« A cœur ouvert. Le président parle au peuple.» Tel est le thème d’un entretien que le chef de l’Etat a accordé dans le cadre du premier août et diffusé hier sur les écrans de la télévision nationale et deux autres télévisions privées de la place.
Face à lui, Boni Yayi avait Stéphane Todomé de la télévision nationale, Malick Gomina de Canal 3 Bénin et Charbel Ahihou de Golf télévision. Sujets abordés : la gouvernance, les réformes, notamment le Pvi, le coton, la dernière décision du gouvernement annulant la passation de service entre Attolou et Anjorin, le prétendu harcèlement fiscal dont sont victimes certains opérateurs économiques. Seulement, sur chacune de ces questions, le président a laissé les observateurs et l’opinion sur leur faim. Pendant environ trois heures, il n’a fait que ressasser les problèmes existants et déjà connus de toute l’opinion sans apporter de solutions concrètes. Pis, dans le développement de ses idées, le président de la république s’est adonné à une justification des actes posées et des décisions prises par le gouvernement dans les grands dossiers du moment, notamment le Pvi, le coton, la crise à la fédération béninoise de football. Pourtant, les communiqués des nombreux Conseil des ministres sur ces questions ont fourni suffisament d’explication pour que le chef de l’Etat refasse cet exercice de justification. Ainsi aucune solution concrète à l’amenuisement du pouvoir d’achat des populations et la souffrance du panier de la ménagère. Pour le reste, on a assisté à un coup de colère du président de la République. Qui est venu rassurer le peuple sur sa foi en Dieu. « L’Homme propose, Dieu dispose », « Je crois beaucoup en Dieu », « C’est Dieu qui m’a mis là », « Si quelqu’un fait quelque chose contre le Bénin, cela va échouer », sont quelques de ses déclaration. La seule valeur ajoutée que cet entretien a apportée est sans doute l’aveu du chef de l’Etat sur la question de la mal gouvernance et sa ferme conviction pour la poursuite des réformes. « Nous n’avons pas pu avancer considérablement compte tenu de la mal gouvernance à tous les niveaux », a-t-il reconnu. Avant de marteler: « Les reformes seront poursuivies. Il n’y a rien à faire.» Encore qu’à ce niveau, l’opportunité des réformes n’a en réalité jamais fait débat. C’est plutôt leur mode d’introduction qui laisse à désirer, selon les commentaires faits dans l’opinion.
Provocation et défiance
Dans ce contexte de morosité économique et de tension sociale, on aurait voulu du chef de l’Etat un langage d’apaisement. Au contraire ! Hier après avoir ressassé l’existant, le président Boni Yayi s’est surtout illustré par sa fureur et son langage guerrier. « Ils disent qu’ils vont venir me chasser. Je les attends. Ils sont petits», a fulminé le chef de l’Etat parlant de la naissance d’un certain Front uni contre le pouvoir. Toujours parlant de ce Front, le président Yayi a affirmé avoir aussi des gens dans le pays qui le soutiennent. Et serait prêt à les mobiliser. Tout en colère, il a ajouté qu’il n’y aura pas de Madagascar au Bénin. En plus, il s’en est pris à l’opposition politique. Qui propose que le gouvernement marque une pause dans la mise en ouvre des réformes. « Ils sont qui pour me demander d’arrêter les réformes », a fulminé Boni Yayi. Pourtant, ces opposants ne sont que dans leur rôle de critiquer les actions du gouvernement et de proposer des solutions alternatives. Au lieu d’exposer son coup de colère, on aurait voulu que Yayi démontre, argument à l’appui, que les propositions de l’opposition ne sont pas idoines face aux problèmes que connaît actuellement le Bénin. Dans cet entretien il n’y a que deux hommes qui mérite grâce aux yeux de Boni Yayi. Adrien Houngbédji et Jean-Baptiste Satchivi. un lapsus symptomatique de son état d’esprit sur lequel nous reviendrons.
Léonce Gamaï
Un monologue d’aigreur et de menaces
Drôle d’interview. Le décor était pourtant bien planté dans un salon de la Marina dont le luxe contraste avec la modestie de la plèbe ambiante du pays. Le Chef de l’Etat qui, nous a-t-on dit, était pourtant venu pour parler « à cœur ouvert » avec son peuple. Mais au finish, pitch! On a eu droit à un monologue insipide. Face à un président irrité, décidé à régler ses comptes avec les opérateurs économiques « non vertueux » comme Talon, Ajavon et des hommes politiques « dépassés », on a vu des journalistes passifs, curieusement admiratifs et complaisants envers notre président de la république qui a manqué de sérénité et de pondération un jour de fête nationale. Nos confrères ont poussé l’obséquiosité jusqu’à le laisser déblatérer une quarantaine de minutes durant sur les chefs de parti d’opposition, les membres de la société civile, les hommes d’affaire non vertueux, sans piper un mot. Il a fallu le courage de l’un d’eux pour lancer une ou deux questions. Et là encore, il en a pris pour son compte avec un méprisant :« tu es un petit ». Un autre se met à jouer à l’avocat. Face donc à des journalistes « groggy », empêchés de poser des questions, le Chef de l’Etat peut se permettre toutes les extravagances assimilables à des appels à la haine raciale et au régionalisme. Et bonjour les menaces ! Les travailleurs, les opérateurs économiques, les hommes politiques en ont reçu leurs doses. Pendant plus de deux heures, le Chef de l’Etat n’a rien dit sur la résolution des problèmes lancinants qui taraudent les Béninois. La misère, le chômage, l’insécurité… n’ont pas retenu l’attention du numéro un des Béninois. Cette intervention qui est tout sauf une interview n’apporte rien aux problèmes du Béninois lambda. Un exposé d’aigreur et de menace. Béninois, circulez. Vous n’avez rien à y cirer.
Marcel Zoumènou