Bonne gouvernance et gestion des dépouilles mortelles : plaidoyer pour la crémation

C’est un plaidoyer que nous faisons en faveur de ce qui n’existe pas encore et donc difficile à faire admettre : l’incinération des corps. Nous présentons nos excuses pour les raisonnements que nous allons mener et les mots dont nous ferons usage qui pourraient froisser d’aucuns ou faire penser que nous manquons d’égard pour les disparus ou encore que nous n’avons pas les pieds sur terre.

 Il est vrai que toute plaidoirie est une partie de poker ; ou l’on gagne ou l’on perd et elle est toujours sectaire.

Le sujet de notre réflexion n’est pas particulièrement gai ; du moins offre t-il l’avantage de nous distraire quelque peu des tensions politiques du moment qui enflent les esprits et finissent par dérouter le citoyen ordinaire ; occasion de se donner une bouffée d’oxygène et de se rappeler aussi notre destination finale à nous tous ; le terminal où tout le monde descend : la mort. Nous la redoutons tous cette mort, croyants ou athées ; riches comme pauvres. Elle sépare et toute séparation est douloureuse aussi bien pour la personne qui s’en va définitivement, ne pouvant lutter contre ce qui l’emporte, que la personne qui reste, ne pouvant rien faire non plus pour retenir celui qui s’en va. La mort fait partie intégrante de la vie ; quand bien même son terme, elle mérite autant d’égards que les Autorités politiques et administratives s’attachent à accorder aux problèmes de la vie. Celui qui s’en est allé a apporté sa part au développement économique du pays et à la régénération de la vie. ; il a rempli sa mission aussi devons-nous respect à son corps quand le souffle le quitte. Alors la bonne gouvernance c’est aussi la bonne gestion du terme de la vie.

Le prétexte à la réflexion

Nous abordons un tel sujet pour deux raisons alors même qu’il ne fait pas la une des préoccupations du moment. La première est que la mort n’a pas d’époque et qu’elle est omniprésente; la deuxième est que j’ai été choqué et bouleversé par ce que je viens de voir au cimetière PK 14 route de Ouidah et qui mérite d’être partagé même si, en soi, le phénomène n’est pas nouveau. Je m’étais rendu en ce lieu vénéré pour présenter mes respects à mes feus père et mère ensevelis l’un à coté de l’autre comme ils l’ont demandé dans leurs dernières volontés. J’ai trouvé l’endroit beaucoup mieux entretenu que par le passé et l’on devrait en être redevable aux autorités municipales. Mais quelle n’a pas été ma surprise de découvrir à deux mètres de mes parents une tombe éventrée découvrant à pleine vue le cercueil qu’elle abritait. Je m’en étais rapproché timidement pour m’assurer de n’avoir pas à faire à un mirage. Mais non ; ce n’en n’était point. J’ai bien de mes propres yeux vu ce cercueil fait de bon bois acajou en train de perdre son vernis mais intact et en bonne position, résistant aux intempéries sous les effets conjugués du soleil et de la pluie. Mon sang n’avait alors fait qu’un tour et je m’en étais éloigné dans un premier temps. Puis, la première réaction maîtrisée, j’ai cherché à m’informer. Il m’a été ainsi donné d’apprendre que cette tombe est ainsi béante depuis un bon moment déjà ; et lorsque j’ai voulu savoir si le registre du cimetière ou les services compétents de la mairie ne pouvaient permettre d’identifier les parents de ce malheureux corps, la réponse a été plutôt évasive ; je n’ai pas insisté n’étant pas chargé d’enquête. Autrement je me serais demandé si la dalle qui fermait la tombe s’était effondrée sous son propre poids alors que les barres de fer qui portaient le béton étaient saillantes ou si elle l’a été sous l’effet de coups de marteau ; j’aurais ensuite examiné le dessous du cercueil pour m’assurer qu’il était aussi inviolé que le dessus. Je n’en finissais pas de raisonner ainsi tout haut quand mon horreur atteignit son comble : quatre mètres en contrebas, alors que je quittais le cimetière, je fis face au même spectacle dans une autre tombe ; cette fois-ci le cercueil s’y trouvait en travers. Sans plus me poser de questions, je poursuivis tout droit ma route, le dégoût au cœur et l’envie de remettre ce que retenait mon estomac. Mais à quelque chose malheur est bon ; je venais de trouver matière pour introduire la présente réflexion que je me proposais de mener depuis un temps déjà.

Inhumation et dignité de la dépouille mortelle

Depuis les temps immémoriaux nos morts sont inhumés c’est-à-dire mis sous terre. La terre était alors disponible et l’enfouissement, la solution naturelle. Nous mettions notre regretté dans ce qui n’est qu’un trou que nous comblions naguère avec le sable provenant de son creusement. Aujourd’hui, dans certains rites, le trou est cimenté et nous mettons une dalle épaisse sur ce trou pour isoler définitivement le défunt des vivants. Mais l’une ou l’autre protocole, qu’importe, le résultat est le même. Nous appelons cela élégamment une tombe et nous souhaitons au défunt que la terre lui soit légère. Hypocrisie collective ; courtoisie macabre ! Nous savons bien que la terre n’a vocation à être légère pour quiconque. Nous savons que le corps y déposé va souffrir ; nous savons aussi que la souffrance sous terre est incommensurable parce que les locataires qui s’y trouvent déjà n’ont ni mesure ni état d’âme ; leur instinct de conservation, à eux aussi, n’auront de cesse que de lacérer ce corps jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien qui les intéresse. Tout cela s’affiche plus ou moins clairement à notre conscience quand nous tournons le dos à ce corps et que nous rentrons dans nos maisons respectives avec le sentiment d’avoir accompli un devoir ; plutôt celui d’être débarrassés d’un poids quand nous l’abandonnons dans ce trou que nous appelons tout aussi pompeusement avec un tantinet de gêne tout de même, sa dernière demeure. Mais en fait de demeure il n’y a qu’un trou avec des choses horribles dedans.

Je sais que l’on pourrait rétorquer que le défunt n’est plus conscient et que, de manière discursive, il n’est plus réactif aux traitements qui lui sont infligés dans son trou. Je ne suis pas existentialiste mais il me parait évident que ce n’est pas parce que l’on ne prend pas conscience d’un fait qu’il n’existe pas objectivement. Le corps supposé inconscient à qui est infligé une souffrance physique est objectivement sujet de souffrance. Si l’on convient que l’être humain qui a perdu le souffle et l’âme n’a plus conscience des sensations, l’on devrait pouvoir convenir également que la souffrance physique infligée à son corps devenu inanimé peut être subjectivement ressentie en termes de douleur morale par des tiers en communion d’esprit avec lui. En tout état de cause et outre ces considérations d’ordre plutôt métaphysique toujours douteuses, mais aussi en raison de considérations beaucoup plus objectives, nous pensons que l’inhumation n’est pas respectueuse du corps de la personne dont on se sépare définitivement ; ce corps se décompose graduellement sans aucune défense ; ce corps est envahi par toutes sortes de vilaines choses dont il n’est pas séant de faire le détail. De toute évidence l’inhumation ne respecte pas la dignité du corps ; elle manque de décence ; elle est antihygiénique dans son essence ; elle l’est tout aussi bien dans ses effets et pour cause. Dans les régions où il n’est pas besoin de creuser très profondément la terre pour avoir accès à l’eau source de vie, l’inhumation peut polluer le sol par infiltration et porter atteinte à la santé des vivants.

Bon nombre de cimetières sont laissées à l’abandon ; tombes et corps gisant au milieu de la broussaille et des mauvaises herbes ; les profanateurs de tombes y sont à leur aise ; les malfrats aussi. Les profanateurs pour aller revendre sur les marchés en toute transparence, tels de vulgaires objets, les membres et les organes de nos défunts ; les malfrats pour mettre au point leurs stratégies d’attaque et se partager le butin. Et tout cela nous le savons parfaitement, les autorités le savent pertinemment, les forces politiques aussi qui n’en finissent pas de se chamailler à l’envie sur les seuls problèmes des vivants. Et nous faisons semblant de ne pas le savoir : ce n’est pas notre problème ; c’est le problème des morts, eux qui n’ont plus aucun moyen d’action et que nous prétendons pourtant continuer d’aimer. Où est donc le repos éternel que nous clamons en leur nom si ce n’est qu’en Dieu ; où est le respect que l’inhumation est censée leur apporter ; quelle dignité leur conférons-nous ?

Inhumation : entrave au développement.

L’inhumation est grande consommatrice d’espace ; de l’espace et toujours de l’espace de manière exponentielle puisque la mort est perpétuelle et qu’on lui consacre autant d’hectares qu’elle requiert ce qui constituent autant de sources d’investissement gelées. Chez nous l’on inhume en pleine terre ; chaque disparu a droit à sa concession muni, j’allais dire avec quelque raillerie, de son titre foncier ad vitam aeternam et la pratique du caveau familial n’y a pas cours. Pourquoi donc consacrer autant d’espace à des personnes qui ont terminé leur mission sur terre alors que ceux qui, vivant encore et voulant remplir la leur de même manière, manquent d’espace pour ce faire. Evoquer la raison de l’attachement spirituel et perpétuel aux défunts pour justifier la confiscation de tant d’espace ne résiste pas à la réflexion puisque nous savons bien qu’au bout du compte les tombes sont délaissées alors que les terres qu’elles occupent restent à jamais conquises. L’inhumation est donc une entrave au développement économique du pays. Entrave au développement d’autant qu’elle est concomitamment source d’appauvrissement du citoyen. Nous savons déjà que les enterrements sont généralement source de dépenses et d’appauvrissement de ceux qui se doivent d’y faire face ; nous ne le savons que trop bien. Outre tout le tralala habituel en cette occurrence, l’inhumation en elle-même coûte déjà les yeux de la tête : la tombe, le monument funéraire, le corbillard, le cercueil et autres frais toujours importants en cette occasion. Les déplacements intempestifs et onéreux de parents résidant aux quatre coins du monde pour venir assister à l’enterrement sous peine de critiques acerbes et humiliantes. De toute évidence l’inhumation est ruineuse et porteuses d’entraves au développement.

L’inhumation : problème de société

Enterrer un disparu est devenu un vrai problème de société. Les cimetières sont saturées mais les populations rechignent à enterrer leurs proches trop loin de leurs résidences probablement parce qu’ils ne veulent pas se reprocher le sentiment de s’en être séparés. Alors des pratiques peu orthodoxes s’installent. L’on empile les corps ; l’on rouvre les tombes pour y inhumer de nouveaux corps. La chose pourrait paraître tout de même acceptable lorsqu’il s’agit de membres d’une même famille mais lorsqu’il s’agit de personne n’ayant aucune accointance avec la famille, la pratique devient vraiment gênante. Elle présente alors le visage d’un véritable commerce macabre où l’on vend tout ensemble tombe et corps à une tierce personne, étrangère à la famille, au demeurant à des sommes défiant l’entendement. Outre le problème moral que cette pratique soulève l’on peut se poser globalement la question de savoir pourquoi donc tenons-nous à inhumer nos morts. Est-ce par amour pour eux ; est-ce pour aller de temps à autre arracher les mauvaises herbes autour de leurs tombes ou aller les fleurir et se donner bonne conscience de penser à eux ; est-ce pour aller se recueillir sur leurs tombes et nourrir le futile, puéril et vain sentiment qu’ils sont toujours auprès de nous ; est-ce pour raison de ne pouvoir pas faire leur deuil ; est-ce donc qu’on a besoin d’enterrer quelqu’un avant d’en garder bon souvenir ? De toute évidence l’inhumation pose un problème de société aigu qu’il convient de résoudre en même temps qu’un problème d’éthique. De plus elle est objet de discrimination sociale finale. Les riches ont droit à une inhumation de première classe entourée de tous les honneurs ; du grand et beau monde ; le pauvre s’en va comme il est venu.

La crémation : avantages et pesanteurs

La crémation ou incinération est une technique funéraire qui consiste à brûler et réduire en cendres le corps d’un être humain. Ses avantages procèdent, en situation antinomique, de tous les inconvénients de l’inhumation sans en présenter elle-même, aucun. De plus la crémation offre l’avantage que les cendres du défunt peuvent être distribuées aux enfants et aux proches où qu’ils se trouvent, leur épargnant d’onéreux déplacement aux lieux du décès et de l’inhumation. Les cendres pourront, dans l’esprit des dernières volontés du regretté être conservées en un endroit choisi pour constituer le souvenir ou éparpillées dans les airs. Pour ceux qui n’arrivent pas à faire le deuil d’un disparu et qui veulent se sentir toujours proches de lui, l’urne cinéraire parait la solution idéale d’autant qu’on peut la disposer dans n’importe quel endroit de la maison. La crémation est propre et nette ; elle ne cause aucune nuisance à personne ; elle ne nous prive pas des terres dont nous avons besoin pour travailler et vivre ; elle nous donne le choix d’éparpiller les cendres dans la nature ou de les garder avec nous ; elle nous épargne les grandes dépenses. Qu’est-ce qui pourrait alors s’opposer à cette pratique si saine et si efficace, si ce ne sont les pesanteurs des religions et des croyances mais aussi celles des traditions ?

L’Eglise et l’Islam n’acceptent pas la crémation mais ces religions sont condamnées à évoluer parce que les esprits évoluent. Il convient d’ailleurs de rappeler que, dans le passé, l’Eglise a évolué tout au moins pour ce qui est du lieu de l’inhumation. Au 18ième siècle encore les morts étaient enterrés dans la cour de l’Eglise mais ceux qui n’étaient pas considérés comme âmes pieuses de leur vivant n’y avaient pas leur place. Ils étaient inhumés en dehors de la cour de l’Eglise et même dans des fosses communes. L’Eglise a donc évolué et il faut espérer qu’elle évoluera aussi dans le sens de la crémation. La France considérée comme la fille aînée de l’Eglise pratique de plus en plus la crémation ; actuellement à hauteur de 40% des décès et, sauf erreur de notre part, l’Eglise n’a pas condamné cette évolution formellement. Il est vrai que les religions nous rappellent que nous sommes tous poussière et que nous retournerons poussière. Mais est-ce seulement dans un trou que l’on peut devenir poussière ; la cendre n’est-elle pas aussi poussière ? Poussière hautement plus significative à notre sens ; d’autant plus significative que le feu purifie selon certaines croyances et qu’en éparpillant ses cendres dans les airs nous retournons le défunt au cosmos dont nous sommes certainement issus. Ou alors est-ce parce que, dans la nuit des temps, Jésus a été enseveli que nous devons tous, en ces temps modernes, passer par là ? Pourtant, il ne me souvient pas, sauf défaillance de ma part, avoir lu telle prescription dans l’Ecriture sainte.

En dehors des convictions religieuses, l’argument massue que certains opposent à l’incinération des corps, est que la tradition ne le permet pas ; les mentalités ne seraient pas prêtes à accepter la chose. Soit ! Mais il ne s’agit pas d’imposer la crémation aux populations ; il s’agit de leur proposer une solution alternative pour permettre le choix entre l’inhumation et la crémation qui est après tout philosophique. Pour cela il faudrait disposer d’incinérateurs ; gageons que telles installations dans les grandes communes ne chômeront pas dans notre pays. Tout le problème est là. Au reste il convient de reconnaître que l’idée de l’incinération commence à germer dans les esprits de bon nombre de compatriotes et qu’il est venu le temps de le dire tout haut et d’en tirer les conséquences. Les autorités municipales gestionnaires des cimetières devraient donc en tenir compte et innover. Les mairies pourraient collaborer entre elles et conjuguer leurs ressources pour ce faire. Elles pourraient également amener par des mesures incitatives, les propriétaires de morgue et de maisons funéraires à investir dans les incinérateurs ; ce qui ne pourra que continuer de servir leurs intérêts. Alors la tradition cèdera du terrain, à son rythme certes, mais elle finira par en céder sous la pression de l’évolution des esprits. L’essentiel, c’est l’installation d’incinérateurs spécifiquement pour les humains ; le reste suivra naturellement.

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