15 ans après sa disparition : la mémoire de Basile Kossou honorée de nouveau

 

Après des années de fermeture, le Centre international Basile Kossou pour la paix et le développement,                     (Cibako), renaît   de ses cendres. C’est à la faveur d’une cérémonie, consacrant la relance de ses activités,  qui  s’est déroulée au Palais des congrès le vendredi 14 septembre dernier. Au cours de cette cérémonie, plusieurs hommages ont été rendus à celui dont le centre porte le nom, le philosophe Basile Kossou, décédé en 1997. Au nombre de ceux-ci, votre journal a retenu le discours d’hommage prononcé par l’Ambassadeur Issa Kpara, philosophe de son état dont voici l’intégralité.

Hommage à Basile Kossou
Honorables députés à l’Assemblée nationale,
Mesdames, Messieurs les membres du gouvernement,
Monsieur le Président Nicéphore Soglo, maire de la ville de Cotonou,
Chère Madame Victorine  Kossou et toute la famille Kossou,
Distingués  invités,  Mesdames et Messieurs,

Soyez les bienvenus ! Merci d’être là ! Présents à cette fête de la culture où ensemble nous voulons redonner force et vie au Cibako, le Centre international Basile Kossou, où nous désirons continuer et pérenniser une pensée magistrale, une œuvre prodigieuse que tous nous savons vouées à faire école, tant pour l’académie que pour le vécu des peuples.

Tout à l’heure, des témoignages vivants vous diront l’homme, dans toute sa simplicité : cette modestie des grands esprits, cette courtoisie effacée  toute en élégance, ce sens inégalé de l’amitié, cette quête perpétuelle de l’humain, cet engagement oblatif pour la paix et le développement. Nous espérons la mise à jour prochaine de livres et de films  biographiques, en attendant l’ouverture d’un fichier de thèses et mémoires   sur Basile Kossou.

 

Chers invités,

Le Centre international Basile Kossou, Cibako,  est né en 1998, un an après la précoce disparition du philosophe à 53 ans.

Nous le savons, le génie est sans âge. Le génie est surtout un sacerdoce, dira  Victor Hugo. La trajectoire de Basile Kossou nous en donne un témoignage incontesté.

Etonnant visionnaire car tout à la fois penseur  de son temps et bâtisseur d’avenir, Basile Kossou aura, en sa brève existence,  marqué d’une empreinte majeure les grands enjeux  de la vie culturelle et politique  de notre continent.

Déjà connu au cours de la décennie 1970 dans le cercle étroit de la prospective, cet intellectuel d’une superbe humilité, ce maître de la parole et de l’outil est, pour ainsi dire, entré vivant au panthéon de l’humanisme contemporain.

Eminent théoricien mais aussi habile acteur du développement culturel, c’est-à-dire du développement tout court, nous lui devons une courageuse et passionnée mise en question du devenir économique et culturel de l’Afrique.

Auteur d’ouvrages de référence comme « Sè et Gbè, Dynamique de l’existence chez les Fon », « La dimension culturelle du développement » et d’une impressionnante production de textes plus instrumentaux tels que « Les aspects culturels du Plan d’action de Lagos », la Charte culturelle de l’Afrique,  l’inépuisable pèlerin doué d’ubiquité exercera un magistère ininterrompu par ses contributions décisives aux conférences Africacult d’Accra en 1975 et Mondialcult de Mexico en 1982, puis par  la création de hauts lieux de l’interculturel tels que l’Institut des peuples noirs (Ipn) de Ouagadougou, le Centre international des civilisations bantoues (Ciciba) de Libreville, le Centre régional d’action culturelle (Crac) de Lomé, prestigieuse école qui livrera en vingt ans plus de 600 administrateurs culturels à tout le continent, le Centre régional d’études et de documentation (Credec) de Dakar, etc. Après avoir dirigé durant deux décennies l’Institut culturel africain de Dakar couvrant toute l’Afrique francophone plus le Ghana, Basile Kossou est nommé en 1987 secrétaire général de la Décennie mondiale du développement culturel à l’Unesco, puis en 1997 directeur du projet Priorité Afrique à l’Unesco.

 Au fil d’une pensée et d’une action particulièrement fécondes et contagieuses, l’avocat de la cause culturelle poursuit une intransigeante obsession : comment moderniser le continent par de subtils raccourcis en redonnant l’initiative aux peuples et aux gouvernants, dans une approche identitaire qui s’approprie intelligemment les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être d’ici et d’ailleurs.

Dès lors les industries culturelles comme la recherche appliquée offrent à nos fabuleux patrimoines ancestraux de formidables moyens de perfectionnement et de diffusion tout autant que de création d’emplois nouveaux, de plus-value  économique et de progrès social. Basile Kossou n’aura de cesse  de mobiliser partout en Afrique et ailleurs, décideurs politiques, opérateurs économiques, créateurs d’œuvres de l’esprit, producteurs en tous genres à l’assaut de ces conquêtes nouvelles et novatrices.

 

Mesdames, Messieurs,

Qui ne verrait là, dans cette exploration aux allures inquisitoires menée par Basile Kossou, l’anticipation volontariste de la floraison artistique que permet aujourd’hui l’audiovisuel en Afrique ! Ne devinons-nous pas ici comme l’annonce  de la génération  Agon et du phénomène  Fagla ? Et de tant d’autres inventeurs du renouveau endogène auquel nous devons toutes ces merveilles de la  phytothérapie extraites du terroir profond ? Oui, l’Api Palu  de Valentin Agon, le VK 500 de Jérôme Fagla, le vaccin antipaludique des chercheurs de Bamako et de Dar-es Salam. La liste est bien longue.  Avis aux curieux !

Il nous faut saluer l’audace hélas encore  solitaire  de ces talentueux découvreurs des secrets du cru. Car nos élites doivent refuser  de s’incorporer à ces vaillantes cohortes de grands diplômés culturellement analphabètes dont s’accommode si bien une impitoyable globalisation.

Basile Kossou nous convoque inlassablement à transgresser l’aliénation et l’extraversion pour, dit-il, « faire preuve de lucidité dans le domaine qui nous préoccupe, la culture… Faire preuve de lucidité, indique-t-il, c’est :

1. « s’interroger sur le legs du passé, sur ce qui en a été fait et ce que nous pouvons en faire : le  patrimoine culturel acquis et le patrimoine en-train-de se faire grâce aux initiatives de nos  contemporains ;

2. « considérer la culture nationale dans sa rencontre inéluctable avec d’autres cultures, pour  prévoir son développement à travers le prisme de la responsabilité des pouvoirs publics ».

Soyons précis. En aucune façon il ne s’agira de moderniser au rabais. L’affirmation de l’identité n’est pas la consécration de la médiocrité. Basile Kossou ne cultivait l’inquiétude que pour conjurer l’ineptie et prescrire l’exigence esthétique de la vie. L’extraordinaire réussite du projet « Tissage Plus » de Mme Victorine Kossou vient nous rappeler que quelque part dans un foyer, à Gbedjromede et désormais à Abomey-Calavi, la création s’est renouvelée pour enrichir et embellir la vie, enrichir et embellir le Bénin, enrichir et embellir l’Afrique.

Il faut prouver le mouvement en marchant, enseignaient les philosophes grecs.  Le tout premier des quatre objectifs de la Décennie mondiale du développement culturel s’énonce : « Affirmation et enrichissement des identités culturelles ». Tissage Plus relève le défi en portant au sommet de l’art décoratif contemporain des tissages anciens jusque-là enfouis dans des mémoires improbables au fond des âges. Notre patrimoine dans sa totalité doit mériter d’un tel exemple.

On l’a compris, l’Afrique doit cesser d’être ce que Paulin Hountondji appelait avec tant de tristesse  « un réservoir de matières brutes en tous genres à la disposition de l’Occident ».

La prise en compte de la dimension culturelle du développement ne concerne pas seulement les œuvres d’art, mais la vie économique et sociale en son entier.

Sous l’impulsion de Basile Kossou, bien des gouvernements africains dont celui du président Kérékou, ont, à la fin des années 1990,  consacré par décret la place de la culture dans la conception et la réalisation de leurs projets de développement. Le milliard culturel aujourd’hui dévolu aux arts est né de là.

Mais cette miraculeuse conversion signifie également  que l’architecture de nos hôpitaux publics sera de type pavillonnaire plutôt que de tours géantes où l’accompagnement familial des malades manquerait d’espace.

Que nos maisons se construiront de plus en plus en terre stabilisée et s’équiperont de meubles ouvrés des mains de nos industrieux artisans. 

Que le karité et le coton ne devraient plus s’exporter   à l’état brut, mais transformés sur place en produits finis, cosmétiques,  alimentaires ou vestimentaires.

Que nos guérisseurs des villages peuvent efficacement seconder nos chirurgiens, psychiatres et généralistes des hôpitaux.

Que des visions politiques et urbanistiques plus intégratives devraient empêcher de transformer nos villes en réceptacles chaotiques des désespérances de l’exode.

Que nos écoles, nourries des sagesses de nos pères, érigeront dans des têtes  bien pleines mais surtout bien faites, les remparts de la tolérance, du respect et de la paix.

 Car les crises diverses, les incessantes convulsions qui traversent la planète n’ont d’autre source que culturelle, bien plus dans nos sociétés en transition sournoisement fragilisées par une mondialisation trompeuse.

 

Mesdames messieurs, tel fut le sens du sacerdoce de Basile Kossou. Le Cibako y fonde sa raison d’être.

Un dernier mot. Plus de vingt ans passés, la Conférence nationale béninoise continue de fasciner le monde et de nourrir  les fantasmes de tous les politologues. Trait de génie politique, assurément, mais n’est-ce pas surtout la marque d’une exclusivité culturelle, qui se révèlera justement si peu compatible au prêt-à-porter ? Notre droit positif pourrait également innover à partir de nos codes ancestraux. Au vu de nos vains combats contre la corruption, il peut être plus correctif et  dissuasif de conspuer sur la place de nos marchés les voleurs de deniers publics au lieu de les jeter dans nos prisons devenues pourvoyeuses de récidivistes impénitents.

Mesdames, Messieurs, le Cibako met à votre disposition une infinie variété de pistes de recherches, d’échanges et de réflexion. Vous êtes priés d’en user sans modération.

Chers invités, nous vous renouvelons toute notre gratitude, en particulier aux partenaires et sponsors du Cibako.

Permettez enfin que je salue ici le courage, le dynamisme et la détermination de Madame Kossou à poursuivre l’œuvre de son mari.

Nous vous souhaitons à tous une excellente semaine de joyeuses rencontres et de gai savoir.

Je vous remercie.

Par Issa Kpara
Cotonou, le 14 septembre 2012

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