Pourquoi préserver le jeu démocratique ?

La tempête provoquée par le soulèvement héroïque du peuple burkinabè et qui vient d’emporter Blaise Compaoré va certainement instruire les chefs d’États africains que la souveraineté appartient au peuple, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent plus se jouer facilement de lui ni entretenir la moindre velléité monarchique.

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Il n’y a qu’un seul Dieu. Mouammar Kadhafi s’était, en quelque sorte, pris pour le Dieu des Libyens et avait traité ceux-là de rats ; il en a fait les frais. Blaise Compaoré a pensé qu’il était indispensable aux Burkinabè, mais la rue lui a démontré que non. Si les deux grands gendarmes de l’Afrique que sont la France et les États-Unis d’Amérique l’avaient ennobli en lui confiant des missions de résolution de crises dans la sous-région, c’est plus parce que son peuple l’acceptait comme son chef que parce qu’il était méritant. Ce peuple qui avait été abusé par la gouvernance de ce chef des années durant a voulu, un moment ,se protéger de l’impunité en se dotant d’une constitution qui limite à deux le nombre de mandats des chefs d’État. Cette constitution avait été votée et ratifiée sous la présidence de Blaise Compaoré. Mal lui a pris de penser qu’il peut faire sauter ce verrou, somme toute antidémocratique, pour s’éterniser au pouvoir.

Les hérauts de l’idée démocratique dont Charles de Montesquieu (1689-1755) avaient à l’esprit un jeu très ouvert, donc sans limitation aucune. J’en veux pour preuve le fait que la limitation du nombre de mandats ne figurait pas dans la Constitution française avant la révision qui avait ramené la durée du mandat à cinq ans lorsque Lionel Jospin était chef de gouvernement. Le jeu démocratique ouvert suppose que tous ceux qui sont en âge de voter et qui jouissent de leurs droits civiques et de la santé puissent participer à toute compétition électorale. Mais tant qu’on n’aura pas trouvé les meilleurs remparts contre la corruption du pouvoir, c’est-à-dire à la manipulation psychologique des massescomme le fait d’ouvrir à tout-vades chantiers sans lendemain, et aussi aux tripatouillages électoraux comme ceux qui ont conduit au K.O. de 2011 au Bénin, il faudra maintenir des limitations dans les constitutions. S’il est naturel que le peuple désire garder un chef d’État qui répond à ses attentes, il est tout aussi naturel que ce même peuple puisse penser que quelqu’un d’autre peut le faire mieux. Aussi, force est-il de constater que le pouvoir use lorsqu’il est longtemps conservé, le pouvoir abuse lorsqu’il est éternellement donné, le pouvoir corrompt lorsqu’il est durablement accaparé.

Le citoyen est doté du pouvoir de choisir ceux qui doivent gouverner et ceux qui doivent contrôler l’action du Gouvernement. Il reçoit de surcroît le droit de changer d’avis, et, en changeant d’avis, de changer le cours des choses. C’est cette possibilité d’alternance qui caractérise tout système politique majoritaire. L’opposant d’aujourd’hui est peut-être le gouvernant d’hier, et le gouvernant d’aujourd’hui peut être l’opposant de demain. Cette disposition des choses incite le gouvernant à un peu de modestie salutaire et contient, au moins partiellement, son arbitraire. Elle donne aussi à l’opposant un peu d’espérance et contient, au moins partiellement, sa démagogie. L’alternance permet de renouveler les élites, de maintenir en état de veille constante la volonté politique, de stimuler les administrations, de mettre fin au clientélisme installé, de bousculer les corporatismes établis, de susciter de nouveaux chantiers et de régénérer le débat public. Comme il est dit plus haut, le pouvoir use lorsqu’il est longtemps conservé, le pouvoir abuse lorsqu’il est éternellement donné, le pouvoir corrompt lorsqu’il est durablement accaparé. L’usure, l’abus et la corruption du pouvoir sont tempérés par la perspective d’une alternance ultérieure.

Le développement humain d’un pays est entendu comme le bien-être de sa population, c’est-à-dire sa capacité à se nourrir, à se vêtir, à se loger, à se soigner et à envoyer les enfants à l’école. Il n’a pas été amélioré au Burkina Faso malgré le fait qu’il y a eu régulièrement croissance des agrégats économiques. Ce fut aussi le cas au Bénin entre 1994 et 2004, période à la fin de laquelle j’avais publié « L’Afrique au ras du décollage : un plaidoyer pour une alliance citoyenne », ouvrage dans lequel j’affichais un optimisme mesuré pour le décollage économique des pays africains. Les faits n’ont pas démenti mes certitudes puisque la perception de l’Afrique par les investisseurs s’améliore depuis 2011. Les investisseurs installés sur le continent sont particulièrement positifs ; ils classent l’Afrique en seconde place des destinations d’investissement les plus attractives au monde après l’Asie. Concrètement, les flux de capitaux vers le continent sont passés de 15 à 87 milliards de dollars entre 2000 et 2008 (de 7.500 à 43.500 milliards de nos francs). Et pour cause: l’Afrique offre le taux le plus élevé de retour sur investissement du monde.

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Si la croissance économique n’induit pas nécessairement le développement humain, cela veut dire que l’élimination de la pauvreté n’apparaît pas comme un résultat de la croissance économique, mais comme une condition de celle-ci. Toutefois, plusieurs études sérieuses ont montré que le développement humain est un facteur important de la croissance économique. Le développement humain est donc à la fois une fin et un moyen de la croissance économique laquelle est très liée à la bonne gouvernance qui se nourrit du jeu démocratique sain, autrement dit, la stabilité politique. La lutte pour le développement humain et celle pour la bonne gouvernance doivent être menées conjointement.À l’appui de mes arguments, il est particulièrement intéressant de noter que huit des pays du top dixdes meilleures économies d’Afrique brillent par une bonne gouvernance globale et un jeu démocratique sain. La stabilité politique suppose des institutions qui fonctionnent correctement,puis des élections libres et transparentes organisées à bonne date. Ainsi, les trois facteurs que sont le développement humain, la croissance économique et la stabilité politique sont intrinsèquement liés. À ce propos, les pays qui font honneur à l’Afrique sont :le Malawi, la Tanzanie, le Mozambique, l’Éthiopie, la Zambie,le Botswana, le Nigeria et le Ghana.

Boni Yayi comprendra-t-il ce plaidoyer à la lumière du renversement brutal de son compère du Burkina-Faso ? Même s’il montre une volonté de desserrer l’étau en allouant un financement de trois milliards de nos francs au Cos-LEPI, en permettant à des forces politiques de l’opposition de s’exprimer sur l’ORTB, on peut appréhender un raidissement lorsqu’on entend le député Rachidi Gbadamassi asséner : «Le président Yayi Boni n’est pas Blaise Compaoré. Yayi Boni est élu démocratiquement. Il écoute son peuple. Il n’a fait que huit ans alors que Compaoré a fait le triple, soit 27 ans… ». Cela résonne forcément comme la voix de son maître.C’est à croire que lesévénementsdu Burkina-Faso n’entament en rien la détermination de Boni Yayi à sauver le rêve du troisième mandat présidentiel. La preuve est qu’il n’a pas daigné, six jours après la leçon du Burkina-Faso, retirer son projet de loi portant révision de la Constitution à l’Assemblée nationale comme Blaise Compaoré l’avait fait juste avant que le siège du parlement et celui de l’information soient mis à sac. La marche citoyenne du mercredi 29 octobre ne l’a certainement pas assez édifié.

Il nous faut répondre au truculent député et ainsi faire comprendre à Boni Yayi que le Bénin n’est pas le Burkina-Faso. Au Béninnous avons pousséun général de l’armée à convoquer la Conférence des forces vives de la nation au cours de laquelle nous avions égrené des « plus jamais ça » dont « plus jamais d’autocratie » comme il nous en faisait vivre depuis longtemps alors. Il nous faut fairecomprendre à Boni Yayi que l’autocratie est antinomique aux résolutions de ladite conférence et qu’il convient maintenant d’écouter effectivement son peuplecomme l’a prétendument allégué le député qui voudrait le distinguer de Blaise Compaoré. Il est d’autant plus temps d’écouter son peuple qu’il éviterait ainsi à notre pays les déconvenues que le Burkina-Faso a connues, car, partout, les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Je suis fier de n’avoir pas fait partie de ceux qui avaient souhaité l’avènement de Boni Yayi en 2006, mais je suis encore plus fier d’avoir publié,juste après son élection, « Face aux espérances », ouvrage dans lequel j’appelais tous les Béninois à se reconnaitre en lui et l’aider à réussir son mandat. Depuis, je n’ai eu de cesse de dénoncer les entorses de toute sorte dans lesquelles celui qui est venu au pouvoir pour rectifier notre démocratie s’est régulièrement illustré et qui ont donné à sa gouvernance l’allure d’un interminable chemin de croix.Qu’il me soit donc permis d’instruire aujourd’huiBoni Yayi sur le fait que le jeu démocratique sain et si intéressant et surtout productif parce qu’il induit la stabilité politique, facteur de développement humain durable. Boni Yayi et ses conseillers doivent savoir raison garder ; ils doivent nécessairement tirer toutes les leçons de l’insurrection populaire du peuple burkinabè au risque de plonger le pays dans chaos.

Ismaël Kaffo
(Essayiste sociopolitique)

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