Du temps où j’étais petit, écolier dans les écoles de base où on distillait à dose homéopathique l’idéologie révolutionnaire, le Président Zinsou passait pour l’ennemi public numéro un de la République. Comme Talon aujourd’hui, c’était l’homme qui conspirait contre la République.
Toutes les occasions étaient bonnes pour le diaboliser. Bon nombre de Béninois, aujourd’hui trentenaires ou plus, produits finis ou inachevés de « l’école nouvelle », devraient se rappeler d’une de ces chansons qu’on nous apprenait avec insistance et qu’on ne cessait de chanter avec frénésie lors de nos animations pédagogiques, en tapant des pieds sur le sol. « Zinsou wa tomiton min, mi nan houi bo djè.. ». Ce qui signifie en français: « Si Zinsou vient dans notre pays, nous allons le tuer et mutiler son corps». Quand vint le temps de la Conférence Nationale, le gouvernement du Général Mathieu Kérékou donna l’amnistie aux Béninois opposés à son régime et qui, pour la plupart, étaient exilés.
Lire aussi : Publication des mémoires du Président Zinsou
Zinsou était de ceux-là. Son retour au bercail se passa sans incident. Curieux, je cherchais à connaître cet homme dangereux qui voulait renverser notre pays par une agression de mercenaires. Je ne le verrai, la première fois, qu’à la télévision, une fois dans la salle où se tenait la Conférence Nationale. Je le retrouverai plus tard lors des élections qui vont suivre, une fois qu’il était en campagne pour une élection législative dont j’oublie l’année. Il était venu dans mon quartier. Je m’approchai de plus près de lui pour le regarder. Il était religieusement calme, regardait tout le monde avec attention, tenait un discours pertinent. Ne maîtrisant rien de l’histoire politique de notre pays à cause de mon âge, je comprendrai plus tard en discutant avec certaines grandes personnes, dont mon père, que le Président Zinsou n’avait pas bonne presse auprès d’eux. Ils le trouvaient trop sévère voire rigoriste. Le Président Zinsou, me disaient-ils, c’est un assoiffé d’impôt. « Il nous pourchassait partout pour nous prendre son impôt. A cause de lui, des gens se donnaient la mort pour éviter la honte née de cette persécution fiscale. D’autres fuyaient leurs maisons et leurs foyers conjugaux », me racontaient-ils. Plusieurs autres personnes, témoins de cette époque, me confirmeront la même chose et reviennent souvent, avec amertume, sur cette façon assez insolite de percevoir l’impôt.
Dans ses mémoires « En ces temps là… », à la page 200, le Président semble s’enorgueillir de cela. « Le Zinsou takuê, l’impôt de Zinsou, je le revendique avec fierté, c’est le devoir réaffirmé de l’Etat, de récupérer l’impôt chez tous les contribuables sans exception, sans favoritisme ». Il restera muet sur la manière dont cet impôt est perçu et ne dit aucun mot d’excuse ni de remord sur cette page sombre de sa présidence. Idem pour l’agression de 16 janvier 1977. Bien qu’il ait reconnu être impliqué et informé de la préparation de ce coup, il est méchant de voir qu’il n’a présenté la moindre excuse aux parents de nombreux Béninois tués dans ce combat contre les mercenaires. On peut aussi s’étonner que l’élection présidentielle de 1968 qui a précédé son arrivée au pouvoir, élection annulée par les militaires, n’ait pas trouvé place dans son livre. En 1963, lorsque Maga fut renversé, s’agissait-il d’un coup d’Etat ou d’un soulèvement populaire? La narration qu’en fait le Président Zinsou nous amène à croire qu’il s’agit là d’un coup d’Etat formel. On peut aussi s’étonner du fait qu’il ait qualifié de « coup d’Etat ». Au terme de ce voyage de près d’un siècle de lecture, on a l’impression que le Président Zinsou a choisi délibérément de « soigner » son image en faisant l’impasse sur les sujets « gênants » de sa longue carrière politique.
Laisser un commentaire