Réforme du Conseil de Sécurité des Nations Unies : otage des enjeux géopolitiques et stratégiques

Vieille de plusieurs décennies, l’idée de réformer le Conseil de Sécurité des Nations Unies, pour la conformer aux nouvelles donnes du monde, peine à se concrétiser. Et pour cause, les enjeux géostratégiques et la peur d’un effet boomerang.

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Pourra, pourra pas? C’est la question que l’on se pose désormais sur la réforme du système onusien, notamment celui du Conseil de Sécurité. Bien que toute la communauté internationale soit consciente de la nécessité de reformer le Conseil de Sécurité des Nations Unies, l’on peine, en effet, à donner vie à cette réforme. Alors que depuis plus de deux décennies, cela fait débat et que des propositions sont faites à ce propos.

De la date de la dernière réforme du Conseil de Sécurité des Nations Unies (1963) à aujourd’hui, le monde a connu assez de changements. Ces changements lui ont donné un nouveau visage.  La fin de la guerre froide a eu pour conséquence le passage d’un monde bipolaire à un monde multipolaire, avec la naissance de nouvelles puissances continentales et régionales. L’avènement de la mondialisation – de l’économie – a eu pour effet l’émergence de nouvelles puissances économiques, aussi bien continentales que régionales. Ces puissances politico-économiques qui pèsent désormais d’un poids important dans la communauté internationale, expriment le désir de devenir membre permanent, avec droit de veto, de l’organe exécutif des Nations Unies. L’Afrique, décolonisée depuis plus de cinquante ans, veut aussi se faire une voix dans le concert des Nations. Pour rappel, le Conseil de Sécurité compte actuellement quinze membres, dont cinq permanents ayant le droit de véto (France, Grande Bretagne, Etats-Unis, Chine, Russie) et dix membres non permanents. Mais au vu de ces nouvelles donnes, le Conseil de Sécurité, dans son ossature actuelle, parait obsolète. Il doit être reformé pour devenir plus légitime et plus représentatif. 

Lire aussi : Nécessité de réformer le Conseil de Sécurité des Nations Unies : le monde évolue, l’Onu doit s’y conformer

Initiatives

Depuis plus de vingt ans, des initiatives sont prises pour réformer le Conseil de Sécurité, avec à la clé plusieurs propositions. Ces propositions sont  portées par différents groupes d’intérêts regroupant plusieurs Etats. Les différents groupes d’intérêts connus jusque là sont, le G-4, «Unis pour le consensus», l’Union Africaine dont le C-10, le L.69 et les «Small Five».

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Le G4 propose l’élargissement du Conseil de Sécurité à dix nouveaux membres dont six membres permanents sans droit de veto et quatre non permanents à partager entre l’Afrique, l’Asie, l’Europe de l’Ouest et l’Amérique Latine.

L’Union Africaine (Ua) réclame, quant à elle, deux sièges permanents avec tous les privilèges y afférant, dont le droit de veto. L’organisation panafricaine suggère aussi cinq sièges non permanents à partager entre l’Afrique, l’Asie, l’Amérique Latine et l’Europe orientale. L’Ua désire élire elle-même les représentants du continent devant siéger au Conseil de Sécurité.

Le groupe «Unis pour le consensus» propose l’élection de vingt membres non permanents pour une période de deux ans. Au niveau des Nations Unies, un processus de négociations intergouvernementales sur la réforme du Conseil de Sécurité a été instauré, et y travaille depuis vingt ans afin de dégager un consensus autour de la réforme.

Le compte rendu de la Soixante-septième session, 38e et 39e séances plénières, du 15 novembre 2012, de l’Assemblée Générale, précise les tendances, les points de consensus et de divergence en ce qui concerne les négociations intergouvernementales.

«Les groupes d’intérêt que sont le G-4, ‘Unis pour le consensus’, l’Union Africaine dont le C-10, le L.69 et les ‘Small Five’, ont dégagé un consensus sur trois points: l’amélioration des méthodes de travail du Conseil, l’attribution d’une ‘présence permanente’ à l’Afrique et l’augmentation du nombre des membres non permanents», informe ce document du département de l’information des Nations Unies. Avant de faire savoir que  «Les divergences persistent sur l’augmentation et l’attribution des sièges permanents.  Le G-4, à savoir l’Allemagne, le Brésil, l’Inde et le Japon, réclame pour chacun de ses membres un siège permanent, alors que l’Union Africaine, à travers son Comité des Dix pays  (C-10), en veut deux avec droit de veto.  Si le Pakistan, membre d’«Unis pour le consensus», comprend la revendication africaine, il s’oppose par contre à celle du G-4, car contrairement à l’Afrique qui est ‘un cas à part’, les autres pays réclament un siège permanent à titre individuel. ‘Unis pour le consensus’ propose plutôt la création d’une catégorie de sièges non permanents dotés d’un mandat plus long que les deux ans actuels, mais pas au-delà de six ans. Le L.69, dont la Jamaïque s’est faite aujourd’hui le porte-parole, réclame un siège non permanent exclusivement réservé à un petit État insulaire en développement alors que l’Ukraine a dit ne pas voir comment une réforme serait légitime si elle ne prévoit pas un autre siège non permanent pour les pays d’Europe orientale.» 

On retiendra aussi de ce communiqué, que les délégations réclament un texte de concis et assorti d’un calendrier raisonnable. Mais jusqu’à quand?

Mission impossible?!

«Les huit réunions tenues sur la réforme ne nous ont menés nulle part.  À bien des égards nous sommes encore plus divisés qu’il y a 20 ans, puisque nous ne sommes même pas capables de nous entendre sur la forme d’un nouveau Conseil. (…) Nous pouvons choisir de continuer ce jeu politique ou commencer de vraies négociations avec un texte réaliste et un calendrier raisonnable.» Ainsi s’exprimait le Représentant permanent de la Malaisie aux Nations Unies, Hussein Haniff, sur la lenteur de la réforme. Ses propos sont cités dans le rapport du Conseil de Sécurité (a/67/2) sur la question de la représentation équitable au Conseil de Sécurité et de l’augmentation du nombre de ses membres et questions connexes. 

Cet avis de  Hussein Haniff témoigne bien du ras-le-bol de certaines chancelleries quant à la lenteur et le manque de volonté politique réelle, observés dans la réforme du Conseil de Sécurité. Une réforme qui se heurte en réalité à nombre d’obstacles que la réelle volonté de réformer aurait permis de surmonter, à entendre Hussein Haniff.

Le premier obstacle à la réforme du Conseil de Sécurité est l’opposition de certains membres permanents actuels à toute idée d’élargissement du nombre de pays possédant le droit de véto. Le droit de véto permet aux pays qui le possèdent, de maintenir leur hégémonie sur l’ordre international. L’Elargir à d’autres Etats aura comme conséquence, la réduction de la sphère de puissance de ces pays dans certaines régions. Il y a donc l’expression d’une certaine jalousie, un certain conservatisme sur la question de la possession du droit de véto. Au niveau des cinq membres permanents actuels du Conseil de Sécurité, on accepte l’idée de la réforme tout en s’opposant à un éventuel élargissement du nombre de pays membres possédant le droit de véto. Il y a aussi, à leur  niveau, la peur de céder une partie de leur puissance à des Etats dont ils pourraient perdre totalement le contrôle. Surtout que ces pays sont aussi dans une quête perpétuelle d’opportunités pour devenir des puissances géostratégiques de leur région. 

Ils se mangent le nez

L’autre obstacle, c’est la ruée vers le Conseil de Sécurité, qui suscite, de facto, une rivalité entre les potentiels futurs membres de l’organe exécutif des Nations Unies. Réformer le Conseil de Sécurité en lui donnant plus de légitimité et de représentativité, revient à l’ouvrir aux puissances régionales des différents continents. Mais, là où le bas blesse, sur cette question, c’est qu’il existe des rivalités entre ces puissances régionales qui n’arrivent pas, en fait, à s’accorder sur le choix du pays qui va les représenter. Chacun veut avoir un siège permanent au sein du Conseil pour confirmer et affermir son leadership régional et devenir un acteur géostratégique important. Et cette rivalité entre ceux-là même qui exigent la réforme, freine la concrétisation de cette réforme.

Dans son article intitulé «Conseil de Sécurité: les difficultés de la réforme» paru dans  «Journal International.fr» du 19 février, Mehdi Rais a donné quelques exemples de ces rivalités. Il expose : «Cette rivalité peut être d’ailleurs constatée à travers la candidature de l’Afrique du Sud à représenter l’Afrique dans un éventuel nouveau Conseil de Sécurité. Une telle candidature a reçu immédiatement un refus catégorique de la part de l’Egypte ou du Nigeria qui s’estiment plus légitimes d’appréhender ce privilège.»

«Il en est de même, poursuit-il, en Amérique Latine où l’appel du Brésil à siéger de manière permanente au Conseil de Sécurité, n’a guère été apprécié par l’Argentine et le Mexique qui refusent, tous les deux, de voir leur influence rétrogradée, face à la croissance de l’hégémonie brésilienne dans la région.»  Situation identique entre l’Inde et le Pakistan en Asie

A propos du dernier cas, Mehdi Rais fait constater : « En outre, subsiste également la rivalité entre le Pakistan et l’Inde, qui frôle parfois les limites de la rupture diplomatique; de ce fait, il est prévisible de voir chacun des deux pays contester la candidature de l’autre à un siège permanent au Conseil de Sécurité.»

Ce qui est tout heureux déjà, c’est le fait que tous les Etats des Nations Unies, quel que soit leur statut, sont conscients de la nécessité et l’impératif de réformer le Conseil de Sécurité. Et il faudra le faire pour donner tort à l’ancien président Français, le Général Charles De Gaule, qui affirmait que l’Onu n’était qu’un «machin» dénué de tout pouvoir et de toute capacité d’agir tout en étant représentative du «monde libre»!

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