A l’écart des invectives, des intrigues de caniveau auxquelles se livrent les hommes politiques par voie de presse interposée, il y a parfois, sur l’étroite terre du Bénin, des plages de gaîté insouciante que nous offrent à vivre les artistes de la chanson. Depuis quelques mois, des albums de vedettes locales s’étagent dans nos armoires et sur nos discothèques ; certains, avec de la réussite, d’autres avec moins de bonheur.
Je parlerai d’abord de H20 Assouka, groupe de rap à la sauce afintin – entendez roots – qui vient de sortir son quatrième opus, Adingodja. Privé de leur compagnon et co-fondateur Eric Dédéwadé, les trois malabars ont effectué un comeback plutôt convenu, un peu trop convenu. Certes, ils nous avaient déjà habitué à des titres chaloupés et très hip-hop comme « oyégué », ou à des chansons très tchink comme « aladji » ou encore à des élaborations rythmiques yorouba comme « tcho-tcho ». On s’entendait à des surprises artistiques plus enlevées, mais H20 version Adingodja a fait du H20 classique. Cependant, on ne peut résister à trois titres qui sortent du lot : « azanmè », « djomido » et « dodé », trois morceaux véritablement dansants, mâtinés de parfum « racine » avec, à chaque fois, la voix vive et enjouée de la jeune femme du groupe. Dommage que ces chansons soient noyées dans les treize autres et ne permettent pas de rendre l’album véritablement audible.
A l’inverse de H20 Assouka, Sèssimè, jeune louve de la musique béninoise en impose par sa nouvelle sortie discographique, Wazakoua. Sèssimè, c’est le retour à la source, l’immersion dans le terroir « fon » et « baatonou », même si quelques chansons en Français viennent en attiédir l’homogénéité. Loin derrière elle ses errements de chanteuse zouk love, avec sa coiffure méchée, ses jupes et corsages, son nom Kristel, bref, tous ces oripeaux bling-bling qui faisaient d’elle une chanteuse certes glamour mais anonyme. Avec Wazakoua, c’est la renaissance identitaire, une fraicheur à la fois rythmique et mélodique dictée par sa soif de se reconnecter à sa culture. A ce propos, on dit qu’elle aurait séjourné dans un couvent vaudou, qu’elle y aurait fait des recherches et qu’elle y aurait arraché le feu sacré investi de l’inspiration d’«Aziza ». Comment ne pas alors succomber devant « Sè tché ho», « Ado », « Ayaba », « Mayavio » ? Comment ne pas s’émouvoir devant les chœurs, parfaitement maîtrisés qui surfent sur une voix lead faussement cassée, inventoriant, à chaque fois, les registres des chansons des cours royales et des couvents ? Avec « Ado », c’est un hommage au tchink system, certes, mais c’est aussi un clin d’œil lointain fait à Angélique Kidjo. Car, sans vraiment imiter la native de Ouidah, Sèssimè donne à ses chansons un souffle puissant porté par des envolées lyriques. Avec « ayaba », elle atteint le sommet de son art, une chanson déclinée en deux phases, la première sur du RNB, la deuxième sur le « tèkè » baatonou. Ici, la voix se risque comme au travers d’un entonnoir et donne l’impression qu’elle est à la fois proche et lointaine, cependant que s’égrène, en arrière-fond une percussion en deux temps. On en redemande encore.
Enfin, dans la même lignée, mais peut-être un peu un ton au-dessus, le disque fort attendu de Zeynab, « Olukemi ». Seize titres, seize façons d’explorer le monde, depuis le village natal de l’artiste, Sakété, jusqu’aux confins des ruelles du Bronx à New York en passant par Poto-Poto à Brazzaville et les ambiances festives des mariages Yorouba à la Sunny Adé à Lagos. Annoncé un an auparavant par un opus de deux titres, le troisième album de Zeynab s’est nourri de toutes les influences, de toutes les sensibilités. A l’exemple de deux titres que j’aime particulièrement « baba mi » et « je vous remercie ».
« Baba mi » est un titre-cocktail où l’on perçoit un peu de zouk, du foudji, quelques cymbales sud-africaines, des sanglots de guitare avec des paroles fon et yorouba. « Je vous remercie », lui, est la reprise d’une chanson de GG Vikey. Chanson-hommage, chanson-prière dans laquelle Zeynab fait du Zeynab, c’est-à-dire une re-création du morceau avec son timbre singulier, l’élasticité de sa voix, le tout porté par un rythme rock. A jouir de ces « caresses à l’ouïe », on ne peut dire qu’un mot, un seul : « merci » à la diva !