Du quartier latin au quartier cretin

Les marcheurs ont repris du service. Ceux dont les pieds sont enflés de chics, ceux dont les hémorroïdes sont bouffies, ceux dont les articulations sont engourdies de rhumatismes, et ceux qui n’ont même rien du tout, ont de nouveau trouvé matière à aligner les pas autant sur les latérites que sur le bitume. 

Depuis deux semaines, ils ont délaissé leurs ateliers, leurs étals et même leurs foyers pour parader dans les rues de nos villes et de nos campagnes. Le comité sportif béninois qui cherchait en vain des athlètes pour les jeux olympiques, devrait s’en mordre les…pieds : il existe bel et bien des marcheurs de rang mondial dans le tréfonds du pays.

Mais ces hommes et femmes aux semelles du vent ont des raisons nettement moins olympiques pour se remettre en selles. Leur champion toutes catégories confondues, le Président de la République, a été attaqué, fléché et même voué aux gémonies après sa sortie calamiteuse du 1er aout dernier. Les opposants, avaient en effet dit tout le mal qu’ils pensaient de cette interview en inscrivant certains des mots présidentiels au Panthéon de la mauvaise foi. Il n’en fallait pas davantage pour que des grottes, de la forêt et même des égouts, des marcheurs jaillissent pour battre pavés et louanger le Chef de l’Etat pour avoir tenu des propos si peu rassembleurs. D’ailleurs, à écouter la glose qui met fin à leur motion, arrivent, invariablement ces mots copiés-collés: « soutenons, encourageons, félicitons le chef de l’Etat ». C’est-à-dire que ces braves Béninois que l’on a fait marcher à coups de billets de l’argent du contribuable approuvent le chef d’Etat quand il traite ses propres concitoyens de « petits » ; quand il dit des journalistes de Canal 3 que ses « enfants sont plus diplômés qu’eux » ; quand il menace de faire sortir les « siens » pour aller affronter d’autres Béninois. Ils l’approuvent, vraiment, ces compatriotes, quand le premier magistrat du pays affirme que, s’il n’a pas trouvé du travail aux jeunes, il lui faut alors leur acheter des ballons de foot afin qu’ils lui collent la paix. Cela me rappelle les propos d’un homme politique russe : « si vous, dirigeant, vous arrivez à affamer votre peuple, vous pouvez lui faire faire et lui faire dire n’importe quoi ».

Cette assertion est d’autant plus vraie que la majorité des marcheurs qui troublent les pavés de nos rues, est faite de chômeurs, de crève-la-faim et autres mangeurs de rats. Pour une bouchée d’akassa et même pour cinq cent francs, ces gens sont capables de vendre leurs mères. Et ne leur demandez pas ce qu’ils ont fait de leurs consciences. Il y a longtemps qu’ils n’en ont même plus.

Mais ce qui est encore plus préoccupant, c’est d’entendre des gens qu’on savait intelligents, des personnes qui ne se mouchent pas avec le coude, emboucher la même trompette que ce peuple zombifié et étaler les mêmes inepties. Passe encore que ce soient les gens de la mouvance présidentielle qui se livrent à une compétition de fidélité à l’endroit de leur chef. Passe encore que, dans cette surenchère aux superlatifs, chacun utilise les mots qu’il faut pour espérer grignoter une place dans le cœur de Yayi en vue d’un improbable poste ministériel. Cela est fort compréhensible. Mais que des juristes qu’on dit appartenir à la société civile, investissent l’arène publique en réfléchissant avec leurs nuques, c’est-à-dire, en nous prenant pour des demeurés, cela est digne de figurer dans le livre Guinness des records. C’est l’exploit qu’a réussi Me Paul Attita, avocat des causes tordues.

Cet homme, dimanche dernier, a risqué sur une chaine béninoise, une démonstration chaotique pour nous faire admettre que si nous, Béninois, nous continuons à critiquer le chef de l’Etat, à lui jeter l’anathème, il lui serait loisible de nous prendre au collet et de nous embastiller. Depuis l’affaire ICC Service où il s’est pris une pelletée, l’avocat pensait renaître de ses cendres en se trouvant des thèmes porteurs. Alors, il « fouille à la lampe » les lois du pays pour en arracher un obscur article censé faire pièce à toute critique contre son champion. Mais Me Paul Attita confond deux choses : être un intellectuel et être un gourou. Et il ne sait pas, le pauvre, que les temps ont changé. Surtout les temps des Rapoustines et cie.

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