Le propre de la pauvreté, c’est d’avoir les effets pervers d’une maladie invalidante. Elle brise le pauvre. Elle ne lui laisse que peu de chance de s’en sortir.
Le savent-ils nos spécialistes et experts en réduction de la pauvreté ? Peut-être qu’en dissertant moins sur le concept abstrait de la pauvreté, ils accèderont, enfin, à l’être concret du pauvre.
Placez le pauvre face à la pénurie : vous n’entendrez que ses plaintes et ses complaintes. Situez-le sur le terrain de la gratuité, là où il peut espérer récolter sans avoir eu à semer : il vous révèlera son penchant à gaspiller, son inclination à dépenser sans compter. Offrez-lui, enfin, une opportunité à saisir. Il n’est pas sûr qu’il prenne promptement la main ainsi généreusement tendue.
La pénurie, c’est le royaume du pauvre. Il est ici sur son territoire, comme la grenouille en son marigot. Manquant de tout, taraudé par la peur du lendemain, le pauvre est le symbole vivant de ce fameux ventre affamé qui n’a point d’oreilles. On peut comprendre, de ce fait, que le pauvre n’entend rien autour de lui. Il est occupé à n’écouter que sa faim, préoccupé à apaiser sa soif.
C’est la raison pour laquelle le pauvre passe le plus clair de sa vie à se plaindre de tout et de rien. Quand la sécheresse s’installe et brûle tout dans les champs, le pauvre charge Dieu, lui reprochant de ne lui avoir pas fait grâce d’une seule goutte de pluie. Mais quand le ciel ouvre généreusement les vannes, que les pluies sont abondantes, le pauvre se plaint de ce que Dieu l’a gratifié de plus d’eau qu’il ne lui en faut.
Le pauvre face à la fortune. Comprenons-nous bien. Il s’agit de celle jaillie de ses rêves farfelus. Car il lui arrive de rêver, un peu comme on ensemence un champ non préparé. Mais nous savons qu’il n’y a point de gratuité. Car les cadeaux que nous fait la vie sont la juste sanction d’un travail ardu et créatif. C’est le salaire de l’effort persévérant.
Voici un pauvre. Il a choisi, depuis un moment, de baisser les stores de sa vie, puisqu’il estime ne plus rien attendre de la vie. Un matin, tel l’oiseau carnivore qui fond sur sa proie, une nouvelle immense tombe sur ce pauvre et l’aplatit au sol. En se relevant, encore sous le choc, il comprend qu’il vient d’hériter une fortune colossale d’un oncle lointain. Une fortune qui l’arrache des bas-fonds de la misère où il n’a que trop végété pour le propulser, sans transition, vers le soleil qu’il ne voit presque plus.
Mais, on le sait de toute éternité : intangibles sont les lois de la nature. Nul ne saurait les violer impunément. Par ses dépenses folles, par ses libéralités et prodigalités, notre homme entame rapidement sa fortune qui fond comme beurre au soleil. Retour à la case départ. L’argent s’est envolé comme il est venu. La fortune d’un jour a reflué pour toujours. Le pauvre homme est redevenu un homme pauvre. Mais à la vérité, a t-il jamais cessé d’être pauvre ? L’argent, avant de se matérialiser en comptes en banque consolidés, est d’abord la consolidation, dans une tête, d’une idée de richesse ; la consolidation, dans un espace, d’une mentalité de riche. Et il faut du travail pour transformer l’idée en une réalité et la mentalité en des comportements. Une apparence de richesse n’est que pauvreté.
Enfin, situons le pauvre face à une opportunité, à savoir une occasion inattendue qui vient à propos, qui ne demande qu’à être saisie. Le pauvre peut ne rien voir venir, jusqu’à ce que tout lui passe sous le nez et par-dessus la tête. Le pauvre, parce que frappé d’une sévère cécité, est un aveugle qui s’ignore.
Le pauvre peut voir venir quelque chose sans y déceler toutefois la part d’opportunité qu’il cache. Comme quoi, on peut voir avec ses yeux physiques, sans voir avec les yeux de l’esprit. Il faut s’y être préparé. Il faut avoir des habiletés pour. Le pauvre ainsi dans la disposition d’esprit de voir sans voir vraiment, est un ignorant qui s’ignore.
Le pauvre peut parfaitement reconnaître en une opportunité une perche que la vie lui tend, une chance à saisir. Mais il ne fera rien ou n’en fera rien. S’il ne lui venait pas à l’esprit de tout remettre à demain, il choisirait d’attendre l’assistance des autres sans lesquels il estime qu’il ne peut rien, qu’il n’est rien. Le pauvre, de ce point de vue, est un assisté permanent, donc, un parasite dangereux. Il vit aux dépens des autres. Après tout ce qui vient d’être dit sur la pauvreté, que le premier qui sent encore l’envie de rester pauvre se fasse connaître. Nous le ferons admettre dans l’Ordre international des imbéciles heureux.