Moïse Lalèyè, professeur de Droit public et sciences politiques à l’Université d’Abomey Calavi revient sur la question de la prise en compte ou non de la liste électorale permanente informatisée (Lépi) pour les prochaines échéances électorales.
Dans la présente communication présentée en Août dernier devant les cadres et militants du Prd, il examine dans tous ses aspects les insuffisances de cet instrument qui fait couler beaucoup d’encre et de salive.
Introduction
Au Bénin, si avant-hier affirmer l’inexistence de la LEPI au regard non seulement de la loi, mais encore de la rationalité des faits, relevait d’un combat d’arrière garde d’adeptes invétérés de tripatouillages électoraux ou de l’activisme de mauvais perdants acculés par l’instauration de la norme fondatrice de consultations transparentes, régulières, libres, fiables et crédibles dans notre démocratie revitalisée.
A tout le moins, une telle déclaration tenait pour les champions du K.O d’une digression de citoyens artistes de fictions de mauvais aloi. Seulement, depuis hier, et davantage aujourd’hui, il se confirme pour tous l’inexistence légale, matérielle, et technique de la liste Electorale Permanente Informatisée (LEPI), tant au sens de la loi qu’à l’aune du dispositif technique, contrairement à ce qui est soutenu depuis 2011.
Dans tous les cas, le caractère inachevé ou imparfait de cet instrument opérationnel garant, de la régularité, de la transparence et du crédit des consultations nationales et locales en République du Bénin fait désormais l’unanimité au sein de l’opinion nationale et internationale.
Du reste, sous l’emprise d’une dure réalité, les chantres de l’existence ou de la bonne qualité de la LEPI réalisée en 2011 dans notre pays sont contraints d’admettre désormais la vacuité et la facticité de leur thèse. Pour autant, refusant l’implacabilité de la vérité, les thuriféraires d’une LEPI incontestablement dévoyée entreprennent actuellement non sans grossièreté un repêchage voué évidemment à l’échec.
A l’œuvre d’une telle expédition, en avant-garde, le bureau de l’Assemblée Nationale a nommé une commission chargée de suggérer in fine des corrections et d’autres mesures de sauvetage en vue de faire revivre une liste électorale, dont l’illégitimité ressortit au règne de la vulgarité quotidienne pour tout citoyen ordinaire de notre pays.
Aussi est – il proposé au peuple béninois, depuis quelques semaines une opération de confiscation par le bureau du parlement d’une hypothétique correction de la LEPI 2011. Dans un tel contexte, quel crédit peut-on accorder à une telle initiative exclusive d’un bureau monocolore et dont l’aplatissement au pouvoir en place est du domaine de la banalité ?
Mais, en réalité quelle correction prévoit-on lorsqu’on ne peut contester l’inexistence de cette LEPI ? Au demeurant, l’intangibilité matérielle de la LEPI visiblement inachevée autorise-t-elle une quelconque correction ? Que veut-on actualiser ?
Notre présente communication apportera des réponses idoines à ces différentes et très préoccupantes interrogations. Aussi s’articulera-t-elle autour des deux points ci-après à savoir ; (I) l’inexistence avérée de la LEPI et (II) ses conséquences
I- De l’inexistence avérée de la LEPI
D’emblée, il convient d’observer que l’inexistence de la LEPI s’établit au double niveau légal et matériel et technique. Aussi, en abordant cette rubrique de notre exposé est-il utile de rappeler la définition de la LEPI comme disposée successivement par l’article 3 de la loi n°2009-10 du 13 mai 2009, portant organisation du Recensement Electoral National Approfondi (RENA) et Etablissement de la Liste Electorale Permanente Informatisée (LEPI)( ) et l’article 4 de la loi n°2012-33 du 07 janvier 2011 portant règles générales pour les élections en République du Bénin( ). Ainsi, il est exposé à l’article 3 sus cité : « De la liste électorale permanente informatisée :
La liste électorale permanente informatisée est unique et nationale.
Elle est une liste exhaustive avec photo de tous les citoyens en âge de voter.
La liste électorale permanente informatisée est le résultat d’opération de recensement électoral national approfondi et de traitement automatisé d’informations nominatives personnelles et biométriques obtenues sur l’ensemble du territoire national et à l’étranger, dans les ambassades et consulats de la République du Bénin »
Et l’article 4 de la loi portant règles générales pour les élections ci-dessus visée précise : « L’Election a lieu sur la base d’une liste électorale permanente informatisée (LEPI).
C’est une liste unique, exhaustive et nationale avec photo de tous les citoyens en âge de voter. La liste électorale permanente informatisée (LEPI) est le résultat d’opérations de recensement électoral, national approfondi (RENA) et de traitement automatisé d’information nominatives personnelles et biométriques obtenues sur l’ensemble du territoire national et à l’étranger dans les ambassades et consulats de la République du Bénin.
Il existe au niveau de chaque village ou quartier de ville de l’arrondissement de la commune, du département et de chaque représentation diplomatique ou consulat, une liste électorale qui est un extrait de la liste électorale. »
I-1- Au plan légal
Selon le dictionnaire « Exister » : signifie être actuellement en vie, vivre. Par contre et selon le même lexique, « inexistence » se définit comme le défaut d’exister. En droit, c’est la qualité d’un acte juridique auquel, il manque un élément constitutif essentiel. Ceci dit, pour se convaincre de l’inexistence légale de la LEPI, il suffit de se livrer à un exercice de lecture des articles 4, 6, al 1er, 11, 23, 24, 25, 26 27, 28, 29, 30, 31, 32, et 65 etc… de la loi 2009-10 sus visé.
Au terme d’un tel exercice, on va se rendre compte de toutes les exigences légales requises pour la réalisation d’une LEPI conforme aux dispositions législatives en vigueur, fondant ainsi son existence légale, voire matérielle et technique. Aussi, très succinctement entreprenons une revue des dispositions législatives fondatrices d’une LEPI juridiquement existante. Il se dégage donc :
L’article 4 traite des voies correctives normales et légales de la LEPI. Est-Il rigoureusement prescrit : L’apurement – la mise à jour – et enfin la révision de la LEPI. Toute autre procédure corrective est contraire à la loi et nuit à la permanence temporelle de cette liste. A la limite, elle participe d’une fraude à la loi le cas échant.
Quant à l’article 6, il définit le RENA et précise les méthodes et caractéristiques du recensement dans sa finalité consistant à collecter des informations identifiant l’électeur.
L’article 11, au travers de ses dispositions règle la transmission des résultats du recensement à la clôture du RENA. Aussi a-t-il prescrit le reversement de l’intégralité des documents originaux électoraux issus du recensement au centre national de traitement des données électorales, ainsi que l’interdiction de toute détention ou rétention même partielle des documents électoraux par tout citoyen peu importe son rang.
S’agissant de l’article 23 il fixe les étapes de l’opérationnalisation du RENA et prescrit le caractère obligatoire et consécutif des opérations. Cette opérationnalisation exige un rigoureux enchainement desdites étapes selon une articulation intégrative pour une bonne réalisation de la LEPI.
Par conséquent, il est tout à fait impossible de se fendre une procédure contraire sans verser dans une spéculation technico-légale incongrue.
En termes clairs, en mars 2011, et en avril 2011 le peuple béninois a été soumis à des élections en l’absence de la LEPI au sens de la loi.
En conséquence, les articles 24, 25, 26, définissent successivement chacune des étapes opérationnelles obligatoires du processus de la réalisation consécutive du RENA à savoir : – la cartographie censitaire (art 24) – le recensement des citoyens (art 25) – l’enregistrement des électeurs (art 26). Chaque article formule, au soutien, les modalités pratiques et techniques aux fins d’une mise en œuvre idoine de la LEPI à la fin du processus du RENA.
L’article 27 consacre le fichier électoral national et en définit aussi bien les modalités pratiques pour sa constitution, ainsi que ses composantes. La législation ici est tout aussi impérative et ne tolère point une édulcoration technique.
NB : Au sens de la loi, le fichier électoral ne contient pas la LEPI d’autant qu’à cette étape, la liste électorale n’est pas encore générée. La définition du fichier électoral à l’article 1 de la loi est d’ailleurs très édifiante. Autrement dit, la LEPI est le produit d’une application sélective des données contenues dans le fichier électoral.
L’article 28 établit le caractère obligatoire de l’inscription sur la liste électorale. Cette obligation est reprise à l’article 6 de la loi portant règles générales pour les élections et découle de la prescription constitutionnelle de l’article 6 de la constitution béninoise du 11 décembre 1990. En définitive, l’article 28 rappelle au citoyen l’exercice d’un droit fondamental constitutionnellement reconnu.
Quant à l’article 29, il prescrit l’inscription sur la liste électorale. Ce qui implique, à l’application, la génération automatique de la liste après l’exploitation des résultats du fichier électoral national du RENA.
Du reste, la réalisation de cette liste n’emporte plus une intervention personnelle directe du citoyen électeur. Sa présence physique, ou sa participation individuelle n’est plus requise, si tant est que l’électeur avait été non seulement recensé, mais s’est fait enregistré au préalable lors des opérations du RENA.
En ce qui concerne l’article 30 il expose l’obligation légale de l’établissement d’une LEPI provisoire avant toute réalisation de la LEPI définitive. Telle obligation ayant tout à fait son sens s’avère rationnelle et parfaitement justifiée. Il pose une condition préalable substantielle pour un établissement légale de la LEPI. La carence de la LEPI provisoire entraine ipso facto et de jure l’inexistence de la LEPI.
C’est, l’article 31 qui consacre la LEPI dans son établissement légal ainsi que dans sa présentation matérielle, tout aussi légale.
Enfin, l’article 32 prescrit l’obligation de sa publication dans une présentation formelle légale. A défaut, l’on aura une liste électorale qui serait tout sauf la liste permanente informatisée (LEPI) au sens de la loi. Cette obligation renforce les dispositions législatives assurant un établissement transparent et fiable de la LEPI.
Somme toute, nul ne pourra contester aujourd’hui les vices rédhibitoires du processus ayant abouti à l’établissement d’une liste à tout point de vue, illégale, voire illégitime, sans aucune forme d’exégèse.
(La suite dans notre prochaine parution)
Présentée par Oladé O. Moïse LALEYE
Professeur de Droit Public et Sciences Politiques
UAC BENIN