Le Bénin sur trois pas de danse

Qui regarde le ciel du fond d’un puits n’en voit qu’un pan. Pour dire que ce qui nous est donné à voir varie en fonction de nos différents angles de vision. Tout dépend de là où nous sommes. 

Journaliste et observateur de la scène sociopolitique nationale, opérant depuis notre bureau à Cotonou, nous ne pouvons avoir qu’une vision réduite du Bénin. Mais pas une vision réductrice. Comprenons-nous bien. Alors, de là où nous sommes et selon notre angle de vision, quel Bénin avons-nous sous nos yeux, ces jours derniers ?
Un Bénin à trois dimensions. Première dimension, un Bénin accroché à son coton avec l’énergie du désespoir. Deuxième dimension, un Président qui sillonne, infatigable, les champs du Bénin profond. Troisième dimension, des déclarations de soutien au chef de l’Etat, en réponse à ceux qui ont trouvé à redire à son interview du 1er août.
Concédons que chacune de ces trois dimensions est importante. Mais que la vie de tout un pays y soit suspendue, cela nous pose problème. Pourquoi ? Parce que, d’une part, les priorités du Bénin et des Béninois dépassent cette courte liste de préoccupations. Parce qu’il y a, d’autre part, autour de ces trois dimensions des choses une débauche d’énergie que rien ne justifie. Parce que, enfin, les actions engagées ou qui s’engagent nous paraissent de circonstance. N’ayant pas pris leur essor à partir d’une réflexion prospective, ces actions n’embrayent pas sur notre avenir commun. 
L’artillerie lourde déployée  par le Bénin sur la question du coton est à la hauteur des enjeux. Compte tenu de la place actuelle de cette denrée dans son économie. Une campagne perdue aurait eu des conséquences incalculables. Mais tout ce qui se fait sur et à partir du coton ces jours-ci nous conduit davantage à réagir qu’à agir. Nous colmatons plus que nous ne construisons vraiment. C’est un Bénin acculé qui se bat et se débat bec et ongle, laissant en suspens des problèmes de fond.
Ne devons-nous pas nous soucier de produire sur place une partie de nos intrants ? Il est dit que le Bénin, sur ce plan, reste encore une exception, au regard des autres pays producteurs de coton de la sous-région. Ne devons-nous pas nous préoccuper de diversifier nos sources d’approvisionnement en produits phytosanitaires ? Ne devons-nous pas nous obliger à créditer notre coton d’une valeur ajoutée par la transformation de tout ou partie de la matière première en produits finis made in Bénin ?  Par-dessus tout, il y a la question de notre agriculture. Elle est à engager en termes de relève paysanne, avec de jeunes agriculteurs modernes, de législation foncière, de mécanisation, de diversification des filières, d’établissement des bases d’une agro-industrie…Tant que nous ne manifesterons pas notre présence sur ces créneaux de réflexion et d’action, il n’est pas sûr que le coton d’aujourd’hui garantisse la prospérité de demain.
Par ailleurs, c’est à la fois inédit et encourageant que le chef abandonne le calme feutré  de ses bureaux pour se retrouver assez souvent dans les champs. Cette présence constante sur le terrain du premier d’entre nous est tout à l’honneur de nos producteurs primaires. Pourvu que nombre de cadres techniques, que tout dispose et prédispose à être sur le terrain, n’y voient une excuse pour  continuer de mieux trouver à se loger dans les ministères.  C’est peut-être parce que le Président fait bien et mieux  dans les champs que ces techniciens jugent plus sage de faire autant, mais dans des bureaux. Qu’ils prennent exemple sur nos télévisions. Elles ne se signalaient que peu dans les zones rurales. Elles y ont dépêché depuis des envoyés spéciaux, caméras au poing !
Au sujet des manifestations diverses de soutien, il y a lieu de s’interroger. Pourquoi soutenir le Chef de l’Etat à la suite d’une interview ? N’aurait-il pas été plus judicieux de soutenir plutôt les idées du Chef de l’Etat ? Dans le soutien au chef de l’Etat, l’action se réduit à organiser des prières et des marches, à déployer des banderoles  et à se fendre de déclarations. Dans le soutien aux idées du chef de l’Etat, on aurait été amené à organiser des débats, des émissions d’approfondissement et de clarification des idées, des sessions de formations de militants.  On se serait situé, ce faisant, dans l’axe de notre Constitution. Elle dispose à l’article 5 que « Les partis politiques concourent à l’expression du suffrage ». C’est clair. A moins que nous soyons différents des pays normaux, justifiant de ce fait que, ces jours derniers, nous paraissons plus résonner que nous ne nous prêtons à raisonner. En marchant sur la tête.

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