Est-ce une chance ou une malédiction de faire valoir ses droits à la retraite ? Si l’on devait organiser un référendum sur la question, au Bénin, ou pourrait très facilement en anticiper le résultat.
Le retraité béninois nourrit le sentiment douloureux, qu’après avoir passé les meilleures années de sa vie à servir, il n’est payé, à la fin, qu’en monnaie de singe, victime qu’il est d’un assassinat administratif programmé.
Faut-t-il la prendre pour une bonne nouvelle ? L’Assemblée nationale, ce jour 31 mai, enregistre une question orale, à l’adresse du gouvernement, sur la situation de nos retraités. Pourquoi ceux qui sont admis à la retraite, dans notre pays, ne sont-ils pas en possession de leur carnet de pension le jour même de leur départ ? De quoi veut-on qu’ils vivent s’ils ne touchent leur première pension que plusieurs mois après leur départ à la retraite ? A-t-on du cœur si l’on soumet ces hommes et ces femmes, avant qu’ils ne touchent leur maigre pension aux longues files d’attente, aux multiples voyages sur de longues distances, aux nuits passées à la belle étoile pour ceux d’entre eux qui n’ont personne à Cotonou ?
L’Assemblée nationale entre dans la danse. C’est bien. Il vaut mieux tard que jamais. C’est justice que les travées de la vénérable institution résonnent, de temps à autre, de ces graves questions. Pour fouetter nos consciences. Pour secouer nos indifférences. Pour interpeller nos négligences. Nous côtoyons chaque jour, des retraités, sans nous rendre compte de leur détresse, sans rien percevoir de la tragédie qu’ils vivent.
Quand un pays en vient à montrer ou à entretenir tant de distance avec une frange de ses citoyens, c’est que le ver est dans le fruit. Mais comment en sommes-nous arrivé là, nous qui sommes les héritiers des valeurs, des sociétés pour lesquelles et dans lesquelles le troisième âge n’a jamais été un sujet banal ?
En fait, c’est le sens de l’humain qui s’est gravement érodé dans nos sociétés. C’est ce qui explique que nous sommes agités comme des branches mortes entre un passé dont nous perdons la mémoire ; un présent dans lequel nous restons largement des figurants aux côtés des acteurs majeurs ; un avenir que nous commençons à brader avant même que nous n’en abordions les tout premiers rivages.
Le retraité est ainsi victime d’un déni d’humanité. Expulsé qu’il est des circuits de la production, réduit à être un simple consommateur, marginalisé dans la société et cantonné loin des cercles bruyants et brillants qu’éclairent les feux de l’actualité. Le retraité, ainsi, n’est plus qu’un squatter dans sa propre société, n’est plus qu’un sans domicile fixe en sa propre maison. Et c‘est parce que l’on ne voit plus en lui un être humain, au sens plein du terme, qu’on s’autorise de le traiter parfois moins qu’un animal.
En fait, c’est le sens des valeurs qui s’est gravement érodé dans notre société. Le matériel est l’élément référentiel à partir duquel ont fait exister un être humain. On peut alors lui assigner une place ou l’enfermer dans un rôle. Le matériel habille quelqu’un dans le sens du proverbe qui dit que l’habit fait le moine. A contrario, le matériel diabolise quelqu’un dans le sens où les Ivoiriens, dans leur succulent et inimitable français, disent « pauvre a toujours tort ». Si hier, le retraité d’aujourd’hui trouvait déjà son salaire insuffisant, de quelle force de frappe peut-il socialement prétendre avec une pension qui le prolétarise, quand elle ne le clochardise pas ?
Enfin, le drame que vit le retraité instruit, en partie, le procès du retraité lui-même. Pourquoi ?
– Parce que beaucoup vont à la retraite sans avoir eu à manifester une réelle volonté de la préparer. Aussi se surprennent-ils de s’être laissé surprendre par la retraite qui vient comme un voleur.
– Parce que pour beaucoup, la retraite est vécue comme une fatalité. Par démission mentale, ils n’ont jamais cru en eux-mêmes. Aussi ne se sont-ils jamais crus capables d’utiliser les ressources de leur esprit pour s’imaginer un sort autre ou pour rêver d’un monde meilleur.
– Parce que beaucoup entrent en retraite comme l’on entre dans le trou noir de la tombe. Ils choisissent d’être des spectateurs passifs dans la vie, avant de se laisser compter au nombre des morts définitifs dans l’au-delà.
Si cela peut réconforter nos retraités, sur le mode de l’appel de Karl Marx, lançons d’une voix claire et forte: «Retraités d’ici, d’ailleurs et de partout, unissez-vous !».
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