le secteur informel de l’économie. Aussi les mutuelles ont-elles fait récemment leur apparition pour pallier à cette situation. Il reste que de nos jours moins de 10% de la population bénéficie des trois systèmes de sécurité sociale dans les proportions suivantes :

1% auprès des compagnies privées. En place depuis 1998, l’assurance privée commerciale applique des primes très élevées pour l’assurance maladie ; en moyenne 200.000 francs par adhérent et par an, Seules les grandes entreprises sont en mesure d’y souscrire pour leurs employés.

6% par l’Etat. Les fonctionnaires civils et militaires, qu’ils soient en activité ou à la retraite, relèvent d’un régime particulier géré par le ministère de l’économie et des finances par le truchement du Fonds National des Retraites du Bénin (FNRB) créé en 1966. Cependant le Fonds ne prend en charge que 80% des frais de consultation, d’hospitalisation ainsi que des soins médicaux et cela exclusivement dans les formations publiques ; elle ne prend en charge d’aucune manière les médicaments qui pourtant sont sensés soigner le mal pour lequel le patient va en consultation : c’est une hérésie qui choque l’entendement et c’est le moins que l’on puisse en dire. Le Fonds National des Retraites du Bénin, cumulant à lui seul pratiquement toutes les branches d’assurances sociales, est en déficit structurel grandissant et les insuffisances qu’il présente sont énormes ; aussi le Ministère du Travail et de la Fonction Publique a-t-il initié la mise en place d’une Mutuelle de Santé des Agents de l’Etat. L’étude de faisabilité y relative a bénéficié de l’appui du Bureau International du Travail (BIT).

2% auprès des mutuelles. Telle que conçue dans notre pays, la mutuelle n’est pas une structure complémentaire d’assurance maladie qui rembourse partie ou totalité de ce que n’a pu rembourser la caisse de sécurité sociale. Elle est une micro assurance à caractère communautaire visant l’autonomie de gestion. L’on compte deux grandes mutuelles en opération sur le territoire national : la Mutuelle de Sécurité Sociale du Bénin (MSSB) crée en 1999 avec le soutien du Ministère de la Fonction publique et du Travail et la Mutuelle de Santé recevant l’appui du Ministère de la Santé. En 2011 les deux mutuelles rassemblaient 22.000 adhérents et leur clientèle est surtout citadine. L’on compte également une multitude de mutuelles privées. Ces dernières dont le nombre excède 250 à ce jour sont des institutions sans règle uniforme et d’envergure locale d’autant que leur clientèle est plutôt rurale; elles sont bien souvent fondées sur des programmes précis et fonctionnent exclusivement sur assistance étrangère. Les mutuelles couvrentgénéralement les mutualistes à hauteur de 70% des frais engagés pour des actes médicaux bien déterminés et prennent en charge dans les mêmes proportions les médicaments lorsqu’ils sont disponibles dans les formations sanitaires agréées par elles. Dans le cas contraire le patient n’a d’autre choix sain que de s’approvisionner en pharmacie. Qu’elles soient publiques ou privées les mutuelles sont très mal connues du public et cela ne se comprend pas bien.

Les appréhensions

Que ce soit le comité technique interministériel appuyé des représentant de l’UNICEF et du BIT ou le seul ministère de la Santé qui se charge de la finalisation du RAMU- nos informations ne sont pas précises sur ce point- aucune des deux instances ne nous parait suffisamment représentative de la société. Il serait indiqué que soient associés à leurs travaux, d’une manière ou d’une autre, les représentants des différentes couches sociales de la Nation et particulièrement ceux des paysans et des agriculteurs qui ont des préoccupations spécifiques différentes de celles des citadins. Il convient en effet de se rappeler les reproches de la société civile aux autorités gouvernementales pour n’avoir pas été consultée en amont dans la prise des récentes décisions afférentes aux grandes réformes entreprises par le Chef de l’Etat. Le développement, c’est aussi savoir tirer leçon du négatif.

En tout état de cause, l’on est fondé à espérer un RAMU qui tienne grand compte des réalités de notre environnement social et à s’assurer aussi bien de sa faisabilité réelle que de sa pérennité. Et notre première réalité en l’occurrence, c’est que la grande majorité de la population et singulièrement celle opérant dans l’informel ne dispose pas de fiche de paie ; l’on ne peut donc y prélever à échéance fixe des cotisations à la source. Mais l’autre réalité c’est qu’il sera difficile d’obtenir du béninois moyen qu’il économise de son propre chef une partie de ses revenus pour l’affecter au paiement de sa prime d’assurance maladie. Il y a toutes les chances qu’il ne le fasse pas de si tôt en tout cas. Il n’est que d’échanger avec l’homme de la rue quelque instant sur le sujet pour s’apercevoir qu’il est encore bien loin d’appréhender le principe même de solidarité qui sous-tend l’assurance ; cotiser alors qu’il n’est pas malade ; cotiser à fonds perdus ? Il s’impose en conséquence une forte sensibilisation préalable qui prendra le temps qu’il faudra. Au demeurant l’on a des raisons de craindre que le béninois moyen, habituellement en butte aux imprévus familiaux de toutes sortes, ne soit pas à même d’épargner, quelque soit le montant qu’on lui demandera, à la fin de chaque mois et cela de manière régulière, sans discontinuer pour constituer sa prime d’assurance maladie. Il fera face, à n’en pas douter, à des retards dans les paiements qui entraîneront ipso facto des ruptures de contrat; il y aura des incompréhensions entre le payeur et le receveur ; il y aura des litiges à n’en plus finir et des drames en définitive. Il faudrait reconnaître par ailleurs que les problèmes des citadins ne sont pas les mêmes que ceux des ruraux ainsi que nous l’évoquions supra. Ces derniers dépensent moins en termes de santé ; ils subissent divers aléas dans leur production et discursivement dans leurs rentrées d’argent ; des aléas climatiques, pluviaux et même dans la fourniture d’intrants. Comment dans ces conditions leur demander une cotisation mensuelle au même titre que les citadins salariés, le cas échéant ?

De plus la gestion des cotisations individuelles sera bien compliquée tant par défaut de données informatisées que par la lourdeur administrative qu’elle connaîtra ; au demeurant les occasions de fraude seront légion d’autant que la situation de notre état-civil n’est pas des plus crédibles au monde. Cette gestion sera difficile et il faudra craindre que les frais administratifs qui s’y affèreront obèrent sérieusement les finances de l’établissement au détriment des remboursements aux assurés. Dans un autre registre et dans la mesure où le RAMU prévoit la gratuité des soins à une catégorie de personnes qui, du reste sera difficile à identifier objectivement, j’ajouterais que gratuité et gratuité encore font beaucoup de gratuités qu’accorde le politique dans la liesse populaire. Il conviendrait cependant que le financier soit à ses cotés pour nous assurer que toutes ses bonnes intentions n’entraîneront pas un report de passif, le cas échéant, sur les générations à venir ; sur nos enfants et nos petits-enfants qui en dernier ressort en feront les frais car en termes de marketing, ce qui est gratuit pour quelqu’un est toujours payé par quelqu’un d’autre. En tout état de cause, l’exemple à ne pas suivre du pays qui nous sert habituellement de référence est bien là qui, sous la pression du peuple et des syndicats à un moment donné de son histoire, a dû accorder un certain nombre d’avantages sociaux que n’arrivent plus à contenir les budgets de sa caisse de sécurité sociale. Et, ne pouvant plus reculer, il se voit contraint de prélever en bonne et due forme, de nos jours encore un pourcentage sur les salaires des travailleurs pour financer et tenter de résorber le déficit cumulé de la Caisse. La quadrature du cercle ! Nous ne souhaitons pas être engagés dans cette spirale-là. Nous pensons en effet que la règle d’or du RAMU devra être le rejet d’emblée d’un quelconque déficit qui hypothéquerait d’une autre manière le bien-être du citoyen qu’il est sensé améliorer et qui mettrait en cause sa pérennité. Au reste nous n’avons pas de doute que l’Etat saura faire la part des choses et qu’il ne permettra pas que la majeure partie des recettes que les citoyens auront constituées pour assurer leur couverture médicale aille échoir dans les rémunérations et autres frais de gestion.

Les suggestions

Nous souhaitons que l’Etat pallie à toutes ces appréhensions autrement le cadeau sera amer. Il n’est peut-être pas superflu de rappeler que c’est depuis 2008 que le gouvernement a décidé de créer le régime d’ assurance maladie universelle et qu’apparemment le paramètre qu’il n’a pu résoudre jusqu’alors était celui de son financement. Maintenant que nous sommes à ce stade pourquoi ne pourrait-il étudier un système de prélèvement d’office des primes sous la forme d’une taxe à la consommation dans le cadre propice et si opportun du partenariat public privé que prône le Chef de l’Etat ; manière de joindre l’acte à la parole toujours payante en politique publique ? Ce serait tellement plus simple et plus pratique ; la mobilisation des ressources n’en sera que plus certaine et plus aisée favorisant par la même occasion une gestion rigoureuse voire transparente. ; ce serait tellement moins onéreux ; moins stressant pour la société, plus juste et tellement plus solidaire aussi. Une taxe à la consommation aura, dans sa généralisation, l’avantage complémentaire d’épargner toute gratuité dans le système du RAMU qui ira probablement constituer un passif ailleurs et que d’autres devront payer de toute façon. Et pour que nos suggestions ne prêtent pas à équivoque, nous nous devons de préciser que par taxe à la consommation nous ne visons pas le panier de la ménagère ; tant s’en faut. Les boissons que produisent abondamment les sociétés de brasseries ; les services en téléphonie mobile qu’offrent tout aussi abondamment les grandes multinationales de la place sont de la consommation au demeurant facile à taxer. Pourquoi ne pas envisager par ailleurs de mettre à contribution le collectif des pharmaciens dans la mesure où c’est lui qui, en définitive, tirera le meilleur parti de l’assurance maladie ? Toutefois il ne s’agira pas de lever une taxe supplémentaire sur les médicaments que, du reste, les pharmaciens se dépêcheront de répercuter sur leurs clients mais d’aménager une taxation sur le chiffre d’affaires additionnel estimé qu’ils seront sensés faire par suite de l’élimination, à leur profit, des ‘’pharmacies’’ concurrentielles à ciel ouvert.

Toutes les taxes qui constitueront ainsi les primes d’assurances maladie devraient être affranchies du principe de non affectation des ressources pour faire l’objet d’une gestion spécifique sous le contrôle permanent de la Cour des comptes. Peut-être l’Agence Nationale d’Assurance Maladie (ANAM), l’organisme d’exécution du RAMU, ne devrait-il pas chercher à absorber systématiquement les mutuelles mais plutôt à les consolider et à favoriser leur rapprochement du Centre National Hospitalier Universitaire dans le cadre d’un partenariat global. L’ANAM ne pourrait-elle jouer un rôle d’orientation et de supervision en déconcentrant ses attributions plutôt que de se constituer en une machine centralisée et lourde qui s’avérera rapidement difficile à gérer ? Pour contrer tout déficit éventuel et parer à toute mauvaise éventualité, nous proposons la constitution d’une réserve initiale de garantie sans préjudice de la réserve légale des fins d’exercice. Ladite réserve sera constituée au cours d’une période de différé d’intervention. En d’autres termes si l’on commence par exemple à prélever les taxes en Avril, la couverture médicale ne prendra effet qu’après la période qu’il faudra pour constituer cette réserve afin de garantir la viabilité et la pérennité du régime d’assurance maladie ; cette mesure est d’une importance capitale et tout à fait déterminante pour garantir la viabilité et la survie du régime. Et pourquoi dans cette foulée l’ANAM ne ferait-elle pas office de réassurance des mutuelles qui, du reste, méritent de conserver leur autonomie d’autant qu’elles ont gagné en expériences ; que la population commence à s’attacher à elles et qu’elles ont déjà tissé un réseau de couverture dans les différents départements du pays ? L’assurance maladie est une affaire très sérieuse et à double tranchant. Soit elle est bien conçue avec des garde-fous et elle contribuera à réduire la pauvreté ; soit elle ne l’est pas et elle accroîtra la pauvreté en définitive. Il convient de ne pas perdre de vue que c’est la branche des assurances qui présente le plus de risques financiers pour les assureurs ; l’on comprend de quelque manière que notre caisse de sécurité sociale s’en soit éloignée et que celle du pays qui nous sert de référence patauge dans le déficit qu’elle n’arrive pas à résorber en raison précisément des faiblesses de sa branche maladie ; nous devrions en tirer leçon notamment en ne fondant pas notre régime d’assurances maladie sur des cotisations individuelles et personnelles mais aussi en constituant une réserve initiale de garantie.

Il est grand temps que nous nous résolvions à rechercher des solutions originales et adaptées à nos problèmes ; et il nous plait de rappeler que, parlant du régime général de sécurité sociale géré par la Caisse Nationale de Sécurité Sociale, un de ses directeurs techniques déclarait, il y a quelque temps déjà, que la source première des faiblesses de la Caisse résidait dans le fait « qu’il constitue une importation des systèmes existant dans les pays européens colonisateurs, sans aucune adaptation notable au contexte et aux réalités africaines ». Il avait vu juste.

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