Lionel ou le refus du suicide

« Le procès  Lionel Agbo » a connu son épilogue en première instance mercredi dernier et la décision du juge prévue pour 18h 30  est tombée  aux environs de 19h30 dans cette salle exiguë de la 2ème chambre correctionnelle où l’on pouvait entendre les mouches voler.

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Et comme la nuit tombait sur Cotonou,   le grand  public composé essentiellement de curieux ,  et de quelques syndicalistes, sympathisants peut-être, parents et amis, n’avait même pas remarqué l’absence de l’accusé. Après cette longue attente en effet, l’arrivée  inopinée du procureur Gbènamèto et du juge Togbonon avait  provoqué une petite bousculade : tout le monde voulait entrer dans la petite salle d’audience en même temps. C’est à la sortie de la salle d’audience que quelques syndicalistes ont donné de la voix en dissertant sur «  la dictature rampante et la restriction progressive de la liberté d’expression et d’opinion »  et que certains se sont interrogés sur cette absence. Mais le  grand public lui, s’est dispersé plutôt  dans le calme, partagé entre les sentiments de révolte et de résignation à l’écoute de ce verdict attendu mais que certains avaient cru impossible après la série de plaidoiries magistrales du collège d’avocats qui s’étaient commis  pour la défense de leur confrère: six mois de prison ferme  assortis de 500.000 francs d’amende .Depuis lors, l’avocat politique est activement recherché dit-on,  avec des méthodes pour le moins orthodoxes qui rappellent la période honnie du Prpb de triste mémoire. Le premier magistrat , apprend-on de sources concordantes, serait dans tous ses états et menace de faire tomber les têtes dès son retour de son périple allemand et éthiopien. Depuis aussi, les commentaires vont train sur cette absence et cette disparition subite de Lionel Agbo et certains de l’accuser de « couardise » pour ce qu’ils considèrent comme un acte peu glorieux d’un homme politique qui s’est donné la liberté de critiquer le premier magistrat.

Ce jugement péremptoire à l’endroit de quelqu’un qui na jamais manqué aucune audience paraît un peu trop court et il convient de rétablir la vérité, D’abord ce qu’il faut savoir, c’est que ce procès n’est pas un procès ordinaire. C’est le procès de la liberté de presse et d’opinion  dans un pays qui a choisi la voie de la démocratie pluraliste. C’est bien la première fois depuis le Renouveau qu’un citoyen et  homme politique de surcroît est esté en justice pour offense au chef de l’Etat, après des propos tenus lors d’une conférence de presse publique. De mémoire de journaliste,  c’est bien aussi la première fois que l’attention du juge, du procureur et naturellement de la partie civile est focalisée non pas sur le directeur du media qui a diffusé l’information mais sur l’auteur des propos rendus publics .Ceux qui parlent du procès Lionel Agbo ne savent pas tous de quoi ils parlent. Parce que,  au terme des deux lois qui régissent la presse, la loi 60-12 du 30 juin 1960 largement obsolète sur plusieurs de ses dispositions et la plus récente la 97-010 du 20 août 1997, l’auteur principal du délit de presse c’est le directeur de publication du journal ou le directeur du media audiovisuel. Parce que le but du législateur de 1960 et 1997 qui a fait du copié collé de la loi française de1881 est de punir l’auteur de la diffusion des propos jugés diffamatoires ou offensants. C’est la presse qui est visée par cette loi et c’est toujours les directeurs de media qui sont sur la sellette .Et la loi est claire là-dessus. L’article 97 du chapitre II de la loi97-010 dit expressément : « Seront passibles, comme auteurs principaux, des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par les moyens d’information et de communication audiovisuels dans l’ordre ci-après, à savoir… » De Mémoire de journaliste encore, c’est bien la première fois qu’un juge disjoint la procédure en offense au chef de l’Etat du media diffuseur  de celui de l’auteur des propos diffusés. La première fois que la peine infligée à celui qui n’est que complice (six mois de prison ferme) est supérieure à celle de l’auteur qui n’a écopé  que de trois mois. Il n’est pas certain que ce revirement de jurisprudence en matière de délit de presse fasse jurisprudence car aujourd’hui ce n’est que Lionel Agbo qui est visé.

En vérité, ce procès n’a été que le dernier  épisode d’un scénario concocté dès la fameuse  conférence de presse. Un scénario qui a commencé par l’intervention sur l’une des chaînes privées de télévision favorables au pouvoir de Me Kato Attita, l’avocat des causes obscures. Sur un ton voulu comminatoire il menaçait de représailles tous ceux qui osent critiquer le chef de l’Etat, qui, selon lui, n’est  pas un citoyen comme les autres. Les mêmes propos ont été relayés par le procureur de la république lui-même, lorsqu’il a décidé  de venir siéger en lieu et place de son substitut : « Agbo doit aller en prison aujourd’hui même, disait il à l’audience précédente pour répondre des actes qu’il a posés , parce qu’il a manqué de respect au premier magistrat. Il faut que ça cesse ».dit –il  sur le mode péremptoire . C’est encore lui qui a dit au président du tribunal de poursuivre le procès en dépit des recours en inconstitutionnalité formulés par les avocats,  recours qu’il a traités de «  méthodes dilatoires ».  Il  a laissé la désagréable impression de vouloir en finir au plus tôt avec un procès qui,  de son point de vue traînait trop en longueur. Au demeurant, tout est allé plus vite après sa sortie fracassante. Et le report de la décision du juge à l’audience du mercredi dernier n’était qu’un habillage juridique à la volonté affichée du chef de l’Etat d’humilier Lionel Agbo – une humiliation qui a commencé au commissariat central du commissaire Louis Philippe Houndégnon – et de le jeter  en prison, pour servir d’exemple. Habillage juridique aussi ce dernier tour de parole accordé en fin de matinée mercredi dernier aux avocats de Lionel qui ont démontré  à suffisance que la destruction du dvd de l’émission est une preuve de la nullité du délit d’offense. La messe était depuis longtemps dite ailleurs que dans le tribunal.

Vu sous cet angle, la disparition impromptue de Lionel Agbo apparaît sous son vrai jour. S’offrir pour aller en prison pour un délit aussi douteux que celui de l’offense au chef de l’Etat équivaut à un suicide. Dans un pays où toutes les institutions de  contre pouvoir valsent au rythme  de la seule qui détient les cordons de la bourse de tout notre état, les cordons de toutes les prébendes aussi, où les media sont aux ordres et ne donnent la parole qu’à un seul camp, au détriment de tous les autres , il vaut mieux pour  sa survie tout court se mettre à l’abri en attendant des jours meilleurs. Pour ne pas subir le même sort que les nombreuses personnes de bonne foi maintenues en prison au-delà toute logique  sans jugement  et parfois pour rien,  par un pouvoir qui les a pris littéralement en otage.

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