L’affaire est sérieuse : un contentieux peu banal oppose depuis quelques jours l’Office de Radiotélévision du Bénin (ORTB), l’organe du service public, à la chaîne de télévision privée, Canal 3. Le contentieux s’est singulièrement corsé et l’opinion s’est énormément émue avec la coupure de Canal 3.
Quand le pouvoir médiatique s’offre ainsi en spectacle, les ennemis de la démocratie jubilent. C’est de bonne guerre : la bagarre des chats occupés à se bouffer le nez ne peut que faire l’affaire des souris. La belle preuve : l’empoignade a été si dure, le combat si rude, qu’on a oublié qu’une télévision qui se tait, quelle qu’en soit la raison, c’est la démocratie qu’on bouscule, c’est la liberté qui prend un coup.
Canal 3 resterait débiteur de plusieurs millions de nos francs envers l’ORTB. Soit ! Les histoires d’argent sont importantes. Nul ne saurait le contester. Et si l’on estime que, sur ce point, un contrat n’a pas été honoré, c’est la parole donnée qui n’a pas été respectée. C’est une faute. Le délinquant aura bien besoin de s’expliquer. Il aura surtout besoin de payer. Il doit s’acquitter de sa dette.
Mais réduire ce différend à une question de sous, c’est délibérément choisir de limiter son horizon à un porte-monnaie. C’est se bloquer sur le gari d’aujourd’hui et sur le ventre où ce gari sera digéré, en passant par pertes et profits les enjeux majeurs qui sont les nôtres et qui dépassent nos personnes. Ces enjeux marquent notre présent. Ces enjeux déterminent notre avenir. En prendre conscience revient à ramener tout différend entre deux médias, comme dans le cas qui nous occupe, à des proportions raisonnables ou raisonnablement gérables. Le choix sera toujours à faire entre nos sous à revendiquer et à récupérer, ici et maintenant, et nos intérêts permanents, qui s’inscrivent dans le long terme. Ils n’ont pas de valeur marchande, parce qu’ils sont hors de prix. Et c’est en cela qu’on aurait dû choisir, pour le règlement du différend qui oppose l’ORTB à Canal 3, le terrain le mieux indiqué.
C’est d’abord le contexte dans lequel s’inscrit ce différend qui est à prendre en compte. L’actualité nationale est fort chargée. C’est la suite logique d’une série de déclarations à l’emporte-pièce des responsables politiques. Nos médias en ont été les relais actifs. Avec cette montée soudaine d’adrénaline et la surchauffe de la scène politique, la suspicion est à son zénith. Aussi a-t-on tôt fait de pointer du doigt tel média ou d’y voir derrière la main ou l’ombre d’une personnalité politique.
La télévision qui déclenche, dans un tel contexte, ce que d’aucuns veulent tenir pour la « guerre des médias » doit accepter le reproche, juste ou non, de manquer de psychologie et de s’écarter quelque peu des exigences de la confraternité. Pour que celle-ci s’impose comme un lien inviolable, le principe rassembleur des médias et de ceux qui les animent, le règlement du différend opposant l’ORTB à Canal 3 aurait dû emprunter d’autres voies. Lesquelles ?.
On aurait dû prioriser ce qui est et ce qui doit rester le tout premier terrain pour tout règlement : le terrain professionnel. C’aurait été la preuve tangible d’une confraternité qui ne se dément ni ne se renie. Ainsi, pour que les médias soient effectivement la conscience vivante et irréprochable de nos populations, ils doivent se reconnaître leurs périmètres propres. C’est à l’intérieur de ces périmètres qu’ils s’attacheront, dans l’esprit du linge sale qui se lave en famille, à célébrer leurs messes basses et à régler leurs problèmes. Aucun vodun ne s’illustre à l’extérieur avant qu’il ne se soit renforcé et raffermi à l’intérieur de son couvent. Ce qui signifie en clair que les médias et leurs représentants, tant qu’ils n’ont pas épuisé les ressources que leur offre le terrain professionnel se fourvoieraient en favorisant l’intrusion de forces exogènes – huissiers, policiers et autres intervenants.
Dans ce cercle de la confraternité, les uns et les autres peuvent recourir à plusieurs instances arbitrales. On pourrait requérir par exemple la médiation de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC). Jusqu’à preuve du contraire, l’institution incarne assez d’autorité et respire assez de légitimité pour passer aux yeux de tous pour le bras respecté d’une justice conciliatrice. Si au bout de ce parcours confraternel, les confrères ne réussissent pas à faire l’accord sur leurs désaccords, pas de souci. La sagesse des nations nous gratifie de la plus délicieuse des consolations : « Vous serez peut-être déçu si vous échouez, mais vous serez voué à l’échec si vous n’essayez pas ».