On y est encore. 1er Aout. Pour nombre de Béninois, cette date est sacrée. Surtout pour les «indépendantistes». Ceux-là qui ont eu le privilège de vivre en direct la rupture du cordon ombilical avec le colon, ce 1er aout 1960.
Certes ils ne sont plus nombreux à connaitre la suite du «non au colonialisme». Mais à la vérité, est-il convenant de parler de rupture avec la très chère mère patrie, la France, en l’occurrence? Oui, dans une certaine mesure. Le Dahomey, devenu le Bénin – par la volonté des «révolutionnaires»- depuis aout 1960, est géré, non plus par un administrateur désigné depuis les bords de la Seine, mais par des Béninois pur sang. Béninois de père et de mère, pour emprunter une expression chère aux Ivoiriens. Depuis Aout 1960, le Bénin exerce sa souveraineté sans plus rendre compte à personne. OUI, sous cet angle, nous avons rompu les liens. Et après? Avons-nous su mettre en exergue notre majorité? Avons-nous su montrer notre capacité à nous prendre réellement et effectivement en charge? La question parait saugrenue, tant la réponse coule de source.
Rares sont les domaines où le Bénin a innové. Oui, le Bénin a innové en ce que les indépendantistes se sont sauvegardé la vie. Sous d’autres cieux, la lutte pour l’indépendance a engendré meurtres et assassinats, les uns les plus crapuleux que les autres. Chez nous, les pères de l’indépendance ont, c’est vrai, excellé dans les intrigues, les traquenards, à effet d’éjecter l’autre pour s’installer. La théorie est connue. «Ote-toi que je m’y mette». Mais jamais le sang n’a coulé. Hubert Koutoukou Maga, Justin Tomètin Ahomadégbé, Sourou Migan Apithy, et, dans une moindre mesure, Emile Derlin Zinsou, n’ont réussi à s’éliminer physiquement. La volonté existait-elle? Les historiens plaident pour la négative.
Oui, le Bénin a innové en renversant un régime militaro- marxiste qui a régné 17 ans sans à-coups, sans crépitement d’aucune arme. Un véritable exploit s’il en est, admis par la communauté internationale. Allusion à l’historique conférence nationale des forces vives de février1990. Même si le régime querellé avait eu le mérite de mettre fin à une instabilité politique devenue légendaire, au point de valoir à notre pays le triste titre de «l’enfant malade de l’Afrique », un pays pourtant considéré comme «le quartier latin de l’Afrique».
Oui, les Béninois ont innové en ramenant le général Mathieu Kérékou au pouvoir, alors même qu’il avait été chassé – et de quelle manière? – du palais de la Marina 5ans plus tôt. Tous ces exploits sont à mettre à l’actif de notre rupture de ban avec le colon. En cela, oui, nous avons innové. Seulement, le reste manque de gloire.
Economiquement, le Bénin a connu très peu d’évolution. Pays pauvre nous fûmes, pays pauvre nous demeurons. On raconte qu’en 1970 – ce n’est pas si loin que ça – le Dahomey, donc le Bénin, avait le même niveau de développement que la Corée du Sud. Aujourd’hui, ce pays fait partie des «dragons d’Asie». La Corée du Sud est membre des pays émergents. Statut prestigieux dont rêve pour le Bénin l’actuel locataire du palais de la Marina. Hélas, du rêve à la réalité, il y a loin. Pendant ce temps, le Bénin continue d’implorer les fameux bailleurs de fonds pour équilibrer son budget. La monnaie – attribut essentiel de souveraineté – utilisée chez nous n’est pas le franc béninois. C’est le franc de la communauté financière africaine, plus connu sous la dénomination «franc CFA». Naturellement arrimé à celle de la mère patrie, l’Euro.
Administrativement, le fonctionnaire béninois se comporte toujours en «Akowé» – col blanc – lourd héritage d’un passé têtu, pourtant révolu. Les habitudes ont la peau dure. Avec un tel état d’âme, le travailleur de la fonction publique ne s’impose aucune obligation de résultats au service. L’obligation de moyens semble même inconnue chez l’agent permanent de l’Etat. Qu’importe le rendement de son service? A la fin du mois, le salaire tombera. Le reste, on s’en balance les coquillages. Dans ce même registre, et au plan des textes juridiques du Bénin, pas grand-chose de particulier. La plupart de ces textes relèvent d’une monstrueuse photocopie quasi conforme de la législation française des années 50. Hyperbolique? Pas vraiment. Et ce n’est point du nihilisme. Car, quelques actes ont été posés, visant à marquer la souveraineté de l’Etat béninois. Des progrès ont été accomplis, qui ont contribué à extirper le Bénin de l’extrême pauvreté. Si le «minimum social commun», si cher au professeur Albert Tévoédjrè, peine à se concrétiser au niveau de chacun et de tous, si la morosité économique ambiante se manifeste à tous les niveaux, ce n’est point forcément par la capacité ou l’impéritie des dirigeants béninois à offrir un mieux-être à leur peuple. La conjoncture économique internationale, caractérisée par une crise aigue et têtue, explique quelque peu le marasme actuel. Mais les avis sont unanimes. Au regard des potentialités de notre pays au lendemain des indépendances, le Bénin pouvait faire mieux. Mille fois mieux. Tant pis. L’essentiel, c’est l’indépendance. «Ablodé Gbadja». Rien que pour ça, réjouissons-nous.