Chronique des temps qui tanguent : une saison d’anomie

A season of anomy, tel est le titre d’un des ouvrages phares du seul prix Nobel de littérature d’Afrique noire connue à ce jour, (l’Afrique du Sud exceptée), le Nigérian Wole Soyinka. Le terme «anomie» est un terme savant que le dictionnaire Le Robert définit comme «l’absence d’organisation sociale résultant de la disparition des normes communément acceptées». Tous ceux qui connaissent le Nigeria savent que le terme campe bien l’état proche du chaos de la société. 

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L’actualité sociopolitique de ces derniers jours dans notre pays, avec la triple vraie fausse affaire de la révision de la Constitution, du Pvi et de la crise cotonnière nous amène à nous demander si nous ne sommes pas au Bénin, en pleine saison d’anomie.

Tenez! Le monde entier sait que plus d’un an après la dernière présidentielle, le peuple béninois tout entier est encore sous le coup du K.-O au premier tour, annoncé, réalisé et entériné par la Cour constitutionnelle. La Lepi, par laquelle le scandale est arrivé est au cœur de toutes les préoccupations en cette veille d’une élection aussi capitale que celle des maires de nos communes. On sait que le Coordonnateur de la Cps Lepi a été bombardé ministre des Affaires étrangères, poste qu’il a accepté sans état d’âme, dans l’indifférence quasi générale. Et c’est ce moment que choisit notre président si mystérieusement élu, pour introduire par le biais d’une session extraordinaire de 15 jours francs un projet de révision de la loi fondamentale. On connaît la suite! Devant le tollé général venant de toutes les couches de la société et surtout du milieu insoupçonné des vieux leaders d’opinion qui n’aspirent qu’à une retraite paisible, le chef de l’Etat a battu en retraite, pour ainsi dire. Pas pour longtemps!

Coup sur coup, deux affaires sont évoquées à la faveur d’une cascade de conseils des ministres extraordinaires (depuis l’avènement de Boni Yayi, il y a tellement eu de conseils des ministres qui durent des jours entiers comme des sessions parlementaires qu’on se demande si les ministres ont le temps d’exécuter leurs missions républicaines). La concomitance du rejet du projet de révision avec l’évocation des deux affaires retient l’attention des observateurs. Certains y voient un lien qu’on ne peut encore confirmer à l’étape actuelle de nos investigations. Ce sont les affaires liées à la seule culture de rente de note pays, le coton et au contrat du Programme dit de Vérification des Importations (Pvi de nouvelle génération: deux affaires concernant une seule et même personne Patrice Talon dont les relations avec l’actuel tenant du pouvoir sont de notoriété publique. Pour la première affaire, comme pour la seconde, menée concomitamment, les évènements se sont succédé à la vitesse grand «V». Tour à tour, le ministre de l’Economie et des Finances (le 5ème en six ans de gouvernance Yayi) et le directeur du Trésor et de la Comptabilité publique sont limogés, pour une ténébreuse affaire de paiement de subvention des intrants. Dans la foulée, des cohortes de producteurs de coton sont débarqués, depuis le nord, sur presque toutes les chaînes de télévision, pour dire tout le mal qu’ils pensent des dysfonctionnements de la filière et exiger la dissolution de l’accord entre l’Etat, l’Aic et la Cspr. Des spécialistes auto proclamés sortis opportunément (où ces gens là étaient avant?) des bureaux climatisés du ministère de l’Agriculture sont montés au créneau, pour renchérir. Et l’homme d’affaire a été gardé-à-vue puis mis en liberté par le procureur de la république, près de quarante huit heures plus tard. Et le gouvernement donne satisfaction aux détracteurs des structures régissant la filière, quelques semaines seulement après leurs déclarations, et cela, de la manière la plus cavalière. Ainsi, dans la foulée des dénonciations conjuguées du gouvernement et des producteurs présumés, une commission dite d’évaluation composée d’experts de la Bceao et de l’Uemoa est annoncée qui s’est aussitôt mise au travail et qui conclut opportunément à des dysfonctionnements. A la suite de quoi, le conseil des ministres décide de remettre tout à plat et de confier la gestion de la période dite transitoire à un comité ayant pour bras d’exécution, la Sonapra. D’un trait de plume, le gouvernement met ainsi fin à un système mis en place laborieusement sous la houlette de la Banque Mondiale depuis les années 98/99. Toute cette acrobatie qui tient de la pantalonnade ferait simplement sourire, si nous n’étions pas en pleine campagne cotonnière où les intrants, de l’avis des spécialistes auraient dû être mis en place depuis le mois de février. Notre gouvernement prend tous les citoyens ce pays pour des demeurés. Le rapport d’une commission d’évaluation ou d’audit n’est pas parole d’évangile. Il est toujours suivi d’un atelier de validation où le rapport est passé au peigne fin par les auditeurs et les acteurs de la structure. On valide ce qui est à valider et on apporte des corrections nécessaires et on engage des réformes. Un gouvernement responsable remettrait à la campagne prochaine les réformes nécessaires à faire dans la filière, quitte à s’organiser pour encadrer les structures défaillantes jusqu’au terme de la campagne en cours. Parce que le vrai problème de la filière est l’abandon du rôle régalien par les structures de l’Etat. La conséquence logique de tout ce remue-ménage orchestré par le pouvoir central, c’est une désorganisation totale de la filière qui résultera d’une année blanche cotonnière du fait de la mise en place tardive des intrants.

L’autre affaire qui fait les gorges chaudes de la nomenklatura qui nous dirige, c’est l’affaire du programme de vérification des importations dit de nouvelle génération, plus connu sous le nom de PVI. Et c’est là où notre gouvernement et son chef étalent toute leur incompétence et leurs carences. Tenez! Le ministre de l’Economie maritime était samedi dernier sur les plateaux de la télévision nationale à une heure de grande écoute, pour parler des raisons de la suspension dudit programme. C’est alors que Valentin Djènontin fait une déclaration des plus ubuesques qui tient de l’aveu, au terme d’une série de platitudes qui ne convainquent personne. Le chef de l’Etat, dit-il pince-sans-rire, n’a pas lu le contrat PVI avant de signer de sa main, le décret de mise en application qui date du 17 janvier 2011. On est où là? Dans quel pays, en effet, sommes-nous où le président de la République élu peut venir déclarer sans sourciller qu’il n’est pas au courant de ce que ses ministres font? Il en a ainsi été des affaires dites ICC services, Censad et d’enlèvement de Dangnivo. Aujourd’hui, c’est le PVI. Pourtant, le contrat de marché N˚20/20/Mef/Mpdepp-cag/Mdcemip/Dncmp en date du 09 février 2011 relatif à la mise en place du PVI dont notre journal a pu obtenir une copie, a été signé par, pas moins de trois ministres, dont l’un est toujours en place et même monté en grade. Pourtant aussi, tout le monde se souvient qu’en son temps, le chef de l’Etat a engagé une lutte sans merci contre les douaniers traités de tous les noms d’oiseau. A l’occasion, son exclamation indignée: «mais ils sont gonflés, ces douaniers!» est resté dans les mémoires. Certes, un gouvernement autant qu’un individu peut revenir sur un contrat à tout moment, puisqu’un contrat prévoit les clauses de sa propre dénonciation.

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Un gouvernement ne peut pas non plus renier ses propres engagements ni remettre en cause les termes d’un document sur lequel il a apposé sa propre signature. Et on baigne en pleine anomie, quand un chef de gouvernement confronté à des problèmes de gestion qui relèvent de sa compétence se résoud à instrumentaliser les institutions de contre pouvoir. On se souvient de l’audience accordée par les présidents de la cour constitutionnelle, de la Haute Cour de justice, du Conseil économique et social, de la cour suprême à l’homme d’affaire Talon. A posteriori, on se rend compte que ce conclave insolite dénoncé dans ces colonnes même n’a débouché sur rien. Nous sommes encore en pleine anomie, quand un gouvernement met dans un communiqué du conseil des ministres qui est censé être un texte administratif impersonnel, des injonctions à des tiers, comme celle faite au même homme d’affaire de se présenter tel jour, sous peine d’être frappé de suspension de contrat. Anomie aussi, quand un communiqué de conseil des ministres se plaint de ce qu’un citoyen refuse de se présenter aux convocations à réunion. Et nous sommes bel et bien en pleine anomie, lorsque le gouvernement écrit dans le communiqué du dernier conseil des ministres extraordinaire en date qu’il vient de s’apercevoir de trois erreurs monumentales qui risquent de coûter cher:

1- le signataire du contrat PVI n’est pas celui à qui le contrat avait été notifié;

2- l’article 49 parle du recours à un tribunal arbitral alors qu’il s’agit, selon le gouvernement, d’un contrat purement administratif;

3- les responsables de la société Bénin Control se sont précipités d’aller installer des scanners à l’aéroport, sans en aviser le gouvernement propriétaire de toutes les infrastructures du pays.

Au total, notre pays le Bénin risque de connaître, si on n’y prend garde, de sombres périodes d’incertitudes et de profonds bouleversements, cela par la faute de nos dirigeants. Le retour en arrière sans préparation dans la gestion de la filière coton risque de conduire à ce que certains appellent une saison blanche cotonnière désastreuse pour les finances publiques autant que pour les producteurs à la base et le pays tout entier. Quant au PVI, la suspension même provisoire du contrat qui le sous-tend, sans aucune prise en compte des investissements faits, des emplois créés et des engagements multiples pris par les responsables de Bénin Control ne peut être que préjudiciable aux intérêts de tous les contribuables de ce pays. Il reste à savoir pourquoi notre gouvernement a fait le pari de prendre un tel risque?

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