Colère et confessions de chef d’Etat : décryptage à froid et enseignements

Une colère reste une colère c’est-à-dire une irritation violente dans ses fondements et dans ses manifestations sans égard au rang social de la personne qu’elle anime. Toute colère a ceci de positif qu’elle déblaie le terrain en libérant les énergies négatives pour en principe rétablir les positives. Mais toute colère n’a pas la même résonance ni les mêmes retombées.

Lorsque son impact dépasse les frontières de la famille ou du cercle restreint comme ce fut le cas dans l’émission ‘’entretien à coeur ouvert’’ du notre Président de République, et qu’elle prend un aspect politique, c’est-à-dire relatif à la gestion de la chose publique, elle interpelle tous les citoyens leur donnant ipso facto le droit et le devoir de la décrypter ; de la comprendre dans ses tenants et ses aboutissants pour se faire un jugement et en tirer le meilleur parti, le cas échéant. La confession c’est la reconnaissance paisible de n’avoir pas agi comme il se devait avec le désir d’être compris tout en se promettant le meilleur et l’exemplaire. La sortie médiatique du Chef de l’Etat du 1er Août dernier été colère et confession. Que nous a-t-elle donc enseigné ?

Entretien à cœur ouvert : un libellé inconvenant

Le Président Laurent Gbagbo de la Côte d’Ivoire aujourd’hui en privation de liberté à La Haye avait l’habitude de dire qu’un leader a le ventre profond. Dans notre culture nous disons : le sang qui est dans le ventre est rouge mais notre crachat est blanc. De ces deux adages je n’en veux retenir que le sens noble -car l’on pourrait y trouver aussi une connotation rancunière-, à savoir qu’un leader est bon gré mal gré gardien de choses qui ne devraient pas être livrées au public. Et pourquoi donc ? Tout simplement parce que ne pas respecter cette règle risque de déchaîner et d’exacerber des positions partisanes et des passions susceptibles de déstabiliser la quiétude sociétale. Lorsque l’on parle à cœur ouvert la langue prend des fois le pas sur l’esprit ; l’émotion prédomine alors et la maîtrise s’en ressent discursivement. Un chef d’Etat peut se permettre des colères et taper du poing sur la table de temps à autre ; le nôtre n’aura pas été le premier à le faire. Ce pourrait même être perçu comme signe de détermination et de volonté politique quand il s’agit de sujets bien précis et que le sentiment exprimé est bref. Mais faire une émission toute de colère en embrassant dans telle atmosphère tout ensemble les sujets brûlants du moment, c’était pour le moins traumatisant et stressant pour le peuple non seulement par la tension qu’elle a générée mais aussi par sa durée, il faut bien le reconnaître. En tout état de cause le libellé donné à l’émission ne nous a pas paru heureux ; il préjugeait déjà du déballage auquel nous avons assisté, un peu gênés dans nos fauteuils. Politiquement un Chef d’Etat ne devrait au grand jamais parler à cœur ouvert mais si le nôtre l’a fait c’est qu’il s’est trouvé de bonnes raisons de le faire et le moment opportun pour le faire. Idéalement un Chef d’Etat devrait en toutes circonstances et dans toute la mesure du possible se mettre en retrait de la mêlée, pour se donner les meilleures chances d’être l’arbitre, le cas échéant ; la dernière force de recours dans son pays qu’il a la lourde charge de tenir en bon ordre. Mais la critique n’est-elle pas plutôt aisée ? Dans les circonstances de tension extrême et de grand malaise où se trouvait la société dans son entièreté, c’aurait été mission impossible que de confier à quelqu’un d’autre, Premier ministre ou ministre, le soin de faire cette sortie médiatique ; elle n’aurait eu aucune portée ni impact de quelque nature. Lorsqu’un ressentiment atteint son paroxysme il ne lui reste qu’à éclater d’une manière ou d’une autre pour éviter l’étouffement et la paralysie de qui l’abrite ; et ne pouvait le faire que celui qui s’estime en être la principale victime. Cependant toute colère est crise et comme telle porte en elle-même une thérapie et ses propres solutions.

Les enseignements d’une colère

Le Chef de l’Etat, individu normalement constitué qu’il est d’abord a, de notre point de vue, éclaté parce qu’il se sentait de plus en plus esseulé et mal compris ; il avait aussi probablement réalisé que le contrôle politique du pays lui échappait graduellement ; aussi avait-il besoin de parler à son peuple et de la manière qu’il a choisie pour s’assurer son soutien moral au risque d’en mécontenter une partie. Mais comment un Chef d’Etat, élu par le peuple une première fois puis une seconde fois dès le premier tour a t-il pu se retrouver seul et si mal compris ? De l’émission nous avons retenu qu’en début de la présente législature, il redoutait de ne pas avoir la majorité à l’Assemblée nationale et qu’il appréhendait de souffrir les mêmes difficultés qu’il a rencontrées au cours de la précédente ; il avait alors fini par perdre la majorité. Expliquant à sa manière le phénomène, le Chef de l’Etat a dit lui-même qu’une partie de sa majorité avait fait défection en se ralliant à un député, homme d’affaires de son état, initialement de la mouvance présidentielle, qui a estimé qu’il n’avait pas défendu ses intérêts au cours d’un redressement fiscal à l’encontre de sa société que lui, Chef de l’Etat, aurait ordonné en personne. Le Président s’en est défendu vivement sur le plateau. Je ne veux pas croire qu’il se soit trompé de cible ainsi que le disent certains en prétextant que le vrai instigateur de cette division n’est pas loin de son entourage. En tout état de cause est-ce pour pareilles considérations que beaucoup d’entres les députés de la mouvance l’on lâché au point de lui faire perdre toute majorité ? Est-ce pour similaires considérations entre autres qu’au cours de la campagne pour les dernières élections présidentielles les forces de l’opposition se sont cristallisées d’emblée contre sa candidature pour lui barrer la route à tout prix dès le premier tour ainsi qu’ont pensé d’aucuns ? Est-ce le même spectre de perte de la majorité qui le poursuit au cours de la présente magistrature ou appréhende t-il de subir l’effet boomerang, rançon de son acharnement, dit-on, à diviser l’opposition. Haute stratégie politique alors.

Le Chef de l’Etat a estimé par ailleurs que les médias notamment lui manquaient d’égard. Il a été, on ne peut plus que clair et plus précis lorsqu’il nous disait les motivations réelles de certains communicateurs qui s’acharneraient contre sa personne. La chose est d’autant plus troublante que d’autres membres du gouvernement ont eu à tenir les mêmes propos sur les plateaux de la télévision. Notre embarras vient du fait que, sauf erreur de notre part, aucune réaction n’a été enregistrée de la part des professionnels de la communication ainsi mis en cause; aucun démenti. Peut-être valait-il mieux ainsi pour ne pas semer plus de doute dans les esprits. Nous continuons de faire confiance à ceux-là qui ont la lourde et grave tâche de nous porter l’information ; qui ont aussi la redoutable puissance de faire et défaire l’opinion du citoyen moyen sans grande capacité d’analyse politique. Il demeure qu’un Chef d’Etat est un icône que nous avons nous- mêmes placé là où il est et que nous nous honorons en lui accordant respect en toutes circonstances. Les médias se doivent de se convaincre définitivement que ce sont eux et personne d’autre qui font et qui peuvent défaire facilement l’unité nationale. Aussi ne faudrait-il pas qu’ils soient sous influence quelconque, de quelque côté qu’elle vienne ou de quelle que nature qu’elle soit si ce n’est le professionnalisme. Je ne puis dire mieux que cette haute personnalité du journalisme qui dans l’un de ses éditoriaux quotidiens s’exprimait en ces termes : le journaliste se doit d’être tout à la fois citoyen, patriote et professionnel.

Implication diplomatique de la sortie médiatique du Chef de l’Etat

Le Chef de l’Etat nous a confessé que certains aspects de dossiers importants ont échappé à son contrôle. Comment cela a-t-il pu se faire dans un régime présidentiel de surcroît ? Nous avons mentionné plus haut que le Président de la République a estimé qu’il se devait de consacrer le temps qu’il fallait en début de la présente législature pour s’assurer une majorité confortable à l’Assemblée nationale au cours de sa seconde magistrature : il se devait donc d’être sur le terrain. Il en fait l’explication de ses absences à la Présidence de la République au moment où il ne fallait pas. Il a reconnu qu’il a pu signer des décrets qui avaient été soumis à sa signature sans avoir eu le temps matériel d’en appréhender toute la teneur laissant entendre que des peaux de banane ont pu lui être posées. Peaux de bananes ou excès de zèle coupable de ministres, préjugeant pour une raison ou une autre, que les initiatives qu’ils prennent en l’absence du Chef de l’Exécutif même sur les grands dossiers ne pouvaient qu’avoir son assentiment. En tout état de cause, le Chef de l’Etat nous a confié que son entourage ne lui disait pas la vérité ; que bon nombre de ses collaborateurs ne méritaient plus sa confiance. Mais nous avons envie de dire que tout cela relève de sa seule autorité. : n’est-ce pas lui même qui les a nommés ; peut-être lui est-il arrivé bien des fois, comme à tout personne, de se tromper ? Par contre ce qui nous a paru extrêmement grave pour la Nation entière c’est le fait que notre chef d’Etat nous ai avoué que c’est un Chef d’Etat étranger qui l’a informé de l’encombrement de notre port et des problèmes subséquents qui se posaient ; et que c’est à la suite de cela qu’il a convoqué ses ministres pour s’enquérir de la situation. Cela est vraiment difficile à concevoir et à admettre. J’enfoncerais une porte ouverte en discourant plus longtemps sur le sujet parce que tout le monde, au fait de la chose diplomatique ou non, ne peut qu’en convenir. C’est notre souveraineté qui a été mise à mal au su du monde entier. Que faisaient donc les services des renseignements du Chef de l’Etat ; que faisait le ministre en charge de ce secteur pour ne pas lui rendre compte de la situation au moment où il fallait ?

Le cœur de la sortie médiatique, le détonateur et la bonne gouvernance

L’axe autour duquel a gravité toute la colère du Président de la République était les reproches faits nommément au deux hommes d’affaires sur la sellette depuis un certain temps déjà, pour fustiger d’une part leurs pratiques commerciales peu orthodoxes entraînant un manque de recettes pour l’Etat et d’autre part leurs actions de rétorsion pour entraver sciemment le développement du pays. Bien qu’importantes elles auraient été affaires banales relevant de la seule administration fiscale si ce n’était que les partis politiques et les députés de l’opposition notamment s’en étaient appropriés pour affaiblir politiquement le Chef de l’Etat ; si ce n’était également que certaines presses en avaient fait leurs choux gras en s’étant déjà rangés sans discernement d’un côté ou de l’autre. Peut-être, vu du côté du Chef de l’Etat, étaient-elles sous influence ainsi qu’il les en a accusés vertement et sans ambiguïté ?

Le détonateur de cette situation trouble que nous connaissons a été les petites phrases prononcées au cours de l’émission telles « ils sont petits ; s’ils veulent créer un front contre moi je leur montrerai que moi aussi……. » Ce fut le débordement, le clou de l’émission qui a piqué au vif. Point d’orgue d’une colère somme toute humaine et hors de contrôle ou débordement stratégique et calculé pour éventrer définitivement la crise ; remettre les pendules à l’heure et reprendre l’initiative ? Bien malin qui pourrait le dire avec certitude ; les politiciens ont plus d’un tour dans leurs sacs. Il y avait de quoi se poser la question parce que le Chef de l’Etat a prononcé ces petites phrases par deux fois avec la même intensité et la même assurance et nous a dit la seconde d’après : « je sais que je m’énerve et je m’en excuse » répété aussi de même manière. N’étant pas exégète, je ne peux répondre à la question. Toujours est-il qu’au total le petit peuple en quête d’information sur les affaires de son pays aura été bien servi par cette sortie médiatique du Chef d l’Etat ; et si je ne me retenais pas j’exprimerais volontiers mon impression qu’elle a été faite surtout à son adresse en présumant que les propos du Chef de l’Etat tenus en langue française ont été relayés en langues nationales.

Le Président de la République a débuté son émission en nous disant d’emblée que la bonne gouvernance était notre problème fondamental et qu’elle devait commencer chez chacun de nous ainsi que dans la cellule familiale. Qu’il nous soit permis d’avoir un point de vue sensiblement différent : la bonne gouvernance devrait commencer au sommet de l’Etat. Pourquoi donc ? Parce que nous avons besoin de la bonne gouvernance maintenant et tout de suite par l’exemplarité pour gérer les affaires de l’Etat qui affectent directement le panier de la ménagère. Le reste est affaire d’éducation et l’éducation ne porte ses fruits que lentement. Ce ne pouvait être bonne gouvernance que de concentrer dans les mains d’un seul homme d’affaires les leviers déterminants de la vie économique de tout un pays : à une seule et même société qui, à bon droit n’en demandait pas mieux, la fourniture d’intrants agricoles pour notre seule culture de rente qu’est le coton et la mise en oeuvre du programme de vérification des importations nouvelle génération. L’Etat a manqué de déroger judicieusement aux règles classiques de l’appel d’offre pour prévenir tel cumul. Ce ne pouvait être bonne gouvernance non plus que de n’avoir jamais prévu d’orienter les gros commerçants vers l’industrialisation des produits qu’ils importent depuis des années à leur plus grand profit. Et qu’en est-il de la rupture répétée du gaz domestique mettant les ménages en difficultés ? Il nous a été déjà donné de développer ces sujets dans nos réflexions portant respectivement ‘’Contentieux commerciaux et enseignements’’ et ‘’ Acquis de développement’’ De notre point de vue l’exemple de la bonne gouvernance notamment en matière de gestion prévisionnelle devrait sans conteste venir d’en haut. Préconiser le contraire n’est que fuite en avant du moins à notre sens.

Même niveau d’information

D’aucuns ont dit que cette sortie médiatique du Chef de l’Etat a eu le mérite d’informer tout le monde de ce qui se passe dans le pays et de’’ mettre tout le monde au même niveau d’information’’. Dans nos précédentes réflexions nous avions applaudi à la transparence informative qui commençait à se faire jour à la faveur des échanges télévisés entre les protagonistes concernant les différends commerciaux en cours. Nous écrivions alors en conclusion: ‘’ L’histoire nous ouvre la page de la transparence et il convient de ne pas la refermer’’ La sortie médiatique du Chef de l’Etat vient apporter de l’eau à notre moulin. Nous sommes satisfaits que l’on ait donné au peuple l’occasion de comprenne enfin ce qui se passe dans son pays mais il y a une encoche à éviter. Le peuple ne cherche pas à être informé des dessous et des tractations besogneuses qui précèdent les décisions et dont la divulgation ne fera que le diviser. Le peuple veut être informé des décisions et de leurs justifications ; de leur réalisation et de leur suivi ; il s’en contenterait.

Nécessaire réconciliation et défaut de conciliateurs

Au lendemain de l’émission dont il est question la tension était telle que l’on pouvait craindre le pire ; le commercial et le politique s’étaient alors mêlés. Nous écrivions alors qu’il ‘’était grand temps que le Médiateur de la République et autres Sages du pays entrent en scène et fassent feu de tout bois pour calmer le jeu’’. Mais de médiateur et de Sages nous n’en avons vu aucun au devant de la scène politique. Aucun. En revanche qu’elle n’a pas été de prime abord notre surprise de constater que c’est un organisme privé sous-régional de commerçants avec un Sénégalais à sa tête qui est venu s’entremettre pour favoriser la réconciliation entre notre Chef d’Etat et nos hommes d’affaires ! Surpris et dépité aussi. Mais, réflexion faite, nous avons compris qu’il y avait de fortes probabilités que des personnalités béninoises aient agi dans la discrétion pour arriver à ce résultat car une intervention tout aussi prompte qu’efficace ne pouvait qu’avoir été préparée et négocié en amont. Cela d’autant que l’instance qui est intervenue était la bonne. En effet il ne s’agissait pas d’un problème politique en tant que tel mais de différends commerciaux impliquant de surcroît le Chef du patronat national ; il fallait donc une instance de même nature et au dessus de lui-même pour régler ce différend a caractère commercial fondamentalement. Au total il y a de quoi se féliciter de cette intervention et de ceux qui l’on initiée, qui au demeurant a mis en exergue les aptitudes des africains à s’entraider pour régler promptement leurs problèmes du moins à caractère non politique.

Mais quid du règlement des conflits politiques éventuels qui pourraient subvenir soit ex abrupto sans aucune implication juridique précise, sans implication de points de droit pouvant justifier l’intervention des instances juridictionnelles prévues dans la Constitution : soit à la suite d’un débordement de différend à caractère non politique au départ et ayant débouché sur un différend politique de grande envergure comme nous venons d’en être menacés ? Peut-être devrait-on commencer à y réfléchir déjà.

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