Le Bénin est sur la mauvaise pente par rapport à la problématique de la qualité des ressources humaines nécessaires à son développement et ce n’est pas exagéré que de l’affirmer ainsi.
Il est heureux que ces derniers temps, le débat soit mis sur la place publique, car la résolution d’un problème si complexe soit-il passe toujours par son identification comme tel et la reconnaissance qu’il en est un. C’est vers cette étape que nous allons actuellement.
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Rompre avec la conspiration du silence
La question du quota a fait l’objet de rumeurs pendant plusieurs années sans qu’aucune autorité n’ait daigné répondre ni expliquer officiellement ce que c’est. Il n’est pas rare d’entendre ici et là, à l’annonce d’un concours de recrutement , notamment dans la Fonction publique, que les dés sont jetés, que des candidats qui n’ont même pas composé seront déclarés admis et que d’autres passeront avec moins de performance parce qu’ils sont originaires de certaines régions.. La chose a pris une ampleur inquiétante au cours des cinq dernières années ou des concours de recrutement dans certains corps de l’Etat comme la Douane, les Impôts, le Trésor public et même la police, ont fait l’objet de rumeurs qui au fil du temps finissent par se confirmer.
Nul ne peut expliquer l’idéologie qui a servi de fondement à cette politique non écrite, mais on en découvre les manifestations. Et comme les faits sociaux sont têtus, il se trouve aujourd’hui des citoyens, et groupes organisées (mouvement y’en a marre et FESYNTRA par exemple) qui embouchent la trompette de la dénonciation.
Plus récemment, l’ancien Ministre Victor Topanou n’a pas mis de gants pour dénoncer cette pratique et demander que le gouvernement puisse y remédier. Mais comme tout le monde le sait, le style de gouvernance actuellement mis en oeuvre dans notre pays n’accepte ni ne tolère aucune contradiction, encore moins une injonction, surtout pas de ceux que le Gouvernement considère comme des “empêcheurs de travailler”. Mais faut-il se taire pour autant ?
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Un mal qui ronge le pays et compromet l’avenir de ses enfants
Face à ce cancer qui ronge notre pays et compromet dangereusement son avenir et celui de ses enfants, il faut parler, il faut dénoncer cette politique et insister jusqu’à ce que le débat ait lieu sur les vraies motivations de tels errements. Qui a instauré la politique des quotas? Comment en est-on arrivé là? Comment se manifeste-elle dans la pratique? Parce que nous sommes tous des Béninois dont les enfants aspirent à vivre dans leurs pays et dans l’équité, la justice dans l’accès aux droits socio-économiques, nous avons le droit de savoir qui est responsable de cette politique et pourquoi elle est mise en oeuvre dans un pays de démocratie où la Constitution consacre l’égalité des chances pour tous les citoyens.
Depuis la fin du régime du Président Nicéphore Soglo, on a noté la mise en berne (abrogation de fait) du décret portant attribution de bourse d’excellence. Cette trouvaille qui constituait un moyen pour l’Etat de sélectionner et de préparer une catégorie de futurs cadres et pupilles de la nation rompus à la technique et au management dans de nombreux domaines liés au développement du pays n’a pu se poursuivre au delà du mandat de cinq ans du Président Soglo. Les derniers bacheliers qui ont obtenu ces bourses ne l’ont été que grâce à la pression de la rue, notamment à travers des émissions interactives. Depuis, ce décret est mort de sa belle mort sans avoir été abrogé.
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Des conséquences désastreuses aujourd’hui et demain
Les conséquences d’une telle politique sur l’avenir de notre pays sont énormes. Déjà on parle d’une administration publique dont les prestations sont à la limite de la médiocrité De nombreux rapports ont épinglé le manque de capacité technique et managérial de nos cadres actuels dans la préparation et la conduite des projets financés par les partenaires du Bénin et même ceux financés sur le Programme d’Investissement Public (PIP) . Le dernier rapport en date est celle de la Banque Africaine de Développement qui a clairement mis le doigt sur la faible capacité des ressources humaines nationales. Quand nos “dirigeants” se plaignent de la mauvaise gouvernance du pays, ils oublient que c’est un peu le fruit de leur mauvaise politique de positionnement des ressources humaines. Ils oublient surtout que leur propre capacité de leadership est ainsi remise en cause ou sujet à caution. Car, qui nomme les cadres aux hautes fonctions de l’Etat? Les fonctionnaires dans les différents services travaillent sous le leadership des Directeurs, Chefs de Service et Chefs de Division et ne feront aucun miracle, si les “patrons” sont de piètres gestionnaires, des techniciens sans compétences comme on en rencontre dans les arcanes de l’Etat parce que cooptés et pistonnés par des parrains politiques eux-mêmes n’ayant aucune autre vision que celle de régler des problèmes ethniques ou de co-religionnaires.
Se plaindre de la mauvaise gouvernance de notre pays (cela fait rire) et poursuivre l’odieuse politique des quotas est criminel car on ne peut accepter que des milliers de Béninois fassent les frais d’une telle politique aussi saugrenue qu’incongrue parce que des personnes mal inspirées et obnibulées par d’autres intérêts ont osé creuser ce gouffre vers lequel le pays est conduit au vu et au su de tout le monde.
La récente réaction du Secrétaire Général de la FESYNTRA est à saluer quand il a, au nom de son organisation, exigé le report du concours de recrutement de plus de 400 agents pour le compte du Ministère de l’Economie et des Finances, avec à la clé, l’argument publiquement invoqué que des considérations autre que le mérite, les besoins et la transparence n’offrent pas la garantie d’une compétition saine au profit d’une catégorie de candidats. Qu’il ait été entendu ou non, là n’est pas la question, mais il faut oser dénoncer de telles pratiques qui tôt ou tard montreront leur limite dans tous les secteurs de l’économie nationale.
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L’Aveu des autorités gouvernementales
Le silence assourdissant par lequel on répond à ces récriminations montre à souhait la gêne des gouvernants dans ce dossier. N’est-il pas important pour le gouvernement de réagir face à ces accusations si vraiment une telle politique n’est pas en cours? Par ailleurs, le bout de mot “les miens” lancé de façon anodine par le Chef de l’Etat au cours de son entretien le 1er Août dernier n’est-il pas une illustration de ce qu’un vaste plan est en cours dans notre pays pour tirer les Béninois vers le bas, étouffer la quête légitime d’excellence des citoyens. Le même silence est observé, lorsque de nombreux Béninois dénoncent de plus en plus l’utilisation des critères régionalistes dans la nomination et la promotion des cadres aux hautes fonctions de l’Etat, A quoi doit-on s’attendre avec une telle politique qui sape les bases de la nation en devenir et foule au pied les valeurs républicaines comme la justice sociale, l’équité et l’égalité des chances. Si une telle politique, soeur siamoise de celle du nivellement par le bas, avait toujours prévalu dans notre pays, nous n’aurions pas connu des cadres et personnalités qu’on cite aujourd’hui et qui, au delà des considérations politiques, font la fierté du Bénin.
Pis, tous les artifices mis en œuvre actuellement pour empêcher les citoyens de critiquer la mauvaise gouvernance du régime en place, sont le corollaire de la politique médiocre qu’on veut imposer à tout le monde. Que valent des citoyens canalisés pour applaudir à tout rompre, quand tout le monde sait que le pays glisse lentement mais sûrement vers le fond de l’abîme.
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Changer le fusil d’épaule
Il urge que les gouvernants de notre pays prennent conscience et revoient leur copie en élaborant une politique claire d’organisation des concours et même de casting des cadres pour les hautes fonctions de l’Etat. Car, les pays comme le Japon, les “dragons d’Asie” et bien d’autres doivent leur niveau de développement actuel à la qualité de leurs ressources humaines. Comme le Bénin d’aujourd’hui, ils n’ont pour la plupart pas eu de ressources de sous-sol pour se hisser au rang des pays développés et voire de puissance. Si nous continuons comme nous le faisons aujourd’hui, nous précipitons notre pays dans l’abîme et au bas de l’échelle des nations. Pour remédier à cette situation qui crée la frustration au sein de la jeunesse et émousse la saine émulation que procure l’envie de participer à une compétition, le gouvernement doit se ressaisir pour entreprendre un audit complet des modalités d’organisation, de délibérations et de proclamation des résultats des concours de recrutement dans l’administration publique au cours des dix dernières années par exemple. Les résultats de cet audit qui doivent être rendus publics renseigneront suffisamment sur la profondeur du mal et la direction dans laquelle le pays s’achemine ainsi avec la politique actuelle et son cortège de ressentiments pour certaines catégories de citoyens dont les mérites sont volontairement ignorés.
Nous devons savoir que les pays qui avancent sont ceux qui donnent une prime à l’excellence avec une jeunesse bien formée et promue sur la base du mérite et non ceux ou l’on chante l’excellence à longueur de journée tout en faisant le lit de la médiocrité. Les indicateurs de performance de notre politique économique et sociale sont là, tous rouges parce que têtus, même si nous feignons de ne pas les voir.
Le gouvernement doit renouer avec une bonne politique de recrutement et de placement des cadres pour que triomphent la compétence et le mérite.
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Nécessité d’une politique éducative volontariste et courageuse
Il nous faut une politique éducative qui promeut l’excellence et qui met l’enseignant et l’apprenant au centre de notre projet de société. Les invectives et autres dénigrements des enseignants qui ont cours dans notre pays ne favorisent pas l’éclosion d’une élite et d’une classe d’intellectuels aguerris pour relever les défis de modernisation qui attendent notre pays. Il faut encourager des enseignants du Sud à accepter (avec plaisir) d’aller servir au nord du Bénin, sans que cela ne soit perçu comme une sanction punitive. Dans les bonnes années 1960 et 1980, des centaines d’enseignants ont servi dans des régions autres que les leurs et le brassage qui en est issu a permis de former des cadres valables et compétents qui font aujourd’hui la fierté de notre pays. Tel cadre du Nord aujourd’hui bien placé dans la hiérarchie politico-administrative a eu comme enseignants de nombreux instituteurs et professeurs originaires du Sud et vice-versa. La pratique des enseignants communautaires inaugurée il y quelques années comme une panacée au manque d’enseignants dans nos établissements scolaires, notamment dans la partie septentrionale de notre pays a porté un sérieux coup à l’efficacité interne du système éducatif national et les derniers résultats dans le Borgou-Alibori pour tous les examens l’illustrent à souhait. Pourquoi continuer à se voiler la face au lieu de faire face à la réalité. Elle est brutale et dure, mais il faut l’assumer et l’affronter avec une politique volontariste, Claire, courageuse et ambitieuse pour l’avenir de ce pays. Investir massivement dans l’éducation dans les départements comme le Borgou-Alibori qui représente en superficie prés de 40% du territoire national et ou se posent les problèmes d’infrastructure d’accueil pour les enseignants n’est-il pas mieux que de construire un aéroport à Tourou dont les retombées économiques restent a prouver ? Nous devons revoir nos priorités.
L’éducation d’une nation est une entreprise si importante qu’il faut que les gouvernants y consacrent le plus clair de leur temps et la grande partie des ressources du pays. Il n’y aura pas d’autre alternative si nous voulons être présents aux côtés des nations modernes. Comme le dit si bien l’ancien Président Américain Thomas Jefferson1, “Si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance”
Coffi Adandozan , Economiste-Planificateur
Lille, France
1 Thomas Jefferson: Troisième Président des Etats-Unis d’Amérique, 1801-1809.