Le régionalisme, en tant que mode de pensée et principe d’action, est-il devenu une réalité au Bénin ? La question mérite d’être posée et débattue sans faux-fuyant, car comme le dit un adage on ne peut cacher le soleil avec son petit doigt.
C’est pourquoi il faut saluer deux réactions enregistrées la semaine écoulée face à ce phénomène, et dont La Nouvelle Tribune s’est fait l’écho. Il s’agit de la réflexion de l’abbé Alphonse Quénum parue dans l’édition du vendredi 19 Juillet 2013 sous le titre « De la tribalité normale au régionalisme dangereux : il vaut prévenir que guérir. » ; et de la conférence-débat sur la question organisée par la JCI-Bénin sur le campus universitaire d’Abomey- Calavi. Dans les deux cas, les Béninois sont interpellés pour sortir de leur attitude passive devant un phénomène pernicieux dont les conséquences sur l’unité nationale et la cohésion sociale se font de plus en plus sentir.
La conférence-débat de la JCI-Bénin s’est fixé l’objectif de «creuser un abcès en excroissance au Bénin » comme l’indique le titre du compte-rendu qui en a été fait dans la parution de la Nouvelle Tribune du lundi 20 Juillet 2013. Et pour ce faire deux enseignants universitaires ont été choisis pour introduire les réflexions. L’assistance composée en majorité d’étudiants, de militants associatifs parmi lesquels plusieurs responsables d’organisations de la Société civile, a eu l’occasion de mettre en exergue quelques manifestations patentes du régionalisme au sein de la société béninoise. Et la plupart des intervenants ont insisté sur l’acuité du phénomène au cours de ces dernières années. Constat gravissime souligné par plus d’un : le régionalisme est en train de s’ancrer du fait de pratiques initiées et/ou encouragées à partir du sommet de l’Etat !
Un mal aux origines lointaines
Dans sa réflexion l’abbé Quénum a tenu tout d’abord à souligner le caractère légitime du sentiment ethnique, voire des comportements visant à faire valoir son appartenance à une communauté sociolinguistique spécifique de son pays. Puis, il s’est étendu sur les manifestations du régionalisme comme il le constate depuis un certain nombre d’années. Dans les propos, les comportements, les attitudes de ses compatriotes d’une part, et d’ autre part dans les décisions et actes des responsables au plus haut niveau de l’Etat. L’homme d’ Eglise et aussi intellectuel de très haut rang- Recteur émérite de l’ Université catholique de l’ Afrique de l’ Ouest( Ucao) – est plus qu’un observateur averti de l’ évolution politique et sociale de son pays . En effet, son engagement citoyen lui a couté une dizaine d’années de prison pendant la période militaro-marxiste de l’histoire du Bénin. Son itinéraire donne alors un relief particulier aux constats qu’il soulève lorsqu’il écrit : «j’éprouve comme un besoin de partager avec tous mes frères( béninois)l’écho de mes convictions fortes , autant que la fragilité de mes intuitions pour un vivre-ensemble moins aléatoire dans la maison commune Bénin . »
En réalité, ce n’est pas d’aujourd’hui que des intellectuels de ce pays ont estimé qu’il impératif de porter le débat sur les dangers du régionalisme sur la place public. Parmi eux, Guy Landry Hazoumè, de regretté mémoire. Son livre « Idéologies tribalistes et nations en Afrique : le cas du Dahomey »aborde le problème dès la fin des années 1960 et début 1970, alors que le pays était de façon cyclique confronté à des troubles et agitations sociopolitiques débouchant toujours sur des coups d’Etat militaires. Pour l’auteur, la cause de cette situation doit être cherchée dans la manière insidieuse dont les acteurs de la vie politique font appel à des sentiments d’appartenance tribale pour se positionner auprès des électeurs. Quelques mois avant sa mort en Septembre 2012 , Guy L. Hazoumè exprimait son volonté de faire une nouvelle édition de son ouvrage à la lumière de ce qu’il considérait comme des développements inquiétants du phénomène sur lequel il attirait l’attention quelque quatre décennies plus tôt.
Les quotas et la Charte des partis en question
Dans le texte de l’abbé Alphonse Quenum , comme au cours des débats après le communications qui meublé la conférence-débat de la JCI-Bénin ,beaucoup de propositions ont été faites pour éviter aux Béninois d’ avoir à vivre les conséquences négatives du régionalisme, si on le laisse se développer dans la pensée et les actions des uns et des autres. Parmi ces propositions ,deux me paraissent essentielles face à des situations et des comportements qui sont en train d’ être érigés en normes dans une société béninoise où certains s’ingénient à brouiller les repères indispensables pour renforcer le sentiment de la nécessité du vivre-ensemble. Il s’agit d’abord du système de quotas qui serait de règle pour la proclamation des résultats aux divers examens et concours nationaux, et aussi en vigueur pour les recrutements dans la fonction publique et les nominations aux hautes fonctions de l’ Etat. Ensuite les conditions de création des partis politiques telles que définies dans la Charte votée et promulguée à cet effet.
Les quotas. On en parle beaucoup, et cela pour, dit-on, corriger les disparités qui existent entre le Nord et le Sud du Bénin. A cela, il faut ajouter l’argumentaire sur la nécessité de l’équilibre interrégional dans la promotion des cadres dans l’administration. Et progressivement, depuis quelques années les résultats des concours et tests d’une part, et les nominations aux postes de dirigeants d’autre part sont analysés dans l’opinion au regard de ces considérations . Mais, aucune loi, aucun texte règlementaire n’a jamais été pris pour consacrer cette vision. Pourtant, des faits, des situations tendent à confirmer que les Béninois sont soumis à des traitements différents, selon qu’ils soient du Sud ou du Nord. Et cela, au mépris de leur compétence.
Aujourd’hui, bien de citoyens ne peuvent s’empêcher de se focaliser sur les patronymes des admis aux tests et concours, et des cadres promus par le gouvernement à chacune de ses réunions pour s’assurer de leur région d’origine. Et quand les usagers d’un ministère ou d’un service administratif se trouvent en présence d’agents dont la quasi-totalité n’ éprouvent aucune gène à parler la langue d’une seule et même entité territoriale , en lieu et place de la langue officielle de travail , ils ne peuvent qu’être choqués et se poser des questions sur les modalités de recrutements de ces fonctionnaires de l’ Etat . Cette situation ne relève pas d’une vue de l’esprit, car il arrive de plus en plus d’entendre des propos du genre : « c’est nous qui sommes là maintenant, il faut nous laisser faire notre temps ! »
La Charte des partis. C’est dès 1990 que la nécessité d’encadrer la vie des partis politiques par une loi spécifique a été affirmée, et mise en application. Après près de deux décennies d’un régime de parti unique, le multipartisme intégral inscrit dans la Constitution de Décembre 1990 ne pouvait être pas être traduit dans les faits sans des risques de dérapages dont l’un des axes pourrait être : « l’appartenance à une confession, à un groupe linguistique ou à une région » ou « l’appartenance à un même sexe, à une même ethnie ou à un statut professionnel déterminé.» Malheureusement, ces dangers n’ont pas pu être évités. Et après plus de 20 ans d’expériences démocratiques, la quasi-totalité des formations politiques ne sont pas parvenues à se donner l’envergure nécessaire pour éviter les stratégies de repli systématique sur la région d’origine des principaux leaders afin d’assurer leur survie., Certes dans les années 1991-1992 , il ya eu des tentatives de regroupements et d’alliances entre des partis dont principaux dirigeants sont soit du Nord et du Sud , soit du Centre et du Sud , pour aller aux premières élections législatives . On peut les cas du Parti national pour la Démocratie et le Développement (Pndd) de Hubert Maga et le Parti du Renouveau Démocratique (Prd) de Adrien Houngbédji ; le Parti Social Démocratique de Bruno Amoussou et le Mouvement pour la Solidarité de Eustache Sarré et Wallis Zoumarou, l’Alliance pour la Démocratie et le Progrès de Sylvain Akindès et l’Un ion pour le Démocratie et la Reconstruction nationale de Amos Elègbè.
Mais très vite ces expériences ont tourné court. Au fil des années on a assisté à une pratique qui, dans les faits, viole la Charte des partis sans que pour autant elle ne soit dénoncée et combattue. Elle consiste à concentrer entre les originaires d’une même région ou d’un même groupe sociolinguistique les principaux postes de direction, en faisant appel à quelques militants des autres parties du pays pour des postes plus ou moins en vue . Les partis crées dans ces conditions ne reposant sur aucune expérience de luttes communes significatives, les divergences conduisant à leur dislocation tiennent plus de mécontentements lors des positionnements sur les listes électorales que de positions claires sur une ligne politique en rapport avec les problèmes de développement du pays. Ainsi s’explique la floraison des partis à la veille de chaque échéance électorale.
Le phénomène a connu un développement considérable au cours des dix dernières années, et plus particulièrement après les législatives de Mars 2007. Chaque semaine nous fournit son lot de partis dont les limites d’influence ne dépassent pas le village ou le quartier d’origine de son initiateur.
Ainsi, la Charte des partis est systématiquement violée sans que les institutions responsables de veiller à son respect ne réagissent. Face à cette passivité, beaucoup d’individus ou de groupes aux intérêts diffus font du champ politique un terrain de manœuvres dangereuses pour l’unité nationale et la cohésion sociale. Le silence et l’indifférence de tous ceux qui voient les nuages s’accumuler sur l’expérience du vivre-ensemble – dans le respect des opinions et des différences – entamée en Février 1990 ne doivent pas les encourager dans leurs dérives. Il faut sonner le ralliement contre tout ce qui met à mal l’impératif de fraternité gravé dans notre devise.
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