Trois heures d’horloge non stop. C’est le temps qu’a duré l’interview que le chef de l’Etat a accordée à la presse nationale.
C’était dans le cadre de la célébration du 52ème anniversaire de l’accession de notre pays à l’indépendance.
C’est une loi : ce qui est rare a du prix. Le Président Boni Yayi se confie peu à la presse. A exercice rare, audience exceptionnelle. Il ne peut en être autrement, en pleine zone de turbulence, alors que tous les passagers de l’aéronef Bénin ont les yeux rivés sur le pilote.
Les Béninois étaient ainsi nombreux à prendre rendez-vous avec leur Président devant le petit écran. Formellement, le Président aura trop parlé. La gravité des sujets abordés aurait plutôt recommandé de faire plus court. Les longs développements ont agi comme du diluant. La télévision, d’après les travaux de Mc Luhan, est un média « froid ». Le téléspectateur est tenu de fournir plus d’effort mental et de produire plus de sens à partir de tout ce qu’il voit et de tout ce qu’il entend. Un entretien télévisuel d’une durée de trois heures est déjà, en soi, un problème. C’est hors norme.
L’émission n’est pas dirigée, ordonnée selon un conducteur précis. Elle ne pouvait donc pas afficher, de manière claire et précise, les thématiques autour desquelles les journalistes, par leurs questions, auraient pu prendre en compte les centres d’intérêts des téléspectateurs. La règle professionnelle veut que les journalistes ne posent pas les questions qui rejoignent leurs préoccupations, mais plutôt celles du public. Pour être plus précis, les questions pour lesquelles le public est en attente de réponse. Le contexte de la crise que nous traversons justifie, à suffisance, une telle attente. Des craintes sont à dissiper. Des éclairages à apporter. Des assurances à donner.
Trois journalistes pour conduire l’exercice. Trois hommes pour faire mentir l’approche genre. Trois confrères tristement absents, emmurés dans un quasi silence. Cela a dénaturé l’exercice. En lieu et place d’un entretien, sur le ton d’un échange de paroles, d’une conversation ou d’une discussion, nous avons eu droit à un monologue. Le Président a ainsi eu le temps et le loisir d’envahir, pour ainsi dire, les écrans de nos téléviseurs. En l’absence de journalistes pour lui poser des questions, il formulait les siennes propres et y répondait.
Mais comment ? Le Président s’était cru obligé de tout dire, de tout déballer. Il brûlait d’envie de situer les responsabilités dans nos difficultés actuelles. De toute évidence, la télévision se prête mal à une telle action de communication. Par des développements longs, il nous a fait souvent perdre le fil de sa pensée. Le souci de donner le maximum de détails a parfois noyé le message essentiel. Visiblement, l’homme en a gros sur le cœur. Un trop plein qui a fait déborder le récipient.
Souffrant des flèches décochées contre sa personne par ses adversaires, le Président n’a pas su toujours garder son calme. Il ne pouvait que céder le terrain du discours discursif. Ici prédomine le souci de l’analyse et de la démonstration. Il s’est alors établi sur le terrain de l’émotionnel déterminé par les sentiments, les sensations et les affects. Avec l’un, il s’agit de convaincre. Avec l’autre, il s’agit de toucher en éveillant, sympathie ou animosité. Mais rien ne s’oppose, en termes de stratégie de communication, à ce qu’on joue sur les deux registres.
Au terme de l’exercice, quels résultats mettre à l’actif du Président ? En focalisant sur deux ou trois personnes dont il a cité les noms, il a réussi à mettre des visages sur nos difficultés actuelles. Ainsi clairement identifiées, ces personnes fixent les attentions, cristallisent sur et autour d’elles nos contrariétés et insatisfactions du moment. On parlera des moutons du sacrifice.
Par ailleurs, en s’appuyant sur le satisfécit que nous a délivré le Fonds Monétaire international (FMI), le Président a semblé trouver la bonne caution pour apaiser. Il n’y a pas péril en la demeure. Nos fondamentaux sont stables et solides. Tout le reste n’est qu’intoxication. Les agents déstabilisateurs, par les temps qui courent, fonctionnent au carburant de la haine et de la jalousie. Mais le Bénin, qui n’est déjà pas une île, n’est pas Madagascar ou ne le sera point.
Enfin, le Président veut tenir le cap des réformes entamées. Elles seront poursuivies, avec plus de sagesse. Un peu comme pour confesser que nous avons appris beaucoup de nos déboires. Mais la grande question est celle-ci : le Président a-t-il convaincu ses compatriotes ? Ailleurs, pour le savoir, on fait un sondage. Ici, chez nous, on reste dans le radotage. Mais il n’est jamais tard de changer son fusil d’épaule.