Nous avions fini par nous habituer à cette gangrène de corruption non pas tant que nous ayons fait cause commune avec elle mais parce que nous désespérions de ne pouvoir l’enrayer un jour de notre environnement d’autant que cette pratique ne laisse généralement pas de trace tangible pouvant justifier quelque recours que ce soit.
Nous ployions ainsi sous cette fatalité, ronchonnant dans notre barbe ; mais voici que l’entremise d’un simple portable enregistreur d’images et le flagrant délit viennent apporter le baume augurant l’espoir d’en découdre.
Le chef de l’Etat vient, depuis sa célèbre marche contre la corruption en 2007 et la parution des outils juridiques y afférents en 2011, de limoger trois hauts fonctionnaires pour raison de corruption ; certains pris la main dans le sac. L’événement est de taille et suscite réflexions. De prime abord l’action mérite d’être saluée et le Chef d’Etat d’être encouragé ; en effet limoger des collaborateurs si proches de soi, n’est pas chose aisée. Nous devons par ailleurs reconnaître que nous sommes tous moralement responsables et comptables dans cette situation parce que nous avons fini par accepter l’esprit de corruption ; nous nous y adonnons même sans plus de scrupule et à qui mieux mieux. Alors ne nous gaussons pas de ce qui frappe nos compatriotes aujourd’hui dans la gêne morale. Cela n’arrive pas qu’aux autres et chacun de nous devrait battre sa coulpe ; aussi est-il bon pour la gouverne de notre société de chercher à mieux comprendre pourquoi des compatriotes de si haut rang se sont comportés ainsi.
Les possibles raisons des agissements des mis en cause
Il est vrai qu’un crime demeure un crime quelque soit le rang de la personne qui le commet et les explications qu’on lui trouve ; les compatriotes ont payé le prix administratif de leur forfait; il leur reste à en payer le prix pénal mais aussi le prix moral pour le mal qu’ils ont fait au peuple en s’appropriant l’argent qu’il lui reviendra de payer en définitive.
Que ces trois cadres aient reçu des ‘’ dessous de table’’ ne nous émeut ni ne nous révolte outre mesure parce qu’ils ne sont pas les seuls à avoir commis tels actes indélicats dans le pays; au demeurant les médias se sont accordés pour ne pas dire du mal d’eux. Alors pourquoi ont-ils donc réclamé ces ‘’ dessous de table’’ à un promoteur pour faire avancer un projet de développement dont le pays a besoin ? Est-ce par mauvaise gouvernance en raison du défaut d’un cadre juridique qui prévienne et réprime la corruption ? La réponse est non. Nous avons actuellement une loi contre la corruption même si pour des raisons administratives, l’Autorité nationale de lutte qui devra suivre son application n’a pu encore être constituée. Est-ce en raison de la faiblesse de nos institutions qui ne prescriraient pas que les fonctionnaires rendent des comptes à leurs supérieurs hiérarchiques ? La réponse est non ; notre administration est bien structurée. Encore que la procédure utilisée, une communication orale, pour introduire en Conseil des Ministres, l’important dossier ayant fait l’objet de pot-de-vin, n’a pas été classique comme il se devait. Est-ce pour insuffisance de salaires ? La réponse est de toute évidence et sans conteste, non compte tenu du salaire moyen du béninois. Alors pourquoi donc ont-ils agi de sorte ? Est-ce conséquence de la perversion des valeurs morales ; est-ce par lucre ? Certainement oui. Et c’est ici, qu’à notre sens, se trouve sinon le fondement du moins la base de la corruption qui sévit sur l’ensemble du territoire national ; qui pervertit nos valeurs et fait de la perversion un héritage national transformant notre pays, entre autres, en un havre d’enrichissement libre, illicite et sans cause.
Les différentes facettes de la corruption dans notre pays
Des fois la nature fait bien les choses et il est symptomatique que le cas de corruption sur la sellette ces jours-ci, coïncide avec la révolte et la grève des transporteurs pour ras- le-bol des rackets des policiers. La coïncidence est significative en ce sens qu’elle illustre, à notre sens, les deux types de corruption qui ruinent notre vie. En matière de corruption dans l’administration publique, il convient en effet de faire la distinction entre la grande et la petite corruption. Cette différentiation n’est pas fonction du montant des sommes engagées ; elle est plutôt fonction de leur ampleur dans l’espace et de leur couverture en terme territorial. La grande corruption se pratique sur une grande échelle ; disons sur l’ensemble du territoire national. Ce type de corruption est lancinant, solidement axé sur un objectif précis et constamment le même ; organisé méthodiquement avec, dit-on, dans l’ombre des commanditaires et en surface des commandités qui font le job de collecteurs. Cette corruption n’engage pas de gros montants à la fois mais elle est quotidienne et permanente ; elle s’est faite un travail. Elle ratisse large; sa cible c’est l’ensemble des citoyens et elle se pratique en tous points du territoire. C’est bien cela le visage de la corruption fondamentale qui gangrène notre pays, qui entretient l’esprit de corruption et dont nous ne mesurons plus l’impact sur toutes choses que nous faisons et entreprenons tant elle nous colle à la peau.
De l’autre côté, la petite corruption dont la petitesse n’est pas, tant s’en faut, en corrélation nécessaire avec le montant versé ; elle peut porter sur de petits comme sur de gros montants. Elle est bureaucratique ; elle met généralement en scène deux individus. En effet au niveau de cette catégorie de corruption l’on peut distinguer entre la corruption active qui est le fait du corrupteur et la corruption passive qui est le fait de celui qui accepte ce qu’on lui donne : il y a donc deux acteurs. Le corrompu agit généralement pour son propre et seul compte. Ses objectifs peuvent varier mais ils sont de même nature ; Cette corruption de bureau est généralement occasionnelle et sporadique ; elle n’est pas quotidienne et elle n’est pas systématique. Elle est spectaculaire parce que souvent médiatisée.
Dans les deux cas les agents utilisent leur position officielle pour accroître leur bien-être personnel aux dépens de celui de la collectivité. Ainsi corrompus, ils considèrent leur fonction comme un patrimoine dont il use à leur guise en utilisant pour y parvenir les règles publiques conçues pour un fonctionnement normal de l’administration, s’en servant comme instruments de chantage. Il n’est plus un secret pour personne que dans notre pays l’enrichissement illicite est la chose la plus courante et la mieux partagée. Il n’est plus un secret que des compatriotes mènent un train de vie qui jure avec la rémunération du travail qu’ils font ou qu’ils ne font pas et qu’ils engagent des dépenses que ne peuvent justifier leurs salaires. Nous savons aussi que des étrangers viennent se la couler douce chez nous et y vivent en toute tranquillité des forfaits qu’ils ont commis chez eux ou ailleurs, renforçant eux aussi l’esprit de corruption chez nous. Nous avons connaissance de toutes ces choses-là mais aucun compte n’est demandé à personne ; nous laissons ainsi la perversion s’installer insidieusement et gagner sûrement les esprits. C’est tout cet environnement corruptif qu’il convient d’assainir si nous voulons rétablir les valeurs morales sur l’ensemble du territoire : c’est une affaire de stratégie de lutte contre un fléau national.
Une stratégie de lutte contre la corruption.
Ainsi que nous la qualifions plus haut, la grande corruption, la routière, est un phénomène à large rayon d’action ; qui en raison de sa répétition et de son insertion dans notre vie de tous les jours est devenue banale, d’une telle banalité qu’elle a fini par faire corps avec notre quotidien. Et nous ne savons plus comment nous en départir alors qu’elle nous affecte si profondément à chaque instant ; c’est elle qui induit et entretient la petite corruption, la bureaucratique. S’il faut s’attaquer à quelque chose d’abord ; c’est bien à cette corruption routiere-là. L’on s’en prend au mal par la racine si l’on veut vraiment le détruire pour de bon.
Visiblement les autorités de notre pays y compris sous le régime militaire ont toujours eu maille à partir avec ce type de corruption de tous les jours et de tous les instants. Pourquoi donc en est-il ainsi ? Est-ce parce qu’elle implique les de forces de l’ordre et qu’on craint que leur réaction mette en péril la stabilité politique du pays ; ou est-ce, ce qui revient au même du reste, en raison de la puissance des commanditaires puisque la rumeur et la vérité de société qui en a découlé nous apprend qu’ils existent effectivement ? Si c’était le cas, et si cette vérité de société devenait vérité tout court, ne vaudrait-il pas mieux, prenant acte de l’impuissance de la puissance publique à contrer le mal de front, entrer en négociations avec ses auteurs et régler le problème de façon définitive. Peut-être pourrait-on leur attribuer, à eux mais aussi à leurs acolytes collecteurs, une prime spéciale toujours justifiable d’autant que la corruption qu’ils pratiquent est trop grave pour la laisser en l’état et que, tout bien pesé, la prime qu’on leur accorderait reviendrait probablement moins chère à l’Etat que les dégâts que leurs forfaits causent aux usagers de la route et à la Nation toute entière ; socialement et économiquement. Ce serait un moindre mal.
Socialement, il faut bien dire que cette grande corruption est de l’extorsion c’est-à-dire que l’argent est obtenu par la coercition. En effet elle a ceci de spécifique qu’il n’y a pas volonté d’un corrupteur ; le corrompu procède de son propre chef par rançonnement c’est-à-dire par la contrainte en détournant délibérément à son propre profit les procédures administratives régulièrement établies. C’est tout simplement du vol autant proscrit par la loi et la coutume que par la morale et la religion ; du vol style Al Capone à peine plus policé. C’est ce type de corruption qui entretient l’esprit de corruption généralisé dans le pays et qui fait le lit de la corruption bureaucratique qui a emporté les trois hauts fonctionnaires : l’on devrait s’en rendre compte afin d’engager la lutte par tous les moyens contre cette corruption des routes. Economiquement, elle fait monter les prix des produits de consommation courante et affecte discursivement le panier de la ménagère puisque le vendeur est contraint de répercuter sur le prix de vente le montant qu’il a dû payer au titre de la corruption routière et dont le consommateur devra faire les frais en dernier ressort. Et de tout cela nous faisons semblant de ne pas nous en apercevoir ; nous faisons la politique de l’autruche ; les syndicats aussi, qui au lieu de se cantonner dans le seul vieillot rôle de défense des salaires nominaux et aussi de flirter avec les politiques feraient bien mieux d’apporter leur contribution pour éradiquer ce mal qui ruine les salaires et le bien-être des citoyens.
En tout état de cause il se fait que, sans le faire exprès, les syndicats des transporteurs viennent de donner un coup de pouce aux Autorités pour lutter contre cette corruption par leur révolte et leur récente grève. Ces dernières devraient en tirer le meilleur parti pour contrer le mal. L’occasion est trop belle pour ne pas la laisser passer ; la pression des syndicats sur les autorités devrait être considérée par elles comme un atout pour frapper fort cette corruption routière. Les syndicats sont, pour la circonstance et pour une fois, devenus leur meilleur allié ; leur grève a sonné comme un coup de semonce. Si les Autorités ne se saisissaient pas de cette occasion pour donner le coup de grâce à la grande corruption routière, elles commettraient une grave erreur stratégique par défaut.
Nécessité de poursuivre la traque dans la foulée?
Pour revenir au limogeage des trois hauts fonctionnaires par le Chef de l’Etat, d’aucuns pensent qu’il devrait se saisir de l’occasion pour enfoncer le clou et procéder à une vaste opération de nettoyage de son administration environnante. Sans prendre le contre-pied de cette façon de voir, nous aimerions seulement attirer l’attention sur le fait qu’il conviendrait d’éviter la chasse aux sorcières. Les mêmes qui demandent aujourd’hui au chef de l’Etat de procéder rapidement à une épuration systématique autour de lui et dans l’administration en général, lui reprocheront demain de distraire le peuple pour occulter les problèmes économiques que nous connaissons sans compter qu’il faut craindre un véritable séisme si les choses se passaient trop rapidement. Il vaudrait mieux y aller précautionneusement. De toute façon le chef de l’Etat a la faculté de nommer et de démettre de ses fonctions de Conseillers ou de Ministres qui et quand il veut sans aucune accusation préalable ni justification. Peut-être devrait-il user de ce droit régalien pour faire bon ménage autour de lui dès à présent et éviter ainsi des scandales toujours possibles ? Un chef d’Etat n’est ni enquêteur ni juge et il convient d’éviter la confusion des genres ; à chacun son métier donc.
L’obligation de réserve des anciens Conseillers et Ministres en question
Nous nous sommes senti conforté dans cette position après avoir suivi sur une chaîne de télévision le point de presse d’un haut responsable de ce pays pour avoir été candidat à la présidence de la République, soutien politique et ancien Conseiller du Chef de l’Etat, nous dire entre bien d’autres choses, qu’il y avait péril en la demeure. Il nous a fait part de ses craintes sur la révision de la LEPI ; il a stigmatisé avec beaucoup de fermeté ceux qui visent des buts contraires aux fondamentaux de la Conférence nationale sous le couvert de la révision de la Constitution et il a insisté sur la nécessité d’une procédure consensuelle. Autant de sujets devenus lieu commun. Mais, séisme déjà, il a révélé au béninois qui ne fait déjà pas trois repas par jour, qu’a la présidence de la république, il se trouve des personnes qui ne font pas dans la dentelle et qui s’enrichissent à coups de milliards de nos francs forcément avec l’argent du contribuable. Si le conférencier est sincère , ce dont nous n’avons à priori aucune raison de douter ; si c’est vraiment ainsi que les choses se passent à la présidence de la République ; s’il est confirmé que des personnes que le Chef de l’Etat a appelé auprès de lui pour l’aider à gérer le pays sainement, s’adonnent à des choses de cet acabit , alors que Dieu nous garde et qu’il lui donne la force et le courage nécessaire de commencer par faire le ménage autour de lui à son rythme ; de cela il n’a de compte à rendre à personne.
Nous disons depuis un certain temps déjà, – peut-être jetons-nous un pavé dans la mare ou prêchons-nous dans le désert- qu’il serait indiqué que les Conseillers auprès du Chef de l’Etat prêtent serment à leur prise de fonction. L’incident qu’ont généré les déclarations de l’ancien Conseilleur du Chef de l’Etat et l’interpellation qui en a suivi nous amène à la réflexion suivante. Dans l’état actuel des textes, sauf ignorance de notre part, la liberté d’expression ne souffre statutairement d’aucune limitation si ce n’est l’obligation de réserve, de discrétion et du secret professionnel imposée aux agents de l’Etat en fonction dans l’administration publique. A notre entendement, il n’y a dans notre arsenal juridique aucun texte qui porte limitation de la liberté d’expression aux anciens collaborateurs du Chef de l’Etat. Alors nous ne voyons pas bien pourquoi le commissariat s’est mêlé de cette affaire et nous n’avons pas la moindre idée de ce que le procureur de la république a pu reprocher au Conseiller en question à moins qu’une plainte motivée ait été déposée en bonne et due forme à son encontre. En l’absence de texte en la matière, il parait loisible à ces messieurs, anciens Conseillers et Ministres, de tirer ou non avantage de ce dont ils ont eu connaissance au cours de leur passage à la présidence de la république à des fins qui leur sont propres. Le reste est affaire de fair-play, de courtoisie et de bon jugement dépendant des intérêts du moment dont nous ne saurions juger de la légitimité. Au demeurant, nous avions pensé que le droit de réponse exercé de fait par le Conseiller économique en fonction actuellement auprès du Chef de l’Etat pouvait suffire à équilibrer le jeu puisqu’il s’agissait d’affaire à caractère plus politique que juridique. Il faut reconnaître par ailleurs que l’ancien Conseiller du Chef de l’Etat n’a rien révélé dont la population ne se doute déjà et dont il a tout bonnement constitué sa vérité de société sur la foi des rumeurs largement entretenues. De plus il se fait qu’en parcourant le texte de la loi n° 2021-20 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en république du Bénin nous avons pu constater que le chapitre XII était intitulé : «De la protection des dénonciateurs, témoins, experts et victimes» Il stipule en son article 31 que : «les dénonciateurs…. bénéficient d’une protection spéciale de l’Etat contre les actes éventuels de représailles ou d’intimidation» Le commentaire nous parait superflu. Honnêtement et objectivement, pensons-nous, ce que l’on pourrait objecter à la sortie de Monsieur le Conseiller c’est certainement d’avoir pris le chef d’Etat à témoin des mauvais comportements de ses collaborateurs.
En tout état de cause, c’est pour éviter le renouvellement de tel incident que nous nous pensons qu’outre la prestation de serment en début de fonction, il serait judicieux que des textes soient pris pour convier les anciens Conseillers du Chef de l’Etat et aussi les anciens Ministres à la réserve ; des textes qui prescrivent un temps où ils ne pourront pas faire des déclarations publiques en relation avec des sujets sensibles et délicats dont ils auraient eu connaissance dans l’exercice de leurs fonctions à ce poste stratégique et hautement politique. Ce temps sera celui qui restera à la magistrature suprême qu’ils auront servie pour épuiser son mandat. En d’autres termes ils ne pourront pas faire des déclarations publiques relativement à ce qui se passe à la présidence de la république tant que le Chef de l’Etat qu’ils auront servi sera encore en fonction. Il s’agirait donc d’une limitation ponctuelle de la liberté d’expression pendant un temps bien déterminé pour raison d’Etat. La disposition n’affecte en rien le principe de la liberté d’expression auquel nous tenons comme la prunelle de nos yeux, mais relève plutôt de la discrétion professionnelle, du devoir de retenue et de la responsabilité politique qui sont les règles d’or de toute administration et qui ne peuvent s’éteindre complètement et immédiatement avec la cessation de la fonction politique de Conseiller ou de Ministre. Cela, naturellement sans préjudice de toute déclaration et de tout propos qu’ils pourront être amenés à faire ou à tenir après le mandat de celui qu’ils auront servi. Peut-être devrait-on légiférer en ce sens, en bonne et due forme, pour éviter le cas échéant, toute dérive et tout arbitraire dans un sens comme dans l’autre. L’aspirant au poste de Conseiller devrait en connaître les conditions à savoir : la formalité du serment à sa prise de fonction et l’obligation de réserve pendant un temps déterminé suivant la cessation de ses fonctions. Si une législation en la matière paraissait trop privative de liberté d’expression, peut-être pourrait-on se contenter d’un engagement écrit à s’y conformer. L’intéressé connaîtra alors la règle du jeu dès le départ et s’engagera à la respecter en toute connaissance de cause et en toute liberté.