La polémique autour du débat sur le projet de la révision de la Constitution du 11 décembre 1990 ne cesse de s’enfler.
Alors que, dans un communiqué rendu public dans les médias, le gouvernement soutient mordicus qu’il n’aspire pas à une nouvelle République, certains experts et techniciens de la matière constitutionnelle s’accordent à démontrer le contraire. C’est le cas ici du professeur de Droit public et de Sciences Politiques, Moïse Lalèyè. A travers une analyse, logique et hautement juridique, du nouveau projet de loi portant révision de la Constitution du Bénin, introduit au parlement par le gouvernement, le professeur Lalèyè relève quelques incohérences et incongruités. Il note, entre autres, des facteurs tels que : la modification du préambule, l’insertion de l’initiative populaire, et un certain démantèlement ou affaiblissement méthodologique du pouvoir législatif. Des facteurs qui, selon lui, appellent inévitablement une nouvelle constitution et, par conséquent, une nouvelle République. Le professeur de droit constitutionnel a, par ailleurs, formulé des suggestions aux fins d’éviter une révision totale de la Constitution du 11 décembre 1990, à des fins opportunistes. Notons que cette analyse de Moïse Lalèyè, qui date de mars 2012, s’est fondée sur le projet de révision introduit, par le décret n°2009-548 du 03 novembre 2009, à l’Assemblée Nationale. Etant donné que ce projet de révision est identique à celui introduit tout récemment par le décret n°2013-255 du 06 juin 2013, on peut dire que cette analyse demeure d’actualité. (Lire l’intégralité de l’analyse et les suggestions).
I- Analyse
Notre analyse du projet de révision va s’intéresser aux points suivants :
• De la procédure engagée
Il s’agit d’un projet de révision introduit par le décret n° 2009-548 du 3 novembre 2009 soumis à l’assemblée Nationale dans un contexte désormais de refondation de la République annoncée. Visiblement, l’option faite par le gouvernement est celle d’une révision par voie parlementaire, la voie d’exception (cf. art 154 et 155 de la Constitution). En effet, les modalités permettant d’associer le peuple au projet avant son adoption n’apparaissent pas, en dépit de la mention confuse contenue dans l’exposé des motifs du décret. On s’emploie à étudier un texte vieux de plus de 2 ans. Cette option d’une révision par voie parlementaire a été réaffirmée par le Président du Parlement lors de sa tournée avec son bureau ces derniers jours. Tel choix serait plus économique, soutient-il. Cette approche exclusive du bureau de l’Assemblée très proche de la mouvance présidentielle écartant les citoyens conforte l’exécutif dans sa démarche d’exclusion.
• De l’absence d’une évaluation préalable
Peut-on toutefois dire que la commission de relecture a dû faire une évaluation ? Le texte en annexe du dossier n’en fait pas cas. Nous saisissons cette opportunité pour signaler que nous nous sommes gardé d’étudier ce texte, parce qu’il est sans objet, dès lors que l’exécutif en a fait une exploitation pour élaborer le décret soumis à l’étude du parlement actuellement.
• De l’absence de questions constitutionnelles
Ici, la seule question objective qui n’est pas d’ailleurs rigoureusement formulée est la mise en conformité avec le traité de l’UEMOA quant à la création au Bénin d’une Cour des Comptes. Or, une question constitutionnelle bien formulée a l’avantage d’assurer toute la transparence et l’objectivité requises au soutien du projet de révision.
• De l’absence de définition de principes devant fonder la révision
En définissant au préalable de tels principes, l’on permet au citoyen de mieux apprécier l’opportunité du projet envisagé.
• De la mise en veilleuse délibérée de la décision DCC 06-074 de la Cour Constitutionnelle du 8 juillet 2006 (relative à l’exigence de consensus, principe à valeur constitutionnelle désormais en vigueur pour toute procédure de révision).
Or, cette question est d’une application suffisamment contraignante. En effet, la Cour, dans sa décision, n’a pas spécifié les normes d’appréciation du consensus national comme exigé par elle.
De même, disons-le tout net, cette adjonction jurisprudentielle aux conditions de révision de la Constitution du 11 décembre 1990 s’érige comme un obstacle majeur, difficilement franchissable pour tout processus de révision constitutionnelle aujourd’hui dans notre pays.
Dans tous les cas, aucun projet ne devra aujourd’hui prospérer en l’absence du respect de ce principe à valeur constitutionnelle édicté par la haute juridiction.
Dès lors, nous pensons très sincèrement que la Cour devra se prononcer sur la mise en œuvre pratique de ce principe. Autrement dit, elle est appelée à opérer tout simplement un revirement jurisprudentiel devant peut-être aboutir à la levée de ce goulot empêchant en dernière analyse toute procédure de révision de notre loi fondamentale sans la réalisation du consensus national, terme difficilement saisissable en pratique.
• De l’exploitation de l’exposé des motifs et de certaines dispositions du projet, l’on observe entre autres :
– une atteinte injustifiée au préambule dans sa formulation solennelle n’induisant en principe aucune suppression ni adjonction rectificative ou complétive. En vérité, le préambule est une profession de foi, un manifeste qui ne saurait être modifié sans trahir la foi de ceux qui l’ont professé à l’occasion de l’établissement de la Constitution. Dans ce sens, il doit être intangible lorsqu’on procède à un amendement du texte. Par conséquent, en y touchant, l’on s’engage insidieusement dans une procédure de révision totale. Or, il est dit expressément que le préambule, cette déclaration solennelle faisant partie de la rigidité de la Constitution du 11 décembre 1990, est remplacé par un nouveau préambule . Cette formulation discutable dans le contexte africain en général et de refondation au Bénin en particulier, ne met point à l’abri d’interprétation intéressée à très court terme.
– Un déséquilibre des pouvoirs
– Il se manifeste, entre autres, par les dispositions de l’article 5 nouveau qui fait de l’opposition un pilier essentiel de la démocratie. Ainsi stipulé, cela suppose évidemment la consécration d’un nouveau pouvoir à insérer dans l’architecture des pouvoirs politiques au Bénin. Une avancée, dira-t-on, mais elle procède d’une désarticulation institutionnelle préjudiciable à l’armature-type des pouvoirs.
– Ce déséquilibre des pouvoirs se lit aussi par le renforcement inconsidéré du pouvoir du juge constitutionnel. Ainsi, est-il disposé à l’article 117 nouveau tiret 1 : « … statue obligatoirement sur la constitutionnalité des lois, des actes réglementaires et des décisions de justice censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques et en général sur la violation des droits de la personne humaine… ».
Il s’effectue aux termes de cette disposition une censure du juge constitutionnel sur les décisions de justice assorties de l’autorité de la chose jugée, sous réserve des voies de recours. Cette incursion au nom de la protection des droits humains préjudicie inévitablement sur l’indépendance de la judiciaire consacrée par la tradition démocratique depuis les temps immémoriaux. De même, il s’introduit de ce fait une insécurité judiciaire dans la gestion des conflits et différends entre l’Etat et les particuliers, ainsi qu’entre les particuliers eux-mêmes.
Alors que, dans la pratique démocratique, l’exception d’inconstitutionnalité ouverte aux justiciables règle avec efficacité et efficience toute dérive judiciaire entachant une bonne administration de la justice s’agissant de la protection des droits fondamentaux et libertés publiques constitutionnellement reconnus. Ces modifications constitutionnelles projetées remettent en cause les fondements substantiels de la Constitution de décembre 1990.
Il y va ainsi de l’article 105 nouveau relatif à l’introduction de l’initiative populaire. Celle-ci entraîne incontestablement le changement de la forme du régime représentatif de la démocratie libérale revitalisée, consacré par la loi fondamentale béninoise de 1990. Cela implique la mise en œuvre d’un régime semi-direct avec toutes ses conséquences constitutionnelles. Une telle avancée contraste de toute évidence avec le choix de la démocratie de représentation consacrée par la Constitution du 11 décembre 1990, et en vigueur dans toutes les vieilles démocraties, à l’exception de l’atypisme suisse.
– Enfin, le titre X bis du projet de révision présente la CENA comme un organe technique permanent chargé de la préparation, de l’organisation, du déroulement, de la supervision et de la centralisation des élections nationales, locales et du référendum. Elle proclame les résultats provisoires desdites consultations tandis que l’article 4 du titre premier l’établit comme une institution de la République, tout comme la LEPI. Aussi est-il exposé : « L’organisation de l’élection des représentants du peuple tant sur le plan national que local et du référendum est confiée à une Commission Electorale Nationale Autonome (CENA). Ces élections sont organisées sur la base d’une Liste Electorale Permanente Informatisée (LEPI) ».
Il en résulte, aux termes de ces lettres, une contradiction institutionnelle qui mérite d’être clarifiée à tout point de vue. Dans tous les cas de figure, cette forme d’institutionnalisation de la CENA et de la LEPI constitue des camisoles de fer cousues au peuple béninois. On aurait pu se contenter de constitutionnaliser le principe de l’organisation des consultations nationales ou locales par une autorité indépendante tout simplement. Les lois organiques et ordinaires en disposeront, selon les cas. De toutes les façons, l’on ne saurait en aucun cas institutionnaliser la LEPI. C’est une aberration qu’il conviendrait de corriger humblement, tant il est vrai qu’une liste électorale, fût-elle permanente, reste instable par nature.
Il est notable aussi avec l’article 149 bis, l’intrusion de l’Exécutif au parlement par la voie de la notion de majorité présidentielle, une trouvaille remettant en cause le régime présidentiel ou présidentialiste, fait de la séparation rigide des pouvoirs au niveau de l’Etat.
• Des incongruités juridiques
– L’article 18 nouveau induit une troisième prorogation de la détention préventive ;
– la non définition des compétences institutionnelles de la Cour Constitutionnelle et de la CENA en matière de préparation, d’organisation et de supervision des élections ;
– la déclinaison aussi détaillée de la composition des membres de la CENA qui demeure avant tout un organe d’opérationnalisation des activités électorales ;
– la Chambre des Comptes assiste le gouvernement et l’Assemblée : incompatibilité avec les principes de l’indépendance d’une juridiction ;
– la représentation équitable (art 82 nouveau) contrastant avec la tradition en cette matière recherchant une légalité constitutionnelle à travers la fixation d’un mode de scrutin ;
– l’ouverture à l’acquisition des biens publics pendant l’exercice de mandat (article 52) qui contrarie le souci de l’amélioration de la bonne gouvernance qui justifie entre autres la reforme entreprise ;
– l’ouverture du délai article 50 nouveau 90 jours après, etc…
Toutes ces incongruités, comme soulignées, se notent pêle-mêle et mettent en lumière, pour l’essentiel, un déséquilibre des pouvoirs au profit de l’Exécutif et de la Cour Constitutionnelle.
L’un dans l’autre, les dispositions du projet comme exposées, conduisent au fond à un glissement insidieux vers l’établissement d’une nouvelle Constitution, par conséquent, l’entrée inexorable dans une nouvelle République. En tout cas, du point de vue constitutionnel, il est difficile de soutenir le contraire. En effet, et à titre illustratif, l’introduction de l’initiative populaire comme envisagée par le projet fait perdre au régime de la démocratie représentative précédemment établi toute sa signification et sa substance constitutionnelles. Il s’opère ainsi la mise en application d’un régime semi-direct inconnu de la Constitution de 1990. Avec ce nouveau régime, le mandat parlementaire devient ipso facto et de jure impératif contrairement à ce qu’avait consacré la Constitution de 1990. Les pouvoirs du parlement sont progressivement anéantis par des dispositions, comme celle contraignant l’Assemblée à voter en priorité les projets de loi. Le caractère non impératif du mandat législatif est définitivement aboli. Dans ce contexte, quel est le sort réservé au régime présidentiel (quand bien même c’est un présidentialisme) ? Que dit-on du principe de la séparation des pouvoirs ? Nul ne pourra soutenir, le cas échéant, le principe d’amendement de l’ancienne Constitution dans ce contexte de révision totale de la Constitution de 1990 à travers le démantèlement méthodologique du pouvoir législatif.
Dans tous les cas, le remplacement affirmé du préambule autorise l’existence d’une nouvelle Constitution, partant celle d’une nouvelle République. Evidemment l’édifice constitutionnel est ainsi atteint. Dès lors, le prétexte de l’existence d’une constitution nouvelle devient une réalité.
Au travers de cette analyse, il convient de faire à présent quelques propositions aux fins d’éviter une révision totale de notre Constitution à des fins opportunistes.
II- Suggestions
Il serait souhaitable :
1) d’exiger l’évaluation de la pratique constitutionnelle au Bénin depuis plus de 20 ans;
2) d’exiger l’exposé clair et concis des questions constitutionnelles, puis celui des principes à la base de la révision projetée ;
3) d’exiger la levée de la contrainte de la décision DCC 06-074 du 08 juillet 2006 qui, bien que critiquable, s’impose aujourd’hui dans notre droit constitutionnel ;
4) d’exiger enfin la vulgarisation du projet avant même sa recevabilité ou son éventuelle adoption par le parlement.
Conclusion
La révision entreprise est davantage préoccupante dans un contexte de refondation de la République. Les quelques modifications sus énumérées entraînent évidemment au bout du compte une révision en profondeur du système présidentiel, par conséquent entachent substantiellement le régime consacré par la Constitution de 1990. Dans ces conditions, l’on pourra s’en prévaloir pour justifier l’établissement d’une nouvelle constitution, par suite revendiquer la naissance d’une nouvelle République. A l’occasion, des « experts internationaux » seront appelés à la rescousse d’une Cour constitutionnelle peut être déjà toute acquise pour flouer le peuple béninois.
Dans tous les cas, la pratique démocratique enseigne que la Constitution établie ne peut être modifiée que lorsque :
– les circonstances et les faits l’exigent, ou
– la volonté des gouvernements ou les sentiments des gouvernés y poussent en toute responsabilité et transparence pour le bien de la collectivité nationale.
Il s’ensuit que dans une démocratie qui se veut telle, l’établissement ou la révision d’une Constitution chaque fois, constituent des actes de portée très grave qui ne sauraient souffrir d’une légèreté populiste ou de l’assouvissement d’un intérêt inavoué ou inavouable des gouvernants. C’est d’ailleurs pourquoi, le peuple doit d’une manière ou d’une autre y être associé. Ainsi, la révision, un acte hautement solennel en dernière analyse, relevant et engageant le peuple, ne peut se conduire comme il est aujourd’hui proposé. Donc, s’insurger contre la méthode obscurantiste, soutenu par un juridisme constitutionnel éculé reste un devoir citoyen que tout patriote devra accomplir. Douter des bonnes intentions des dirigeants réformateurs ne résulte point d’un acte anachronique ou d’une rébellion d’arrière-garde, mais participe d’une responsabilité historique que tout citoyen doit pouvoir assumer, en ce moment où la loi fondamentale s’en va être révisée.
Lire la suite : «Le remplacement affirmé du préambule autorise … une nouvelle République» Moïse Lalèyè (Suite et fin)
Moïse Lalèyè,
professeur de Droit public et de Sciences Politiques
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