Hommage du professeur Paulin Hountondji à Guy Landry Hazoumé

Du Cap où il est invité par l’université à donner des conférences, le Professeur Paulin J. Hountondji , condisciple du défunt, nous a envoyé ce témoignage poignant sur la vie de  Guy Landry Hazoumé.

L’intérêt de ce témoignage , en ces heures d’incertitudes  et de polémiques stériles, se trouve dans  le résumé succinct qu’il fait du chef d’oeuvre de Guy Landry Hazoumé idélogies tribalistes et Nations en Afrique  : le cas dahoméen.

GUY-LANDRY HAZOUME : QUELQUES SOUVENIRS

Quel « ballotin » de la fin des années cinquante aura eu le réflexe de conserver, en bon archiviste, toute la collection de Ballot-Echos, le journal des élèves du lycée Victor Ballot qui devait être rebaptisé peu après, d’après le nouveau nom du lycée, Le Béhanzinois ? On trouverait dans un des derniers numéros, daté de 1959 ou 1960, un article de Guy-Landry HAZOUME où ce dernier s’indigne des propos tenus par Albert CAMUS en marge de la cérémonie de remise du prix Nobel de littérature en 1957 : « Entre la justice et ma mère, je choisis ma mère ».

Notre professeur d’histoire, jeune et brillant intellectuel fraîchement revenu de France, fortement politisé et, ce qui ne gâte rien, excellent rhéteur, nous avait raconté l’histoire sans commentaire, pour alimenter notre réflexion. Ce n’était pas entré dans les oreilles d’un sourd. Guy, déjà fortement politisé lui aussi, a réagi en militant. Albert CAMUS était un Français d’Algérie, un « pied-noir », comme on disait. Sa déclaration avait fait l’effet d’une bombe dans la presse française et dans les milieux qui soutenaient la lutte du peuple algérien pour sa libération.

On pensera ce qu’on voudra de cette déclaration. On sait d’ailleurs aujourd’hui que CAMUS n’a pas dit exactement cela, que le lauréat du prix Nobel, écrivain, philosophe et dramaturge réputé de gauche répondait, en Suède, au cours d’une rencontre avec des étudiants, à la question d’un jeune Algérien qui voulait connaître son opinion sur les luttes en cours dans sa terre natale. Evoquant alors les attentats commis dans les tramways, surtout dans les quartiers populaires comme celui où habitait sa mère, il aurait déclaré : «En ce moment, on lance des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère ». Où il faut voir, non l’expression d’une hostilité à la justice, mais une critique du terrorisme aveugle, qui est le comble de l’injustice.

On fera aujourd’hui toutes les mises au point qu’on voudra. Ça se discute. En tout cas, voilà Guy : un homme entier, exigeant, qui choisit clairement son camp et s’en tient à ce choix, un militant qui ne tolère ni l’équivoque ni la nuance excessive. Instinct politique sûr et réaction à fleur de peau. Une grande capacité d’indignation. Ne comptez pas sur lui pour vos petites magouilles. Je me trompe peut-être ? Sans être forcément un saint, le Guy que j’ai connu avait beaucoup de dignité.

Un de nos aînés de Ballot, grand militant devant l’Eternel, devenu après ses premières années à l’Université de Dakar un fervent adepte du marxisme, nous disait un jour (je ne suis pas sûr qu’il s’en souvienne lui-même) : « J’ai davantage confiance en Guy qu’en moi-même ».

Notre professeur d’histoire en terminale s’appelait Albert TEVOEDJRE. Dans ses Certitudes d’espérance publiées à la fin de sa carrière au BIT, il évoque, non sans tendresse, le souvenir de ses anciens élèves du lycée Victor Ballot. Il en cite nommément deux dont il était particulièrement fier et qui, à l’en croire, ne se ressemblaient pas du tout : Guy HAZOUME et moi-même.

Rentré au pays quelques années avant moi, Guy n’a pas cessé d’être le lecteur infatigable qu’il était : dévoreur de livres, homme de grande culture et d’une curiosité sans bornes, intellectuel engagé et exigeant. Je lui suis reconnaissant, à lui comme à Olabiyi J. YAÏ,(actuel ambassadeur du Bénin à l’Unesco(ndlr) d’avoir pris le temps d’écrire conjointement une note critique à mon tout premier article dans Présence africaine, « Charabia et mauvaise conscience : psychologie du langage chez les intellectuels colonisés », paru en 1967. Cette note critique, « Remarques sur ‘Charabia et mauvaise conscience’ » a été publiée peu après dans un autre numéro de la revue.

« Présence africaine » était aussi le nom d’une maison d’édition créée autour de la revue. J’y avais mes entrées. Le patron, Alioune Diop, que nous admirions tous, me tenait en grande estime. Il m’avait demandé de monter une commission interafricaine de philosophie à la Société africaine de culture qu’il dirigeait aussi, et de créer un « dossier philosophique » dans la revue. Je suis fier de deux choses : d’abord, d’avoir fait paraître dans le numéro 66 de la revue, en 1968, un article dont beaucoup ne voulaient pas, « Le Bantou problématique », premier grand article de Fabien Eboussi-Boulaga, devenu par la suite le grand philosophe et essayiste camerounais que l’on sait ; ensuite, d’avoir obtenu des éditions Présence africaine qu’elles publient le grand livre de Guy, Idéologies tribalistes et nation en Afrique : le cas dahoméen.

Je ne retrouve même plus mon propre exemplaire de ce livre : un emprunteur indélicat a dû oublier de me le rendre. L’argumentation était limpide : la solidarité ethnique est chose normale et n’est pas un mal en soi. Mais ce qui est une déviation, ce qui fait obstacle à la construction et au développement de l’unité nationale, ce qu’il faut combattre avec la dernière énergie, c’est l’exploitation de cette solidarité ethnique par des politiciens véreux qui la transforment en idéologie tribaliste. Ces manipulateurs inventent de toutes pièces des argumentaires fantastiques qui, non contents d’exalter les vertus supposées de la tribu, développent des griefs imaginaires de cette tribu contre les autres groupes. Quand ils ne les inventent pas de toutes pièces, ils en trouvent les composantes au plus bas niveau de la communauté et, au lieu de les combattre et de les neutraliser par une saine pédagogie, les prennent au contraire à leur compte, les amplifient et en font des armes redoutables pour leur propre ascension politique au détriment de l’unité et de la cohésion nationales.

1972 : l’année des grandes espérances. Les militaires prennent le pouvoir et proclament leur désir de révolution. J’écris dans Daho-Express un petit article : « Qu’est-ce qu’une révolution ? », dont je n’avais pas prévu qu’il aurait un tel retentissement : lu et relu à la radio nationale (la seule que nous avions à l’époque) sur la propre initiative des journalistes. Dans la foulée, j’écris d’autres petits articles. Je regroupe tous ces textes de circonstance dans un petit volume vite imprimé, Libertés : contribution à la révolution dahoméenne. Guy accepte de le préfacer. L’opuscule eut un franc succès.

Il travaillait beaucoup sur Louis Hunkanrin et Marc Tovalou Quenum, premiers grands intellectuels du pays et précurseurs, sinon de l’indépendance (le projet n’étant pas alors à l’ordre du jour), du moins de l’éveil de la conscience nationale. C’est lui qui a pris l’initiative d’un ouvrage collectif sur La vie et l’œuvre de Louis Hunkanrin suivi de deux opuscules de Hunkanrin  lui-même : L’esclavage en Mauritanie et Le Zangbéto. Co-auteurs de l’ouvrage avec Guy-Landry Hazoumè : Jean Suret-Canale, excellent africaniste, membre du Parti communiste français, l’historien nigérian bien connu A. I. Asiwaju, les chercheurs béninois Mathias F. Oké et Guillaume da Silva. Sa propre contribution a pour titre : « Louis Hunkanrin : sens et leçons d’une expérience de lutte ». J’avais créé à Cotonou une petite librairie : la Librairie Renaissance, qui entendait faire aussi de l’édition. Elle a publié l’ouvrage.

Guy était et demeure une référence, une valeur sûre. Nous nous sommes un peu perdus de vue ces dernières années. C’était involontaire. Un ami s’en est allé. C’est douloureux pour nous. C’est déchirant pour sa famille, pour ses enfants. Guy n’était pas fait pour mourir mais pour vivre. Et il vivra longtemps, longtemps encore, au-delà même de nos mémoires en sursis, dans le cœur de ceux qui, comme lui, se passionnent et se passionneront pour la justice et l’équité. Et pour le destin de notre pays, de notre continent.

Le Cap, samedi 22 septembre 2012.
Par Paulin J. HOUNTONDJI

Laisser un commentaire