Bénin : entre contradictions et paradoxes

Une chronique peut en cacher une autre. La chronique du jour peut en annoncer la prochaine. Les chroniques se relayent, en se donnant la main, comme les athlètes se passent le témoin dans une course de relais.

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Nous avons terminé notre dernière chronique sur la note suivante : « le Bénin, terre de tous les paradoxes ». L’un de nos auditeurs/lecteurs nous a   interpellé. Il l’a fait d’un mot, plus précisément d’un verbe, qui plus est d’un impératif : « développez cette idée, développez votre pensée. » Nous lui avons promis de le faire. Nous tenons parole.

Connaissez-vous la Tour de Babel ? C’est, dans l’Ancien testament, l’expression achevée de la confusion. Les hommes, ayant désobéi à Dieu, furent punis. Ils ne parlaient plus la même langue. Ils ne se comprenaient plus. C’était la confusion totale, la cacophonie portée à son paroxysme. A côté de la Tour de Babel, on pourrait imaginer la Tour Bénin. Elle serait, en comparaison avec l’autre, l’expression achevée de la contradiction. En effet, nous, Béninois, excellons dans l’art de vouloir une chose et son contraire, de faire tout le contraire de ce que nous disons, de tout vouloir cacher ou de croire que derrière tout se cache forcément quelque chose.

Par exemple, nous nous vantons d’être « le quartier latin de l’Afrique », ayant compris l’expression comme un hommage du colon au colonisé. Mais peu nous en chaut d’afficher des chiffres catastrophiques de 20% d’admission au baccalauréat ; d’ériger pratiquement en une filière la grève des cours devenue un élément constitutif du système éducatif de notre pays ; d’avoir des cadres formés au rabais et lancés sur les chantiers du développement comme des chiens perdus sans collier. En fait, tout le monde semble se préoccuper de l’avenir. Mais tout le monde se recroqueville frileusement sur le présent, mangeant son maïs en herbe, cueillant tout, ne semant rien.

L’immense majorité des Béninois se reconnaîtront, volontiers, pauvres. Ils ont nettement moins que ce qu’ils désirent avoir. Et le pays ne leur offre pas toujours ce qu’ils méritent. Mais comment expliquer qu’à toutes les occasions – obsèques, funérailles, mariages, baptêmes, célébrations diverses – les Béninois mettent un point d’honneur à mobiliser des ressources énormes ? Et ces ressources, en argent, en matériel, en victuailles, sont orgueilleusement étalées, généreusement gaspillées. Ne reste de cette bamboula que le parfum nostalgique de roses qui n’ont vécu que l’espace d’une journée de foire. La fête du gaspillage finie, commence ou recommence pour le pauvre, le festival de la pauvreté.  

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Voici un pays où l’on aime le football à la folie. Mais un pays qui ne réussit pas à sortir son football de l’ornière. Un football déchiré entre des visions qui s’entrechoquent, entre des intérêts contraires qui se télescopent. L’amour fou du football des Béninois se réduit ainsi à une tragique impuissance : suivre les exploits des autres, non sur les stades désertés depuis longtemps, mais de leur salon, sur leur poste de télévision, avec leur poste de radio.

Voici encore un pays où l’exemple de débrouillardise de ses femmes est salué et magnifié dans toute l’Afrique. Les femmes béninoises sont dans les champs. Elles font payer, chaque jour, à la terre nourricière sa dîme de subsistance. Les femmes béninoises sont sur tous les marchés du pays. Elles illustrent, à leur manière et avec application, la loi divine du « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front ». Les femmes béninoises sont dans les maternités, dans les centres de santé. Elles perpétuent l’espèce dans les douleurs de l’accouchement. Malgré tout cela, les femmes béninoises sont absentes des instances de décision, des cercles du pouvoir d’Etat. Pour comble : on ne sait même pas leur faire la faveur du peu qu’on a promis leur octroyer.

Voici, enfin, un pays où tout le monde va se répétant, avec foi et conviction, que Dieu aime le Bénin, que Dieu aime les Béninois. Mais un pays où l’on voudrait tant que les gens commencent par s’aimer eux-mêmes. Ne serait qu’en mettant un bémol à tous ces vilains sentiments qui fleurissent, ici et là, telles de mauvaises herbes de saison de pluie : la jalousie, la haine, l’envie, la rancune, la médisance. N’oublions pas les voies de faits visibles et invisibles. Si une telle contradiction était levée, les Béninois auront eu raison de dire que Dieu aime le Bénin et les Béninois. Comme il ne saurait, du reste, aimer moins les autres peuples de la terre.

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