Le père André Quenum s’est éteint dans la matinée de ce lundiaussi brutalement qu’il a surgi et s’est imposé dans le paysage médiatique de notre pays comme une de ses figures les plus emblématiques.
La nouvelle de sa mort soudaine, que rien n’a annoncé a surpris mêmement ceux d’entre nous qui ne l’ont vu et connu que de très loin et tous ceux qui l’ont vu et entendu il n’y a guère longtemps comme principal célébrant de cette messe de requiem en mémoire de cet autre confrère trop tôt disparu. Avec cette exclamation tout droit sortie de la bouche de Candide : « mais, on l’a vu à la télé l’autre jour ! » Idiot qui croit qu’on n’est pas tous des mortels ! Une sortie de scène fracassante d’un paysage médiatique qu’il a illuminé de sa plume trempée au vitriol. En moins de dix ans en effet, André Quenum a su s’imposer comme une des meilleures, sinon la toute première plume journalistique de notre pays. Il portait un patronyme qui a connu des célébrités qui ont fait la gloire de ce pays comme l’ancêtre Marc Tovalou Houénou dit Quenum, militant de la première heure de la cause nègre, à l’époque du colonialisme triomphant, le célébrissime écrivain Olympe Bhêly Quenum, feu le professeur Alfred Comlan Quenum, ancien Directeur régional de l’Oms pour l’Afrique ou le très regretté père Alphonse Codjo Quenum historien, éveilleur de conscience et grand éducateur qui nous a quittés le 23 juin dernier seulement. Du vivant de ce dernier qui fut un des esprits les plus lucides mais aussi une des voix les plus écoutées, les redoutées du clergé catholique, le jeune abbé lui faisait déjà de l’ombre. Au point où quand on devrait parler du père Quenum, il fallait prendre soin de préciser, pour qu’on ne les confonde pas, les prénoms Alphonse ou André, tellement les deux hommes écrasaient le clergé catholique de leur charisme. C’est que Le père André avait un nom mais il a su admirablement en si peu de temps (à 48 ans seulement) imposer son prénom.
Carnet noir : le père et journaliste André Quenum s’en est allé
Sa mort inattendue nous renvoie à notre humaine condition d’hommequ’en ce bas monde tout n’est que vanité : « vanité des vanités ……. ». Un jour on est là, le lendemain ou même le même jour on est parti pour de bon et pour de vrai vers une destination qui demeure un parfait mystère. Mais l’Abbé André, tel qu’il l’a martelé dans une de ses plus récentes homélies, est de ceux qui pensent que seul l’instant présent nous appartient. Un truisme autour duquel il a bâti sa vie et son œuvre la plus remarquable : l’hebdomadaire ‘’La croix du Bénin’’ qu’il a porté à bout de bras comme une croix. Il a fait de ce périodique, qui a connu ses heures de gloire dans les années 60 et 70, un magazine incontournable attendu toutes les fins de semaine par toute la gente intellectuelle de l’Eglise catholique du Bénin et même d’ailleurs. Ses éditoriaux audacieux, toujours collés à l’actualité du moment, écrits de cette plume acérée qu’on eût dit trempée dans l’acide de la colère qu’inspirent des turpitudes politiciennes, avaient la profondeur des épîtres bibliques. L’abbé André jouait à la perfection son rôle de pourfendeur des fléaux qui minent le microcosme politique par des prises de position osées pour un homme d’église. Beaucoup de gens pensent que l’Abbé rebelle exprimait plus ses opinions personnelles que celles de l’Eglise. On le lui a souvent reproché mais lui n’en avait cure. Il semblait habité par un constant souci de parler vrai, de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. De ce point de vue, il apparaissait déjà du vivant du père Alphonse Quenum, amoureux des vérités crachées tout crues, comme un digne héritier de la lignée des Quenum.
Une dernière anecdote que je me dois de livrer au public très révélatrice de la vie qu’il a menée est relative àla seule et unique rencontre que nous avons eue, lui et moi et deux autres protagonistes en plus de dix ans de pratique d’une carrière commune. Auparavant, tout se passait entre lui et moi au téléphone (vive le Gsm !) ou au cours des rares soirées mondaines auxquelles nous acceptions d’assister. C’était le 8 octobre dernier, soit presque un mois jour pour jour avant son décès que rien ne laissait transparaître. C’est avec consternation que j’ai appris le jour de sa mort qu’il souffrait de drépanocytose. Il n’en avait pas du tout l’air, il y a un mois. Nous étions invités lui et moi par un ami commun, cadre émérite du secteur des travaux publics aujourd’hui Directeur Général d’un cabinet privé d’expertise en BTP, très à cheval sur les questions d’éthique et de déontologie de notre métier. Notre hôte voulait nous faire découvrir ce qu’il a appelé « la mer intérieure » que forme la crue du fleuve Ouémé dans la région de Gbodjè, localité dont il est originaire, proche de Zinvié dans la commune d’Abomey-Calavi. Il tenait à nous montrer les populations vivant heureuses dans l’eau, très loin des clichés idiots sur les malheurs que causent les inondations (voir LNT du vendredi 07 novembre 2014). Parce qu’elles savent que la décrue du fleuve Ouémé charrie du limon qui nourrit les terres pour les cultures vivrières. C’est du haut du chalet construit par notre hôte et surplombant la mer intérieure et dans son véhicule 4X4 bien adapté au relief escarpé de la localité du voyage aller et retour que l’abbé et moi avions véritablement fait connaissance. Qui l’eût cru ! Ce jour là, il m’a entretenu en long et en large du projet dont il venait de recevoir le financement de création d’une pépinière de journalistes d’investigation pour, dit-il, permettre aux médias d’aller au-delà des informations sensationnelles qu’affichent quotidiennement nos différents organes de presse. « Il faut investiguer, investiguer », répétait-il à l’envie. Dans la foulée de nos chaudes discussions, nous avions convenu d’un autre projet pendant au sien spécialement conçu pour les prochaines élections présidentielles pour aider nos concitoyens à faire le bon choix. Celui du vrai leader, au sens anglo-saxon de meneur d’homme, capable de diriger ce pays et de le conduire dans la modernité. Pour sortir définitivement du cercle vicieux de l’oiseau rare-un terme que le père André a contribué à populariser- pour désigner ces hommes sans passé politique ou militant, sortis de nulle part qui prétendent briguer la magistrature suprême de notre pays.De ce seul point de vue, l’Abbé André Quenum va incontestablement nous manquer !
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