Economiste chevronné, ancien conseiller technique du président Kérékou, le professeur Sébastien Azondékon qui enseigne au Canada depuis des années se prononce ici sur la crise économique que traverse le Bénin.
Selon lui, cette crise est l’échec même des économistes qui dirigent le Bénin depuis 2006.
Bonsoir Mr le Professeur, depuis 2006 le Bénin est dirigé par une armada d’économistes et pourtant sur le plan économique, les choses ne semblent pas trop marcher. Pourquoi?
C’est bon qu’on ait des économistes à la tête du pays. Ce n’est pas nécessairement parce qu’on est économiste, qu’on est en mesure de bien gérer les aspects économiques et de la gouvernance. Le meilleur gestionnaire de l’implantation du système informatique ce n’est pas l’ingénieur en informatique c’est plutôt le spécialiste en système d’information. Des choses, l’une. Soit ces économistes n’ont pas été préparés à assumer ces responsabilités parce que si je suis économiste je viens d’une institution financière ce n’est pas la même chose que lorsqu’on se met donc à gérer un pays parce que si je suis dans une institution financière c’est money, money, profit, profit mais pour gérer les humains ce n’est pas seulement le profit. Il y a des facteurs qui vont permettre à la ressource humaine de s’épanouir et là ça fait toute la différence. Il faut reconnaitre que ce qui a manqué à ce régime malheureusement c’est un peu d’humilité. Si je suis économiste ça ne veut pas dire que je connais tout donc c’est la première fois que je vois les gens en occurrence au Bénin brandir leur titre de docteur. C’est un peu propre au système anglophone et lorsqu’on brandit trop ça pour moi c’est vouloir paraître que d’être. Ce n’est pas parce que je suis docteur que je sais tout malheureusement. Regardez, il y a des docteurs qui sont de véritables cancres comme il y a d’autres qui ont leurs maîtrises et licences qui sont performants en matière de gestion et autre. C’est pour ça que je dis, un peu plus d’humilité et plus d’écoute. Ils ne savent pas réellement les vrais besoins du peuple il ne faut pas rester dans une boîte noire pour dire je connais les vrais problèmes du peuple. Vous allez dans un autre pays, vous voyez que tout ce qui est préoccupant au Bénin est accessible et nous sommes là pour vraiment questionner le pays afin de savoir ce qu’il faut éviter de faire. Un pays, c’est un système. Si vous touchez à une partie, ça peut affecter le tout .Considère ton pays comme un tour indivisible, je veux poser un acte qui aura un impact sur mon pays, pas sur ma région parce que l’impact sur ma région peut pénaliser le développement du pays. Il faut vraiment que nous ayons des gouvernants qui n’agissent plus parce qu’ils sont là aujourd’hui mais qui agissent parce qu’ils veulent s’inscrire dans l’histoire et ce qu’ils ont fait puisse être une continuité de ce qui a été fait avant eux et ce que les autres vont venir faire après eux. C’est pour ça qu’on a dit que la gouvernance est une affaire de continuité. S’ils ne tiennent pas compte de ça, nous allons poser des actes mais qui ne donneront rien.
Le Chef de l’état a engagé des réformes dans les secteurs portuaires et économiques mais ceux-ci n’apportent pas les solutions aux problèmes, que faut-il faire?
Aucun pays ne peut vivre sans réforme mais il faut que celles-ci soient des réformes acceptables. Mais lorsque vous faites toujours le système de la boîte noire, vos reformes vont vous rattraper et vont vous couler. Ce qui se passe aujourd’hui je ne veux pas dire que les reformes que les gens ont voulu ne sont pas de bonnes reformes mais quelles dispositions ont-ils prises pour que ces reformes soient acceptées. Ce que nous voyons est que le gouvernement ne questionne pas son peuple avant de décider. Ça rejoint la notion de la dictature du développement, c’est une notion très grave. Est-ce qu’on développe un peuple contre sa volonté ? Plutôt de se laisser conduire par la rue, le gouvernement devrait s’asseoir et analyser si toutes les décisions qu’ils veulent prendre ne vont pas créer de tollé sur le terrain. C’est pour ça que je persiste dans ma famille politique que aujourd’hui il nous faut plus de consensus, plus d’inclusion et comme ça a été faussé depuis les dernières années, il faut y revenir. Cela permettra de recueillir les points de vue de tout le monde. Il n’y a pas meilleur forme de solution que cette conférence nationale sur l’économie. Le gouvernement devrait saisir ces textes qui lui ont été tendus et redorer son blason si non au bout de trois ans et demi c’est le pire qui est devant nous et il faut le dire car ne pas le dire c’est tromper le peuple. L’économiste doit coller à la réalité de ce qu’il veut changer. Si vous sortez de cette réalité là, vous êtes en porte à faux et rien ne marchera.
On voit depuis un certain moment le Chef de l’Etat courir dans les champs de coton. Paraît t-il que quand la production augmente de 100.000 tonnes le taux de croissance doit aussi augmenter de 1%. Je voulais demander si c’est vrai et si c’est la solution aux problèmes actuels?
Tout d’abord moi je vois mal le Chef de l’Etat courir de champs de coton en champs de coton. Ce n’est pas ce que le peuple lui a demandé. Ce que le peuple lui a demandé c’est de gérer la production du coton. Il n’a pas besoin de toucher les cotonniers avant de le faire. Supposons que ce que l’on dit en matière de croissance par rapport au coton soit vrai, moi je dis que je ne sais pas si c’est vrai parce qu’il faut me convaincre chiffre à l’appui et s’il n’y a pas de chiffres, je dirai que c’est irréfutable. Moi je laisse ça sur le terrain des affirmations. C’est pour ça que pour moi je dis toujours au Chef de l’Etat, Monsieur le Président ? Libérez-vous de vos parasites et refaites peau neuve. Vous avez encore trois ans et demi devant vous. Est-ce qu’un peuple peut mettre tous ses espoirs sur le coton ? Une culture de rente dont nous ne maitrisons même pas la commercialisation. Ce n’est pas nous qui allons fixer le prix, alors là pourquoi le président a présenté un projet de société ? On pouvait dire le coton puis c’est tout. Si tout se ramène au coton c’est grave. Avant, on avait dit la croissance c’est le Port. Tout notre projet de société doit se cadrer sur le port.
Réalisé par Marcel Zoumènou