La grève : qui a donc les cartes en mains ?

Dans notre dernière réflexion nous avons, face à la persistance de la  crise, suggéré la création de nouveaux organes de gestion et de prévision des conflits sociaux. Dans la présente, nous nous proposons d’apporter notre contribution aux négociations qui peinent à débuter. 

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Techniquement la grève est une rupture du dialogue social. Les parties se tournent le dos, chacune  emportant ave elle,  sa  part de vérité. La négociation a pour tâche, de les réunir et de trouver le compromis. Et le compromis présuppose la disposition de chacune d’elle à y parvenir. Mais, avant tout, il convient de déterminer les caractéristiques  de la grève, face à laquelle nous nous trouvons, et l’environnement sociopolitique dans laquelle elle se situe. L’on a besoin de cela, afin de décrypter les positions respectives de chaque partie, face à la négociation et comment manœuvrer, le cas échéant, pour parvenir au compromis.

L’environnement social de la grève

Il s’agit du paroxysme d’une série de grèves perlées ; les parties ont donc les nerfs à fleur de peau. De plus, lorsqu’une grève prend l’ampleur que nous voyons ; qu’elle  s’inscrit dans la durée, que les motifs évoqués sont   multiformes et que la rue commence à donner des signes d’impatience et  d’inquiétude, l’on peut dire qu’elle est la résultante d’un climat social  détérioré.

L’environnement politique de la grève

Lorsque concomitamment à cette grève, et ouvertement, le climat politique se durcit, que le budget de l’Etat a été rejeté par l’Assemblée Nationale non pas tellement pour des raisons d’ordre  technique mais pour envoyer un signal politique fort au Chef de l’Etat, lorsque ce rejet a fait l’objet d’ un vote secret obtenu de haute lutte par l’opposition, lorsque, de par ce fait, le Chef de l’Etat a,  sinon perdu la majorité, du moins n’en a plus le contrôle, lorsque son projet révision de la Constitution, à laquelle il tenait tant, n’a pas connu la fortune à laquelle il s’attendait, lorsque la correction de la LEPI se fait attendre, tous les ingrédients de  l’affaiblissement d’un régime, déjà fragilisé de l’intérieur  par  des scandales financiers et des affaires de toutes sortes , sont là

Lorsqu’ abstraction faite et en dépit des   succès de  sa diplomatie dans moult domaines, le pays vient d’essuyer le refus de Millenium Challenge Corporation de lui  renouveler le deuxième  Millenium Challenge Account, pour fait de corruption  et  que le Royaume du Danemark vient de cesser ses activités dans notre pays, pour une raison qui n’en est pas éloignée, sa renommée internationale est entamée et la communauté internationale le pointe du doigt. L’on peut conclure alors  que cette grève se déroule dans un climat politique incertain en termes  de stabilité du régime.

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L’état d’esprit des travailleurs et du peuple

Le peuple est dépité et fatigué. Il convient que l’Etat, les syndicalistes et les politiciens  le comprennent. Le citoyen a perdu ses repères ; il ne sait plus où  sont les vérités et où sont les contre vérités ; la bonne foi et la mauvaise foi ; qui mange   avec qui ou qui ne mange pas avec qui ; qui fait des montages ou qui en est victime ;  qui est plutôt préoccupé par ses shows  à la télévision ou qui se préoccupe vraiment des problèmes de la nation ; qui des hommes politiques et des syndicalistes, rançonne qui.    Le citoyen lambda a déjà renoncé  à savoir qui dit la vérité ou qui ment, dans tout cet imbroglio.

En revanche, il sait très bien maintenant, que la situation est toute pourrie ; pourrie par l’argent, pourrie jusqu’au sein de l’hémicycle, pourrie par les ambitions personnelles des hommes politiques, pourrie par la  soif de vengeance et de règlement de compte. La confiance du peuple, aussi bien envers le Gouvernement, qu’envers ses Représentants, s’en est allée, et ce peuple en a …assez, pour ne pas utiliser un langage trivial de circonstance, d’être pris en otage. C’est dans cet état d’esprit de perte de confiance en leurs leaders que les  travailleurs font grève et que le peuple subit la situation ainsi créée.

L’immixtion des hommes politiques dans la grève

Il est évident que, sur ces entrefaites certains membres de l’opposition, comme  en pré campagne électorale, enfoncent le clou en ne manquant aucune occasion de donner des coups de boutoir au régime; et le public se donne  raison de penser qu’ils sont à la solde d’une main invisible. Outre cela, des députés flirtent ouvertement avec les syndicalistes et cela ne date pas seulement du 27 Janvier. C’est le mélange des genres et la confusion discursive. C’est en pleine lutte syndicale que certains d’entre eux lancent des invectives à l’endroit de l’institution démocratiquement élue  qu’est le Chef de l’Etat, au nom de la  liberté d’expression, nous apprend-on. C’est le moment qu’ils ont choisi pour nous dire qu’ils sont prêts à citer le Chef de l’Etat devant la Haute Cour de Justice. Autant d’indélicatesses qui, objectivement, impriment à cette grève, une connotation politique ; nous devrions en convenir. La situation est sérieuse bien que nous ayons la triste impression que certains Représentants du peuple  s’en amusent et cherchent à amuser la galerie. Ce n’est vraiment pas sérieux. Nous avons la nette impression que les forces politiques pèsent sur ces négociations qui peinent encore à démarrer.

Une négociation difficile : Qui donc a les cartes en mains ?

Le décor  planté, tel que nous venons de l’exposer, rend la négociation difficile par ce que la méfiance prévaut. A l’inverse de  ce qui se dit de plus en plus, nous estimons que  ce n’est pas le Gouvernement qui est en situation de force ; ce sont les syndicats. Le Gouvernement  certes, est   au centre des négociations en sa qualité de représentant de l’Etat et de  responsable de ce qui adviendra des  discussions,  mais ce n’est pas lui qui a la situation en main. Dans le cas d’espèce, les syndicats défendent les intérêts matériels du peuple et le peuple ne peut  que se ranger de son côté. Ils ont l’appui des travailleurs, et  le Gouvernement  en est privé, dans les circonstances actuelles. Les syndicats tiennent ainsi le Gouvernement  par le bon bout. Ce sont  eux qui posent des préalables et des exigences à l’Etat ;  et l’issue des négociations dépend en fait d’eux. Ce sont eux qui ont les meilleures opportunités de bloquer les négociations   et en faire porter la responsabilité à l’Etat. En  sciences politiques, c’est une technique de négociation bien rôdée.

La nécessaire bonne foi dans toute bonne négociation

Lorsqu’on vient s’asseoir à une table de négociation et qu’on débute les discussions, la bonne foi doit être omniprésente des deux côtés. Mais l’on ne peut juger de la bonne foi d’une partie qu’à sa manière de réagir  aux propositions qui lui sont faites. Chaque proposition faite par une partie ne devrait pas faire l’objet d’un rejet en bloc, de l’autre, mais toujours d’une contre proposition. Lorsque l’Etat demande à créer des commissions ad hoc et un moratoire de trois mois, il est clair que son souci, c’est la démobilisation des travailleurs et le pourrissement de la grève pendant ce laps de temps. Les syndicalistes n’en ont pas été dupes, mais ils auraient dû répondre à la proposition, en faisant une contre proposition de quelques jours car, même en accordant la bonne foi à la partie gouvernementale, point n’est besoin de 90 jours pour proposer des solutions aux problèmes posés. Mais, tout rejeter en  bloc, au risque de se faire passer pour la partie qui bloque les pourparlers. n’est pas une bonne tactique de négociation.

Par ailleurs, les syndicalistes nous ont laissé mauvaise impression à l’issue de la première séance des négociations, excédés qu’ils étaient, il est vrai, par l’invitation adressée à deux centrales qui n’avaient pas signé la motion de grève et qu’ils considéraient comme des ‘’ briseurs de grève’’. Ils ont déclaré : «  la guerre continue.» Qu’il nous soit permis d’attirer leur attention sur le fait qu’un conflit social, pour épineux qu’il soit,  n’est pas une guerre, à moins que l’on cherche à le transformer en cela ; et il est tout à fait regrettable que le mot ait été lâché par un des leurs, pourtant de grande maturité. J’utilise le terme ‘’lâché’’ à dessein  par ce que je crains fort qu’il soit révélateur d’un certain état d’esprit,  autrement le mot n’aurait pas été utilisé. Nous ne voulons pas de guerre dans notre pays. Quand  bien même, nous les aurons mandatés pour défendre nos intérêts, nous les prions de ne point parler de guerre. On ne s’amuse pas avec ce mot-là et il me parait étonnant que les medias n’aient pas cru devoir relever la chose. Si les syndicalistes se sont  rendus à la table de négociation dans cet état d’esprit et qu’ils veulent maintenir le cap, il est évident que les négociations piétineront et finiront par s’enliser.

S’il est  juste  et opportun de demander au  Gouvernement de présenter, tout au moins des excuses, pour la brutalité policière au cours de la manifestation du 27 Janvier, il serait tout aussi juste et opportun que les syndicalistes présentent des excuses au peuple pour avoir parle de guerre,  car seules les personnes qui n’ont jamais vécu cette situation, la peur au ventre ; qui n’ont jamais vu la bête sortir de l’homme, peuvent  parler de guerre civile à mauvais escient. Et pourtant, le Biafra n’est pas bien loin. Au reste, les deux préalables posés par les syndicalistes sont difficiles à négocier

L’autorité de l’Etat contre le  ‘’ne pas perdre la face’’ de la partie adverse

Ce genre de négociation, à l’interne, tourne  habituellement autour de ces deux pôles. La solution médiane est que chaque partie  obtienne l’essentiel  de ce qu’elle demande,  en sacrifiant le superfétatoire, tout en évitant  à l’autre partie  de perdre la face ; et cela réciproquement et vice versa. . Et l’on se quitte avec le sentiment qu’il n’y  a eu ni  vainqueur ni vaincu ; et  celui qui s’estime en avoir obtenu le plus, devra alors  se retenir de tout triomphalisme. C’est ainsi que les choses devraient se passer si les deux parties sont de bonne foi. Le genre de négociation en cours est difficile d’autant que les revendications sont multiformes et que certaines concernent des  principes. Les deux parties devraient s’entendre alors  pour déterminer: ce qui est principe et ce qui ne l’est pas.

En conséquence, l’Etat devrait définir ce qu’il peut concéder pour satisfaire la substance et l’esprit des revendications  des syndicalistes. A cette fin il devra convenir avec eux des revendications qui touchent à  l’Autorité de l’Etat et discursivement ce qu’il ne peut pas concéder sans  risque de bafouer cette Autorité.  L’autorité de l’Etat est une permanente de la gestion d’Etat ; les syndicalises devraient comprendre cela et s’accorder avec le gouvernement ; c’est une question de civisme, de patriotisme et un devoir républicain. Je ne sais pas ce que font les parties pendant les temps morts de la négociation, mais c’est un point qui devrait  être dégrossi dans les coulisses avant de se  retrouver face à face.

Les syndicalistes peuvent toujours demander le limogeage  de fonctionnaires; mais avant de poser un préalable de cette nature, à la discussion des autres sujets,  et donc d’en faire, le cas échéant, un point de blocage des négociations, il aurait convenu de se demander, quelle porte de sortie honorable ils  laissent à l’interlocuteur, si toutefois leur intention n’est pas de créer l’impasse ; c’est ainsi que les bonnes négociations se déroulent.  L’Etat ne peut tout de même pas  limoger ses agents sous la pression directe et publique des syndicats, autrement c’est la porte ouverte à toutes sortes d’abus et la négation même de son autorité et, partant, la dégénérescence de l’Etat ; d’autant que les deux fonctionnaires en question ont des supérieurs hiérarchiques qui, administrativement parlant, sont responsables de leurs actes. De plus, l’on ne peut pas évoquer la responsabilité personnelle à leur encontre,  en pareille circonstance, à moins  d’encourager l’insubordination dans l’Administration. Disons qu’il s’est agit d’une bavure de la police comme il arrive sous d’autres cieux sans autre conséquence ; on ne limoge pas pour ce fait d’autant qu’il n’y a pas eu mort d’hommes. Toute sanction administrative, de quelque ordre que ce soit, à l’encontre de ces agents, sous la pression des syndicalistes, ne peut qu’entacher l’autorité de l’Etat.

Pour surmonter l’impasse, l’on peut concevoir l’éventualité d’un accord secret, qui pourrait prévoir  la mutation des agents en question gens dans un délai convenu d’accord parties. Mais, il est bien  difficile et illusoire d’envisager un tel accord secret  dans un débat si public.  Alors, je ne vois qu’une  démarche  d’ordre moral  pour débloquer la situation. . Peut- être  qu’une une action magnanime et transcendantale du  Chef de l’Etat, dans un message solennel à la Nation, regrettant toutes les incompréhensions de part et d’autre, pourrait mettre fin à ce blocage et permettre la poursuite des négociations ; il prendra ainsi  de la hauteur sur l’événement et redonnera confiance au peuple.  C’est dans ce cadre, et pour favoriser ce genre de démarche, que nous demandions dans notre dernière réflexion, la création d’une Haute Autorité Morale près la Présidence de la République. Lorsque tout va mal, cette instance sera là pour épauler le Chef de l’Etat et être à ses côtés dans les moments difficiles. L’occasion faisant le larron, nous rappelons au bon  souvenir du lecteur, que nous prônons également  la création d’une  Grande Médiation de la République  depuis près d’un an déjà. Peut-être aurait-elle mieux géré  la crise sociale  à laquelle nous assistons en ce moment. Nous sommes une société de crises et il convient de lui donner des organes de gestion et de prévision des crises.

Quant au préalable de la défalcation sur les salaires, le problème, sauf erreur d’appréciation de notre part, nous parait avoir une consonance quelque peu juridique. A-t-on marché pour défendre les libertés publiques ou est-ce la répression de la marche  qui a été l’occasion de poser la question des libertés ? En d’autres termes, la revendication des libertés,  a- t’elle été  la raison de la marche ou  s’est- elle invitée dans la répression de la marche ? C’est, à notre sens, de la réponse  à cette question que dépendra le bien-fondé ou non de la défalcation.  En tout état de cause, et s’agissant d’un sujet qui touche directement les travailleurs, non seulement eux, mais aussi ceux qu’ils entretiennent, l’on  pourrait souhaiter,  au cas même où la défalcation serait justifiée, qu’elle  soit étalée sur plusieurs années. Ce serait encore une marque de magnanimité du Chef de l’Etat, qui du reste ne serait d’aucune incidence financière sur le budget national. Le principe serait alors sacrifié sur l’autel   de la paix sociale ; et la paix sociale est au-dessus du principe.

Un conflit social n’est vraiment pas le bout du monde ; il survient pour être réglé sauf, si pour une raison ou une autre, l’on ne veut pas qu’il le soit. Mais, il faut bien convenir que  le Gouvernement porte l’entière responsabilité de le régler quel que soit ce qu’il lui en coûtera.  Il est d’autant plus responsable qu’il a manqué de le prévenir  et qu’il l’a laissé venir.  Gérer c’est aussi prévoir ; il et vrai que les choses sont plus faciles à dire qu’à faire. En tout état de cause, l’autorité de l’Etat devra être sauvegardée à tout prix. En revanche, le Gouvernement ne devrait pas miser sur le pourrissement de cette grève. Les politiciens s’empresseront de la récupérer et, fasse le ciel qu’il n’en soit pas ainsi.

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