Coffi Adandozan demande à Yayi d’aller au dialogue national

La situation actuelle du Bénin retient aussi l’attention des Béninois de la diaspora. Observateur de la vie publique béninoise et préoccupé par l’actualité nationale, Coffi Adandozan, Economiste planificateur résident à Lille, France, écrit au président Boni Yayi. 

Coffi Adandozan fait part au président de la République de son opinion sur l’état actuel du Bénin et sa proposition de solution pour sortir de la crise. Lisez, ci-dessous publié, l’intégralité de sa lettre.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Si j’ai décidé de m’adresser à vous par le canal de cette lettre ouverte, c’est parce qu’en tant que citoyen, je n’ai pu trouver un autre moyen dans un contexte ou des voix plus autorisées que moi n’ont pu réussir à gagner votre attention, en raison de vos nombreuses et lourdes charges..

Monsieur le Président de la République,

Notre pays va mal et a mal à sa gouvernance. De manière opportune, votre avènement au pouvoir en Avril 2006 a été une chance pour notre pays, tellement l’aspiration au changement était vivace et le besoin de passer à un nouveau mode de gouvernance présent dans tous les ménages aussi bien à l’intérieur de notre pays qu’au sein de la diaspora.

Plus de six ans après et une année seulement après votre réélection jusqu’à présent controversée en Mars 2011, l’inquiétude enfle au niveau des citoyens confrontés aux affres d’une économie en déclin et à une situation sociopolitique caractérisée par une absence notoire de volonté d’initier un dialogue franc et sincère a vec la classe politique. Le découragement est palpable dans le pays et les appels au dialogue se multiplient de toutes parts, y compris de la part des thuriféraires de votre régime dont il faut saluer l’esprit de recherche de la paix. Les échos des plaintes et des déceptions des femmes de nos marchés vous parviennent-ils ? La mévente est devenue leur lot quotidien.

La volonté et la détermination que vous avez affichées des l’entame de votre premier mandat vous ont permis de réaliser d’importantes infrastructures qui comptent aujourd’hui dans la vie des populations. Vous avez également adopté et mis en œuvre des politiques non négligeables (gratuité de l’enseignement maternel et primaire, gratuite de la césarienne, etc) dont l’impact réel sur les populations reste à mesurer.

Mais la volonté et la détermination d’un Président de la République suffisent-elles pour changer un pays ? Las de l’échec enregistré dans la mise en œuvre des réformes que vous avez voulu mettre en chantier depuis un peu plus d’un an, vous avez récemment déclaré que « les trois prochaines années seront difficiles pour vos compatriotes » et « que vous ferez notre bonheur contre notre volonté » Ainsi naissait le concept «de « dictature de développement » qui vient s’ajouter à la longue liste des concepts que votre régime a générés : changement, émergence, prospérité partagée, gouvernance concertée, obligation de résultats, obligation de rendre compte, reddition des comptes, refondation, pour ne citer que ceux-là. Malgré l’enrichissement de notre lexique des concepts au cours de ces six dernières années, force est de constater qu’aucun de ces concepts n’a été véritablement opérationnalisé.

Aujourd’hui, la mise en œuvre de ces nombreux concepts dans le cadre de la gouvernance de notre pays n’a pu vous permettre d’apporter le changement promis et d’avoir l’impact attendu sur la vie quotidienne de vos compatriotes. Pour ne rien arranger, de sérieuses menaces pèsent depuis ces dernières années sur l’unité nationale et c’est sans surprise que le débat sur le régionalisme longtemps agite avec pudeur dans les salons et antichambres s’est maintenant invité sur la place publique. Si au cours de votre entretien du 1er Août 2012 face avec la presse, l’évocation du terme « les miens » dont vous avez fait usage peut être considérée comme un lapsus et corrigée par certains vos collaborateurs, elle cache mal le malaise qui aujourd’hui ronge notre pays jusque dans son âme. Ce serait faire preuve d’hypocrisie que de chercher à l’occulter.

Si l’on s’en tient simplement au système éducatif qui est actuellement mis en œuvre dans notre pays, vous convenez que l’avenir de notre pays soulève d’énormes inquiétudes quant à son efficacité interne et externe et à la nécessité de former et de préparer les futurs cadres dont notre pays a besoin pour relever les défis de son développement et répondre présent au rendez-vous de la modernité aux côtes des autres nations.

Monsieur le Président de la République,

jamais dans notre pays depuis l’indépendance, l’Etat ne s’est opposé aux opérateurs économiques comme nous le voyons sous le régime actuel. Jadis partenaires dans la création de la richesse nationale, ils sont aujourd’hui devenus des ennemis ou des adversaires du pouvoir au point ou des médiateurs étrangers sont intervenus pour s’essayer à la réconciliation. , Jamais les corps de l’Etat comme la Douane n’ont été secoués dans leur mission. Les résultats de leurs frustrations sont perceptibles sur la santé de nos finances publiques.

La Liste Electorale Permanente Informatisée (LEPI) voulue par vous-même et votre gouvernement pour assurer la transparence et la crédibilité des élections dans notre pays, ce qui est à votre actif, est aujourd’hui perçue par la grande majorité de nos compatriotes de l’intérieur comme de la diaspora comme un outil à polémique pour avoir été réalisé au forceps et même dépouillé des milliers de citoyens de leurs droits civiques. Les tentatives dites de correction de la liste et autres tractations actuellement en cours n’augurent rien de bon pour assurer la transparence des prochains scrutins, car la suspicion sur les actes que posent vos partisans n’a d’égal que votre désir affiché depuis le début de votre premier mandat de tout contrôler dans le pays y compris les mairies et pour quelle fin ?

Vous êtes-vous jamais posé la question de savoir pourquoi vos compatriotes ne vous croient pas quand vous répétez que vous quitterez le pouvoir en 2016, à la fin de votre second mandat ? C’est pathétique qu’on en soit arrivé là et que la parole du Président de la République soulève autant de doute et de méfiance qu’il se voit obligé de la répéter et d’insister pour ne pas réussir à convaincre les plus honnêtes de ses concitoyens. C’est pourtant le résultat de votre style de gouvernance.

La crise de confiance s’est désormais installée au plus profond de notre pays. A l’heure où je vous adresse cette lettre, vos compatriotes de la Commune de Kpomassè ne savent pas ou se donner la tète et se posent des questions sur votre promesse électorale d’installer une usine de transformation de tomate dans leur localité. Ils ploient aujourd’hui sous des dettes contractées auprès des institutions de microcrédit pour avoir cru en votre promesse. Des dizaines de tonnes de tomate sont détruites. Certains auraient fui vers le Nigéria pour se soustraire des pressions de leurs créanciers. Les plus courageux ont choisi simplement de brader des tonnes de tomates destinées au fonctionnement de l’usine dont ils attendent toujours la mise en place.

Monsieur le Président de la République,

Les Béninois ne se sentent pas libres sous votre régime. Ils ont l’impression de ne pas être écoutés par un gouvernement qui pense tout savoir et qui prétend mener des réformes sans eux. Ils craignent d’être conduits dans le mur par un régime qui foule au pied l’aspiration des citoyens à la liberté et à la démocratie, compromettant ainsi les acquis de la conférence nationale des forces vives. Vous dites souvent être a l’écoute mais nous avons la certitude que vous le faites d’une oreille distraite, tant les problèmes du continent ont pris le pas sur l’intérêt des Béninois que vous avez prêté serment de servir.

Nous avons atteint un tel niveau de mal gouvernance que se taire s’assimilerait à la complicité. Conformément aux valeurs républicaines auxquelles nous avons souscrit, vous portez l’entière responsabilité de cette mal gouvernance car élu par une grande partie du peuple, vous détenez entre vos mains le pouvoir exécutif, l’administration et tous les moyens pour réussir votre mission. Vous avez le pouvoir de nommer qui vous voulez au gouvernement ainsi que les cadres aux hautes fonctions de l’Etat et Dieu sait que vous avez pleinement exercé ces prérogatives constitutionnelles.

Vos thuriféraires sont dans leur rôle en vous rassurant et en vous faisant croire tous les jours que le pays se porte bien. Mais acceptez que ceux qui aiment aussi leur pays tout autant que vos partisans vous disent ce qu’ils vivent, ce qu’ils voient et ce qu’ils ressentent en tant que citoyens jouissant de leur droit de regard sur la gestion des affaire publiques dans leur pays.

Monsieur le Président de la République,

Les Béninois ont mal, y compris vous-même et ceux qui passent leur temps à organiser des marches de soutien et des conférences de presse pour vous maintenir dans l’autosatisfaction. Le vivre- ensemble a pris un sérieux coup du fait de l’acharnement contre les cadres et opérateurs économiques de la partie méridionale qui ne cherchent qu’à servir honnêtement leur pays. Pour envenimer les choses, votre Ministre de l’Intérieur vient de jeter un pavé dans la mare en découvrant un projet imaginaire de complot contre votre régime, une déclaration qui vous vous en doutez, fera plus de mal que de bien à notre pays déjà au creux de la vague au plan des investissements nationaux et étrangers.

Il y a quelques semaines, vous avez informé vos compatriotes que notre pays s’est classe dernier des pays de l’UEMOA en matière de performance économique. Pour toute réponse au marasme économique, vous envisagez d’organiser un forum économique. Usant de mes droits de citoyen, je me permets de vous dire que cette réponse passera à côté du problème. Car le mal dont souffre actuellement notre pays va au delà des seuls problèmes économiques dont tout le monde sait aujourd’hui qu’ils sont mal appréhendés et mal abordés par votre gouvernement. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est plutôt un dialogue national au cours duquel les problèmes pluridimensionnels du pays seront abordés, les diagnostics posés et les solutions identifiées dans un cadre consensuel.

La démocratie est probablement le plus difficile des systèmes d’organisation, de fonctionnement et de gestion de l’Etat. C’est pourtant le choix opèré par les Béninois à la conférence nationale de Février 1990 et consacré par la Constitution du 11 Décembre 1990, après prés de deux décennies de dictature. Il nous serait difficile de revenir en arrière. « Démocratie Nescafé » comme vous le dites ou encore « dictature du développement », nous devons résolument avancer en améliorant notre système démocratique et c’est aussi cela votre mission. On ne changera pas parce que vous n’êtes pas à l’aise ou ne vous retrouvez pas!

J’ai suivi avec intérêt un de vos conseillers aux affaires politiques dire que ce n’est pas d’un dialogue national qu’on a besoin et que le pays n’aurait pas aujourd’hui des problèmes de la nature de ceux qui l’ont conduit aux assises de Février 1990.

Monsieur le Président de la République,

je me permets de vous rappeler que les conseillers ne sont pas des élus et que plus longtemps durera la situation chaotique actuelle, plus longtemps ils sont assurés de demeurer accrochés à leurs avantages, au détriment du peuple qui leur a rarement confié, sinon jamais, un mandat électif. Vous-êtes vous jamais demandé pourquoi les mêmes, depuis la conférence nationale et même sous le régime révolutionnaire, n’ont jamais permis à un Président de réussir son mandat ? Vous serez le seul responsable du bilan de votre décennie de gouvernance de notre pays devant vos compatriotes et devant l’histoire. Quant à eux, ils attendront le prochain Président pour se glisser à nouveau dans les coulisses de la Marina.

C’est pour ne pas avoir à faire face à la sanction cruelle du peuple et de l’histoire que je vous prierais de vous libérer des étreintes de vos collaborateurs et d’ouvrir votre cœur aux propositions qui viennent de partout vous demandant d’aller au dialogue national. Ce forum offrira aux représentants du peuple, l’occasion de débattre des réformes auxquelles vous tenez y compris les conditions d’une révision consensuelle de notre Loi Fondamentale. Vous n’avez rien à y perdre, puisque personne ne peut remettre en cause ou écourter votre mandat qui est consacre par la Constitution. Mais ce faisant, vous donnerez plus sens et contenu concrets aux trois dernières années de votre dernier mandat. Vous créerez à votre pays, les conditions d’un nouveau départ et vous redonnerez à votre peuple l’espoir qui s’éloigne.

Veuillez croire, Excellence Monsieur le Président, en l’assurance de ma très haute et déférente considération.

Coffi Adandozan
Economiste Planificateur,
Lille, France

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