Bilan politique en 2013 : retour sur une révision de la Constitution étouffée dans l’œuf

06 juin 2013, le Président de la République procède à une réintroduction à l’Assemblée Nationale, de son projet de révision de la Constitution du 11 décembre 1990. On assistera, autour de ce projet, à la naissance de trois catégories de concitoyens : les protagonistes acharnés de la révision, les antirévisionnistes radicaux, et enfin ceux qui acceptent le principe de la révision mais n’en voient pas l’urgence et n’en approuvent surtout pas la procédure.

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Des débats d’une intensité très peu ordinaire, durant près de cinq mois, vont occuper l’actualité, pour s’estomper finalement devant un Parlement où tangue la majorité présidentielle.

Le projet de Loi introduit par le Décret N°2013-255 du 6 juin 2013 contenait 173 articles, contre 160 pour la Constitution en vigueur, soit une augmentation de 13 articles.  90 articles ont été modifiés par le nouveau texte proposé. Ce dernier propose désormais 09 institutions de la République, contre 06 prévues dans le texte actuel.

Cette nouvelle introduction du projet de réforme constitutionnelle, engendrera une énorme rivalité entre deux camps déterminés à rallier les populations à leur cause : d’une part, le Président Boni Yayi, son gouvernement et sa famille politique, qui tiennent «coûte que coûte» à la révision de la Constitution, et d’autre part, leurs adversaires politiques et la Société Civile qui, dans une large majorité, disent non et mettent la pression.

On assistera donc, non seulement à une pluie de soutiens de la part des formations de la majorité présidentielle, mais aussi à une énorme levée de boucliers, de ceux qui sont opposés au projet, notamment les autres partis politiques et les organisations de la Société Civile.

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Arguments pro-révisionnistes

La création et la constitutionnalisation de la Cour des Comptes, la constitutionnalisation de la Commission Electorale Nationale Autonome (Cena) et l’imprescriptibilité des crimes économiques ; tels sont les trois principales raisons qui fondent la base de l’initiative de l’exécutif. Il s’agit, à en croire l’initiateur de ce projet de révision, de donner «un nouveau souffle à notre Loi Fondamentale, afin de garantir plus fermement encore les bases démocratiques de notre République».

Afin de convaincre les populations de la nécessité de ces réformes et de l’opportunité d’une révision de la Constitution, le gouvernement n’hésitera pas à s’engager dans une énorme campagne «d’évangélisation constitutionnelle», faite de ballets de ministres de la République, qui inonderont les localités, et même les plus reculés, pour prêcher l’opportunité d’une révision. Ainsi, seront débités des arguments tels que : «la révision favorisera la lutte contre la corruption ; la révision est la seule solution pour aller vers le développement du pays ; la révision renforcera les institutions de la République». Tout ceci appuyé de marches, de meetings et de déclarations de soutien, à l’emporte-pièce, n’empêcheront pas le Chef de l’Etat, lui-même, de descendre dans l’arène pour essayer de convaincre les coriaces incrédules qui soupçonnaient une révision opportuniste ; c’est-à-dire une révision pour se maintenir au pouvoir.

« Je n’ai aucune intention de briguer encore un autre mandat, en dehors des deux constitutionnels que je terminerai en avril 2016» a-t-il souvent juré. Et il ne manque pas non plus de clarifier : «Je l’ai rappelé à maintes reprises, notamment devant dix Chefs d’Etat africains venus assister à mon investiture le 06 avril 2011, devant le Pape Benoît XVI en novembre 2011, devant les Présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande, et devant l’Administration Obama, devant le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon ». Mais ces arguments étaient loin de convaincre l’aile dure de la résistance, qui arbore très tôt l’enseigne d’antirévisionniste.

«Ne touche pas à ma Constitution…»

Comme en 2005, sous le Président Mathieu Kérékou, le thème refait très vite surface. Le cercle des antirévisionnistes s’élargit en un temps record. Des leaders d’opinion, et pas des moindres, s’inviteront dans le débat, et opposeront un «non» retentissant au projet de Boni Yayi. Des politiques, et même des acteurs de la Société Civile, n’hésiteront pas à afficher leur position et leur opposition. Abdoulaye Bio Tchané ; Bruno Amoussou et l’Union fait la Nation ; Adrien Houngbédji et le Prd ; le Professeur Maurice Ahanhanzo-Glèlè ; Antoine Dètchénou et le Front Citoyen ; Célestine Zanou ; Rafiatou Karim ; le Professeur Joseph Djogbénou et l’Alternative Citoyenne ; Me Zacharie Sambaou ; Pascal Todjinou de la Cgtb ; Paul Essè Iko de la Cstb ; Noël Chadaré de la Cosi-Bénin ; Dieudonné Lokossou de la Csa-Bénin ; Michel Adjaka et l’Unamab ; Janvier Yahouédéou ; Philippe Noudjènoumè et la Convention Patriotique des Forces de Gauche. La liste est loin d’être exhaustive. Même l’Eglise Catholique n’a pas manqué d’opposer un «non» catégorique à Boni Yayi qui, contre vents et marées, fonçait tête baissée.

Arguments antirévisionnistes

Pour les antirévisionnistes, la révision de la Constitution ne saurait être une priorité, dans un contexte où la dignité du Peuple est gravement mise à mal, non seulement par  la  pauvreté   d’une large frange de la  population en manque dramatique du minimum vital, mais aussi par le nombre croissant de jeunes sans emploi et à l’avenir incertain. Ils croient savoir que la priorité c’est aussi et d’abord la correction de la Lepi, et l’organisation des élections communales, qui ont connu un rendez-vous manqué.

Mieux, ils estiment que pour créer une Cour des comptes, on n’a pas nécessairement besoin de modifier la Constitution. Pour ce qui est dela constitutionnalisation de la Cena et de l’imprescriptibilité des crimes économiques, deux autres motifs sur lesquels le gouvernement fonde ses arguments de révision de la Constitution, les antirévisionnistes soutiennent que ces deux dispositions ont été déjà prises en compte par des Lois organiques en vigueur dans le pays.

En se basant sur la modification du Préambule, le nombre d’articles touchés et l’introduction dans la Constitution de l’initiative populaire, ils ont également jugé que cette révision fait appel à une nouvelle République. Pour ce camp, qui s’oppose à la révision telle que proposée, toute modification qui touche la sphère d’exercice des libertés des citoyens, la création de nouvelles institutions, les rapports entre les institutions constitutionnelles, le régime politique (Initiative populaire), appelle une nouvelle Constitution, et par conséquent une nouvelle République qui autorisera le Chef de l’Etat à briguer un autre mandat. Un argument battu en brèche par le camp pro-révisionniste.

Ceux-ci fustigent, par ailleurs, la procédure de révision, telle que engagée par le gouvernement, et exigent de ce fait un retrait du projet, au profit d’une large concertation nationale qui permettra d’aboutir à un Consensus. Le Consensus qui est défini comme un principe à valeur constitutionnelle.

La fin de la récréation

Alors que la bataille du «Oui» contre le «Non» à la révision de Boni Yayi poursuivait le déchirement du tissu social, un coup de tonnerre dans le ciel politique viendra mettre un terme à la récréation. La Commission des Lois, composées en majorité de députés de la mouvance présidentielle, déclare le texte irrecevable par le Parlement, pour défaut d’avis motivé de la Cour Suprême.

Si l’acte apparaît tout de même sans conséquence fatale pour la réforme du gouvernement, il pouvait néanmoins s’interpréter comme le premier vrai blocage pour Boni Yayi, dans ce dossier de révision. Et Ceci dans l’arène qui est pourtant sensée accueillir les débats devant faire aboutir ou non le projet de révision. Mieux, ce rejet a sonné comme un avant-propos de ce qu’est le sort que réservent les députés à une telle réforme. Ce camouflet, qui n’empêchait pas le gouvernement de renvoyer le texte devant la Commission des Lois, a tout de même contribué à émousser l’intensité des débats sur la révision de la Constitution, qui cèdera finalement sa place à celle sur la correction de la Lepi, entre temps rangée au placard.

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