Liberté de presse sous surveillance

Quand, il y a quelque temps, le Président de la République, à l’occasion de la fête du premier aout, s’est permis d’affubler ses opposants de noms d’oiseaux, personne n’a vu, ni entendu la Haac réagir. 

Quand, au cours du même entretien, le Chef de l’Etat a menacé de provoquer un affrontement entre les «siens» et les supposés partisans du camp adverse, aucune action n’a été entreprise par l’institution. 

Quand, quelques jours plus tard, Lucien Médjico a promis de faire jeter au large ceux qui osent apporter la contradiction à son champion, on n’a pas enregistré non plus une indignation conséquente de l’instance de régulation. Le même Médjico, qu’il nous souvienne, avait promis, voici deux ans, un sort identique aux syndicalistes teigneux. L’organe de veille des médias ne s’en était pas ému pour un clou. Il ne s’agissait même plus seulement de menaces à la paix et à la cohésion nationale dont la présumée «tête de Turc» s’était rendue coupable, mais de menaces de mort proférées en direct sur des personnalités. Dans un pays dit de droit, le Procureur de la République aurait été inspiré d’instruire un procès contre l’intéressé.

Or, pour moins que ça, la Haac s’était fendue en communiqués, distribuant des mauvais points aux médias coupables, à ses yeux, d’écarts et de manquements à la déontologie. Il est vrai, aussi évident que le pape est mortel, que beaucoup de nos journaux s’autorisent des intrigues bien compromettantes contre la profession. Accusations mensongères, dénonciations calomnieuses et tutti quanti. Mais, à chaque fois que surviennent les dérapages du genre de Médjico et cie, la réaction de la Haac a été inexistante ou, à la tout le moins, complaisante. Mais ce qui est encore grave, c’est le silence plat observé devant les propos si inflammables du Président de la République, surtout lorsque celui-ci s’en est pris à ces «petits» – entendez les journalistes de Canal 3 – qui, tous les matins, scannent ses actions et lui passent le savon. On me répondra que face au Chef de l’Etat, la posture des Conseillers était délicate, qu’il aurait été difficile de leur part de s’attaquer à l’institution puissante qu’est le Président, celui-là même qui a mis à leur tête un de ses affidés. Mais il aurait fallu, pour la crédibilité de l’instance de régulation, une réaction en demi-teinte, voire une condamnation de principe fut-ce en litotes ou en langage de velours. Pour équilibrer les choses. Eviter surtout la remarque de deux poids, deux to’ngolos.

Heureusement qu’il a fallu le cas Candide Azannaï. Lorsque le député fougueux a «osé» jeter ses pieds dans le plat de la mouvance présidentielle en s’attaquant vertement aux propos du Chef de l’Etat, la machine à produire du bruit de la FCBE s’est emballée, accusant l’impétueux honorable de tous les péchés. Invectives, propos haineux et anathèmes. Comme d’habitude, ils n’y allèrent pas du dos de la cuillère à manioc. J’attendais des arguments de poids sur les accusations et les attaques en règle agitées par le bouillant député. Mais personne n’a été capable de lui apporter une contradiction de fond. Seules les agressions personnelles ont remplacé ce qui devrait alimenter le débat démocratique. Par médias interposés, les deuxième et troisième couteaux des partisans du locataire de la Marina ont donné libre cour à une vendetta verbeuse. Et c’est à ce niveau que le communiqué de la Haac est venu non pas régler les choses, mais les envenimer. Car, s’il parait, sous certains aspects, fort justes, il laisse en suspens des questions que je me pose depuis un certain temps sur l’institution de régulation et le rôle que la Constitution lui attribue.

Quelles sont les limites des interventions de la Haac dans les médias publics? Quelle est la frontière entre les faits rapportés, les commentaires et les mots «attentatoires à la liberté et à la cohésion nationale» que l’instance de régulation a tendance à utiliser pour agiter l’épouvantail de la répression?

La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 dispose en son Article 24 que «la liberté de la presse est reconnue et garantie par l’État. Elle est protégée par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication dans les conditions fixées par une loi organique». Cette loi organique avance fort justement en son Article 5 que la Haac se doit «de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse ainsi que de tous les moyens de communication de masse dans le respect de la loi».

Le déséquilibre observé entre la majorité présidentielle, l’opposition supposée et ceux qui veulent exprimer une parole libre, ce déséquilibre, dis-je, est à mille lieues de cet esprit. Un nouveau couac à mettre au passif de la Haac. Des couacs de plus en plus récurrents.

Pendant que d’autres que nous imitons cherchent à sortir cette infraction de leur droit positif, évitons de dire de cette infraction ce qu’elle n’est pas. Il y va de l’intérêt et la sauvegarde de l’Etat de droit en construction au Bénin.

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