A Cotonou, Abomey-Calavi et dans les autres grandes villes du Bénin, les librairies officielles sont désertées. Pour cause, la floraison de deux nouveaux modes de vente d’ouvrages. Celui dit «librairie par terre» et celui qu’il convient de nommer «librairie mobile», en raison de son fonctionnement.
A elles seules, elles absorbent une main d’œuvre importante, constituée de désœuvrés, d’élèves et de jeunes qui se sont reconvertis en praticiens.
Abomey-Calavi, portail principal du premier Collège d’enseignement général de la ville. A même le sol, neufs ou chiffonnés, Arlequins, romans policiers, œuvres littéraires d’auteurs africains – même béninois – et européens, ouvrages scolaires de Mathématiques, Sciences physiques, Sciences de la vie et de la terre et d’autres disciplines scolaires. Des clients et des vendeurs qui recherchent un prix consensuel. Là, comme ailleurs à l’Université d’Abomey-Calavi (Uac), à Gbégamey, et autres coins des rues de Cotonou et environs, le scénario est le même. C’est le marché de livres dit «librairie par terre» qui bat son plein.
Déjà connue comme activité, la vente d’ouvrages «à même le sol» (d’où la dénomination «par terre»), connaît un engouement considérable pendant la période des vacances et prend le dessus sur les librairies classiques. Maxime Ganhounouto, étudiant en année de Maitrise à la Faculté des Sciences économiques et de gestion, habitué des librairies «par terre», livre les raisons de sa préférence. «C’est le prix qui m’amène à préférer les librairies dites par terre». Aussi, poursuit-il, on y trouve des livres d’occasion qu’il n’est pas évident de retrouver dans les librairies officielles. Comme lui, client et pas des moindres, un éminent professeur d’Histoire à l’Université d’Abomey-Calavi, rencontré devant la librairie mobile du restaurant «U» de l’Université, atteste : «On trouve en ces lieux, des ouvrages rares qui ne sont plus édités, ni disponibles dans les librairies classiques».
Prix abordable et disponibilité d’ouvrages quasi inexistants, des facteurs qui favorisent le succès des librairies «par terre». Parfait Guidigbohoun, professeur de Français dans les collèges, et tenancier d’une des librairies mobiles installées devant l’entrée principale du Ceg1 Abomey-Calavi, explicite : «C’est la différence de prix qui explique l’affluence observée sur les sites de librairies par terre. Nos articles sont nettement moins coûteux que ceux des librairies officielles, parce qu’elles payent des taxes telles que l’électricité, le salaire des employés, la location et l’impôt, pendant que nous n’en payons presque pas». «Par exemple, illustre le professeur bouquiniste, je suis avec mon épouse, et je n’ai donc pas besoin de lui payer de salaire. Il s’en va dire que j’ai moins de charges financières et qu’au regard de ceci, mes articles doivent revenir moins chers aux clients qui viennent à moi.» «Autre raison, justifie Parfait, c’est la particularité qu’a le Béninois d’acheter mains à mains, sans grand protocole.» Une particularité à laquelle, selon lui, les librairies classiques ne conviennent pas. A l’en croire, le Béninois, pour acheter, doit discuter du prix. Ce qui n’est pas possible avec une librairie classique. Et pour lui, les librairies «par terre» constituent une solution pour un tel problème.
Librairies «par terre», une activité bien organisée
« Ce que nous faisons n’est pas sorcier. Il suffit de connaître les vraies sources d’approvisionnement, pour installer son commerce de vendeur d’ouvrages par terre». C’est en ces termes que Parfait Guidigbohoun, bouquiniste, démystifie le commerce d’ouvrages dans le circuit des librairies «par terre». «Nos sources d’approvisionnement, livre-t-il, sont basées à Cotonou. Il y a des structures qui importent les ouvrages qu’ils nous livrent à des prix fracassés.» Christian Dossouhouin, tenancier de librairie mobile à Cotonou, explicite, «Nous recevons aussi des ouvrages de Lomé, la capitale togolaise».
«En dehors de ces sources, apprend Parfait, des parents d’élèves ou des élèves eux-mêmes, viennent nous vendre des ouvrages déjà utilisés, que nous remettons sur le marché à moindre prix. Pour des livres neufs d’auteurs africains, ce sont des structures bien connues qui nous les livrent.» Quant à ces structures, se dédoine-t-il, «je ne saurais dire comment elles obtiennent ces livres». Mais, reconnait-il, «N’empêche, d’autres vendeurs de bouquins par terre peuvent avoir des sources illicites d’approvisionnement qui me sont inconnues».
Si Parfait semble méconnaître les sources illicites d’approvisionnement en bouquins, Christian Dossouhouin lui, en sait quelque chose. «Pour répondre aux demandes parfois plus importantes, des ouvrages falsifiés sont mis sur le marché». Par exemple explique-t-il, l’ouvrage «Verre cassé» inscrit récemment au programme dans les classes de Terminales, est en rupture de stock sur le marché. Et pour satisfaire la forte demande de la clientèle, des photocopies adaptées de cet ouvrage pullulent sur les sites de librairies «par terre». A l’en croire, la plupart des ouvrages au programme, que se soit d’auteurs béninois ou étrangers, en sont victimes.
Un job
Comme toute activité florissante, la vente de bouquins «par terre» est une activité qui emploie un personnel varié. Fréjus Chobli, un jeune tenancier de librairie mobile, aux abords de la clôture du Ceg gbégamey, témoigne : «Je suis étudiant. Devenu oisif après les compositions de fin d’année académique à l’Uac, j’ai préféré remplacer mon père sur ce site qui lui appartient». A côté de lui, Bernadin Tossou, élève en classe de troisième, venu en vacances à Cotonou, a aussi décidé de mener ce job. «C’est juste pour me faire un peu d’argent et préparer la prochaine rentrée scolaire que je m’y adonne», a-laissé entendre ce jeune scolaire. Si pour ceux-ci la vente d’ouvrages «par terre» est un job de vacances, c’en est un palliatif pour Christian Dossouhouin. «Je suis cuisinier de profession. Mais n’ayant pas trouvé à faire, la vente d’ouvrages par terre est devenue une source principale de revenus pour moi» a-t-il témoigné.
Vente ambulante d’ouvrages, sœur cadette des librairies par terre
Devenue très répandue dans les rues de Cotonou, Calavi et autres grandes villes du Bénin, la vente ambulante d’ouvrages est aussi pratiquée par des désœuvrés et des jeunes vacanciers. Lucien, élève distributeur ambulant, explique : «Je prends des documents imprimés chez des grossistes, que je revends pour me faire de petites économies». Contrairement à celui-ci, Jacques, un autre distributeur à la sauvette, a choisi les artères des feux tricolores du Commissariat Central de Cotonou pour mener son activité.
Avec lui, on retrouve des documents relatifs aux citations littéraires et philosophiques, des documents didactiques comme le Bescherelle, les imprimés de recettes de cuisine, de pharmacopée, et bien d’autres. Malgré le risque d’accident qu’il court, Jacques trouve qu’il doit gagner de l’argent et que c’est une raison suffisante. Chose curieuse, cette activité est sans distinction de sexe. Cynthia Bocco, est une grande routière. A la vente d’ouvrages, aux contenus tirés d’Internet et d’anciens ouvrages, elle associe celle de petits calepins et blocs-notes. «J’y suis depuis des années», a-t-elle certifié.
Olivier Ribouis & Bonaventure Adjadja (Stag)
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