Lorsqu’on voit et entend notre président parler des heures durant sans discontinuer , relayé par toutes les chaînes de télévision de notre pays, comme l’autre jour devant un parterre impressionnant de jeunes, lorsqu’on analyse froidement les propos visiblement improvisés et mal préparés qui sortent de la bouche du premier magistrat, on ne peut manquer de s’interroger sur l’impact de ces messages débités sur le mode lapidaire d’un ton où se mêlent la réprimande, l’invective et la menace à peine voilée.
On peut s’interroger aussi sur la communication tout court du chef de l’Etat , sa capacité à parler juste et bien, s’interroger enfin sur le rôle de nos confrères de l’ entourage du chef de l’Etat qui ont la lourde charge de diffuser ces discours qui sont, pour ainsi dire- et il faut le dire tout haut- impropres à la consommation publique.
Disons le d’emblée : la communication du chef de l’Etat déjà calamiteuse à son avènement au pouvoir en 2006 a atteint aujourd’hui un niveau abyssal, le degré zéro pour tout dire. L’hyper- président, à l’instar de Sarkozy pendant ses heures de gloire, est omniprésent sur toutes les chaînes de télé et il parle sans cesse de tout et de rien, dit tout et son contraire , cela , et très souvent, dans le plus pur style des commérages des femmes de nos marchés, comme cette pique lancée à la cantonade à l’adresse des hommes politiques , des députés qui passeraient par la case Paris chercher des milliards pour redistribuer à tout le monde, les journalistes y compris.
Bénin : Yayi menace les syndicalistes et dénie la démocratie béninoise
On est ahuri d’entendre un président proférer des propos qui incitent à la vindicte populaire contre les syndicalistes accusés de préparer une insurrection populaire , alors même qu’ils ne font que réclamer le droit de manifester contre un gouvernement qui interdit les marches que son homologue burkinabè pourtant aux abois a régulièrement autorisées pour les encadrer magistralement à la satisfaction de tous .On s’arrache les cheveux de voir notre président parler sans la moindre preuve d’encre rouge dont se seraient barbouillés les manifestants molestés par la soldatesque en furie, comme ce syndicaliste briseur de grève qui a la première fois évoqué ce scénario invraisemblable de sang de mouton.
Un président peu éloquent qui parle un peu trop
On sait notre président peu éloquent et ce n’est pas une injure de dire qu’il n’est pas un tribun dont les discours enflammés électrisent les foules. C’est un homme ordinaire dont les discours prononcés souvent sur un ton chantonnant à l’instar des prédicateurs évangélistes, ne suscitent guère d’enthousiasme, tant s’en faut ! Notre classe politique ne regorge malheureusement pas de ce type d’homme politique au verbe haut qui trouve toujours le mot et le ton justes pour dire ce que la foule veut entendre. En dehors du président Emile Derlin Zinsou dont l’éloquence est légendaire-il ne bute pas sur les mots qu’il sait marteler à l’occasion- très peu d’hommes politiques de notre pays peuvent s’enorgueillir de parler « sans papier », sans ennuyer les auditeurs et surtout sans dire des bêtises. Qu’à cela ne tienne ! Le président Houphouët-Boigny que d’aucuns ont qualifié d’ « animal politique de tout premier ordre »n’était pas un tribun mais il avait l’éloquence des conteurs de chez nous, usant des proverbes et multipliant les images pour mieux captiver son auditoire. Et on a du plaisir à l’écouter raconter l’histoire de son pays et l’épopée du RDA et de sa lutte glorieuse contre le colonialisme français. Notre président n’a même pas l’éloquence subtile des leaders comme Bruno Amoussou et Adrien Houngbédji dont le sens de la répartie, l’ironie cinglante et l’humour décapant peuvent déstabiliser n’importe quel interlocuteur lors des débats contradictoires .Y en avait il eu aux présidentielles de 2006 et de 2011 que le destin de notre pays aurait été tout autre. C’est parce que notre président parle un peu trop, sans trop de contrôle sur ce qu’il dit et la portée de ses propos. Ses discours sont de véritables coqs à l’âne où il tient à évoquer tous les sujets et pas souvent dans l’ordre. Ses interlocuteurs comme ce brave directeur du centre culturel américain ont du mal à cacher leur embarras. On se souvient particulièrement du cas de l’ex- ambassadeur de France, Jean- Paul Monchau,-au temps où leurs relations étaient au beau fixe, contraint à la station debout pendant une bonne heure pour écouter le discours improvisé de notre président sur des sujets qui vont de la position de la lune dans le ciel au sexe des anges. Le drame chez notre président est que les mots se bousculent dans sa tête et vont plus vite que la pensée. Tout le contraire d’un Bruno Amoussou très mesuré en parole et qui arrive à dire exactement ce qu’il veut dire, sans plus. Aucun journaliste n’est jamais arrivé à lui faire dire ce qu’il a décidé de ne pas dire.
Un entourage frileux et incompétent
Le problème de notre président tient autant à sa personnalité, à la manière dont il a accédé au pouvoir qu’à son entourage. L’Ovni politique débarqué de nulle part dans l’arène politique donne chaque fois l’impression de quelqu’un dont le souci premier est de montrer qu’il est bien à sa place, qu’il est bien le chef pour que personne n’en doute. D’où cette volonté de tout faire et surtout de tout dire lui-même. Avec lui, le rôle de l’entourage n’en est que plus important. Parce qu’un président comme lui a besoin d’être encadré. Notre président est le seul au monde sinon, dans la sous- région à n’avoir pas de porte -parole. Ailleurs, les chefs d’Etat ont un porte - parole différent de celui du gouvernement .Parce que le président d’une république n’est pas n’importe qui et ne doit pas parler n’importe comment et surtout n’importe quand et n’importe où. Sa parole a d’autant plus de poids qu’elle n’intervient qu’au bon moment. Le reste du temps est comblé par son porte- parole appelé lui aussi à réagir ponctuellement et pour dire des choses précises comme la position du chef de l’Etat sur tel ou tel sujet de l’actualité politique nationale (démentir une information publiée dans la presse et apporter des éclaircissements sur une autre)en Afrique et dans le monde. Car ce qui se passe aujourd’hui est effarant .Les journaux donnent des informations qui passent comme telles dans l’opinion sans que personne ne réagisse dans un sens ou dans un autre. Or, l’opinion a besoin d’avoir l’information juste. Il y a bien eu par le passé un porte- parole du chef de l’Etat. Notre ami Lionel Agbo se souviendra de ses quelques trois années de calvaire. La seule fois où il a joué le rôle a été fatale pour lui. Le chef de l’Etat en personne l’a désavoué publiquement au travers d’un communiqué où il prenait ouvertement le contre-pied de son collaborateur. Lionel ne s’est jamais remis de cette bourde. Le constat est donc que le chef veut être partout et tout dire et son entourage engoncé dans les privilèges que procurent leurs fonctions et visiblement soucieux de ne pas lui déplaire, se montre parfaitement incapable de jouer son rôle, celui de l’aider à communiquer juste et bien. Le spectacle que nous livrent les caméras projetées sur les collaborateurs du président pendant ses discours improvisés est effarant. Les sourires niais qu’ils affichent traduisent à merveille le peu de cas qu’ils font de l’image ainsi offerte au monde de notre pays dont le président entre littéralement en transes lors de ses prises de parole.
Pour une communication moderne et dynamique
On comprend aisément que si l’entourage formé par nos confrères de la presse audio- visuelle n’était pas tétanisé par ce souci de déplaire au chef, les discours improvisés du genre de l’interview du 1er août 2012 n’auraient jamais été diffusés. Et tous les déballages dans les champs de coton aussi. A l’ère de l’information reine, les images vont très vite. La presse classique liée par les règles de déontologie ne peut pas tout dire ni tout montrer. Internet et les réseaux sociaux oui ! Les images piteuses de notre président et les propos livrés par nos télés à l’opinion aujourd’hui, sont du pain béni pour ces derniers qui les diffusent instantanément et largement dans le monde. C’est l’image de notre pays qui prend un coup. La communication d’un chef d’Etat moderne doit se faire en amont comme en aval dans le sens de la préparation minutieuse de ce que le président doit dire ou faire .Avec un président comme Yayi, il faut lui écrire tout ce qu’il doit dire publiquement quitte à le laisser improviser de temps à autre. A charge pour les diffuseurs de trier dans les propos et les images ceux qui n’incitent pas à la haine ou à la vengeance et qui ne ternissent pas l’image de notre président et celle de notre pays.
Au total, la présidence et le gouvernement se doivent d’opérer une révolution copernicienne dans le sens de la modernisation de la communication présidentielle et gouvernementale. A l’instar du parlement qui donne des accréditations à des organes de presse de toute catégorie, la présidence et tous les départements ministériels doivent ouvrir leurs portes à la presse en quête d’information officielle. Laquelle peut être livrée aux médias par le biais des points de presse circonstanciés sur tel ou tel sujet de l’actualité politique nationale ou internationale ou des dossiers de presse préparés et délivrés par des porte- paroles attitrés. Le traitement de ces informations est laissé à la discrétion de chaque journal, radio ou télé. La pratique actuelle qui consiste à faire diffuser des articles laudatifs sur tel ou tel ministre est appelée à prendre fin pour le rayonnement de la profession des journalistes.
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