Cessez-le-feu général et sur tous les fronts. Cela fait exactement un mois que le Bénin bruit de noms d’oiseaux. Et le ciel de notre pays est subitement pris d’assaut par des volatiles de mauvais augure qui nous cachent désormais le soleil.
C’est à qui trouvera les injures les plus fortes pour répondre aux invectives les plus grossières. Et nos médias servent de caisse de résonnance à ce colportage indécent de propos plutôt orduriers. Dans le silence de notre organe de régulation nationale, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC).
Peut-être que nous médias, nous hommes et femmes de médias, nous n’en faisons pas encore assez pour troubler la paix sociale. Qui veut nous pousser à l’incivisme ne s’y prendrait pas autrement. Nous avons de réelles raisons de nous désoler du sommeil profond du chat. Il ne voit rien. Il n’entend rien. Il ne dit rien. Les souris ont tout le loisir de s’égayer. Elles ne risquent pas de s’attirer les foudres du félin.
La situation trouble et troublée que connaît actuellement notre pays ne peut perdurer. Il y a lieu d’arrêter cette lente descente aux enfers. Il y a lieu de trouver, en nous-mêmes, des ressources nécessaires pour enrayer le cycle fatal des malheurs. L’expérience montre qu’il y a un seuil de la cacophonie et du désordre au-delà duquel, les différents protagonistes n’ayant plus les moyens de s’entendre, n’ont pas un autre choix que de se faire entendre par tous les moyens. De ce constat qui engage la responsabilité des 9 millions de Béninois que nous sommes, émergent quelques idées. Nous tenons à les partager avec nos concitoyens.
Premièrement. Le débat public actuel, tel que mené et conduit est biaisé. Il n’en est pas un. Car un vrai débat suppose une discussion policée, un échange organisé. Il met en présence des parties qui se respectent et qui usent de la force des arguments pour défendre leurs idées. Le tableau qu’on nous offre est tout autre. On ne discute pas, on se dispute. On n’instruit pas, on s’insulte. On ne convainc pas, on se cogne. L’espace n’est plus propice à l’échange constructif, mais à la destruction et à l’autodestruction systématiques. C’est vrai que des gens qui ne savent plus qu’éructer des injures sont dans un combat. Mais on peut se tromper de bataille. Qu’il se fasse connaître le premier qui pense qu’un peuple ainsi attaché à mâcher la kola amère de la haine s’offre des chances de goûter un jour aux délices d’un développement indépendant.
Deuxièmement. Notre chamaillerie politicienne tombe au milieu d’une grave crise socioéconomique. L’immense majorité des Béninois en ressent durement les effets. Nous semblons nous engager dans un long tunnel. Nous n’en voyons pas la fin. Nous ne savons pas ce qui adviendra de nous à la fin. Nous avons besoin, en cette période de grand danger, d’unir nos intelligences et nos forces. Il ne peut être question de gaspiller nos ressources. Quand survient un incendie, il y a deux erreurs à éviter. La première est synonyme de bêtise. Elle consiste à perdre du temps à discuter de la qualité de l’eau qu’il faut pour conjurer le sinistre. La deuxième participe d’un égoïsme imbécile. On fait gagner du temps à l’incendie, en se soustrayant aux opérations de secours, sous le prétexte que sa maison à soi n’est pas en danger. Pour dire qu’en situation de crise, qui s’attache à semer des futilités sur son chemin a rendez-vous avec l’adversité. Qui ne comprend pas le langage de la solidarité se met en situation d’écouter celui de la vulnérabilité.
Troisièmement. S’il en est ainsi, ce ne sont pas dans les champs d’injures que nous nous ingénions à cultiver ici et la ces jours derniers, que nous lèverons l’abondante moisson espérée de coton, d’ananas et de noix de palme. S’il en est ainsi, ce n’est pas la guéguerre entretenue entre des camps opposés qui nous rendra les bateaux de marchandises perdus par le Port de Cotonou au profit de celui de Lomé. S’il en est ainsi, ce n’est pas au milieu des manifestations et des contre-manifestations que résonnera l’hymne à la joie, annonçant la confiance et l’entente cordiale retrouvées entre le gouvernement et les syndicats. S’il en est ainsi, ce n’est pas demain la veille une école béninoise reconvertie à l’excellence, réconciliée avec le succès. Comme pour signifier que nous avons vaincu la fatalité. Une fois de plus. Car nous l’avions déjà dit. Mais voilà qu’aujourd’hui, en bégayant, nous nous sommes laissé prendre en flagrant délit de mensonge. Les Wolof du Sénégal nous interpellent : « Si le mensonge, disent-ils, donne des fleurs, il ne donne pas de fruits ».